Daouda Sanogo est né à Paris dans une fratrie de sept. « Je suis au milieu, trois au-dessus et trois au-dessous. Deux frères et quatre sœurs. Mes parents sont retraités. Mon père était chauffeur poids lourds, il travaillait la nuit. Aujourd’hui, hors de question pour lui de conduire un camion, même celui de son fils ! Ma mère faisait des ménages. »
Sa scolarité c’est 100% Aulnay. A l’école des Merisiers comme au collège Claude Debussy ou au Lycée Jean Zay, Daouda ne pensait pas qu’il bosserait dans le recyclage. « Au collège j’étais à fond dans le foot. J’ai joué dans le club d’Aulnay », où il fait ses premiers dribbles avec Olivier Dacourt. Puis il rejoint le club du Bourget. Quand on lui demande s’il a fait des bêtises, Daouda répond que « non, parce que, justement, j’étais à fond dans le foot ».
Les entraînements plusieurs fois par semaine, les matchs le samedi et les stages d’entraînement pendant les vacances dans tous les angles de l’Hexagone. Et pas question d’être privé de match, moyen de persuasion efficace pour les parents. Pour les appréciations scolaires, en général c’est « peut mieux faire ». Il semblerait que les professeurs aient senti le potentiel de cet élève qui n’avait pas décidé de mouiller le maillot pour les cours. Les résultats sont suffisants pour satisfaire les parents, continuer le foot et avoir la paire de Nike à Noël, mais pas au point d’en faire un premier de la classe. Le maillot, il le mouillera pour son entreprise, Alliance & Co. Mais on en parlera plus tard.
En 1997, le bac ES en poche, Daouda se dirige vers les bancs de la faculté de droit. Mais voilà, son job d’été est devenu son job tout court. Reprendre le chemin de la fac ? « J’y pense tous les jours et n’exclus pas d’y retourner pour un VAE (validation des acquis par l’expérience). » Il raconte aussi comment il a dû faire un CAP gestion des déchets et propreté urbaine (2001) pour remplir les conditions d’accès au concours qui le titulariserait en poste, car un bac ES à l’époque ce n’était pas un diplôme adapté pour occuper le poste recherché. Mais ce détour scolaire s’avère inutile puisque l’année suivante les conditions d’accès sont modifiées…
Daouda entre alors dans la fonction publique territoriale, évolue, y monte les échelons et passe, en 12 ans, de la fonction d’ambassadeur de tri au sein de la mairie d’Aulnay-sous-Bois à adjoint au directeur propreté-cadre de vie dans la communauté d’agglomération de Plaine Commune. C’est ainsi qu’il développe sa précieuse expertise qui lui permettra de se jeter à l’eau en 2008 dans son quartier d’Aulnay-sous-Bois, Rose des vents.
Entre-temps, en 2001, il fonde l’Association professionnelle des ambassadeurs et coordinateurs du tri (APACT). « Je me souviens, Dominique Voynet alors ministre de l’environnement, nous avait incités à créer cette association et avait tenu parole pour nous soutenir dans cette action. » Aujourd’hui, âgé de 33 ans, Daouda s’implique toujours dans l’association en tant que formateur. En 2006 les directives européennes sur le traitement des déchets des équipements électriques et électroniques (D3E) sont transposées en droit français, les entreprises sont désormais responsables des vieux ordinateurs, téléphones et autres produits électriques.
Daouda est au courant de la nouvelle législation. Il s’attend à ce que les « grands » de la collecte et du tri s’engouffrent dans ce nouveau segment du marché des déchets mais rien ne se passe. Alors il se décide et créé Alliance & Co en août 2008 avec le soutien de la Maison de l’entreprise et de l’emploi d’Aulnay-sous-Bois. Les débuts sont chaotiques et compliqués. A l’heure du premier bilan, Daouda Sanogo, 33 ans, toujours Aulnaysien, reçoit le Bondy Blog.
Il nous accueille au siège social de la société qu’il a créée avec l’un de ses frères, Bassimory Sanogo. Ce n’est pas le bureau d’un PDG du CAC 40 installé au dernier étage d’une grande tour, mais plutôt un 15 mètres 2 sobrement équipé : une armoire pour stocker les dossiers, un bureau avec un ordinateur portable, une imprimante, un tableau véléda pour inscrire les projets en cours. Une idée porteuse, un camion et beaucoup de travail : le cocktail semble fonctionner puisque le premier exercice social présente un solde positif.
L’entrepreneur empoche des bénéfices, et doit même payer des impôts, alors que bien souvent les entreprises nouvellement créées sont à peine à l’équilibre et fréquemment déficitaires. En outre, cinq ans environ sont nécessaires pour s’assurer de la stabilité et de la viabilité d’une entreprise. A sa première année d’existence la société des frères Sanogo réalise une performance très encourageante.
La « petite entreprise » ne connaîtrait-elle pas la crise ? C’est fort possible. Le secteur est prometteur lorsque l’on sait que les Français produisent en moyenne annuelle 14 kg de déchets électroniques (du téléphone portable au réfrigérateur en passant par l’ordinateur, la console ou le réveille-matin) et que seulement 5 kg sont collectés. La marge de progression est colossale. L’activité d’Alliance & Co n’a ainsi cessé d’augmenter. En 2009 l’objectif de la société consistait à embaucher trois personnes l’année suivante ; au deuxième trimestre 2010 les candidatures de son deuxième recrutement sont sur son bureau. En période de rush l’entreprise recours à une société d’intérim d’insertion pour compléter ses effectifs.
Daouda se veut prudent : il reste encore plein de choses à faire et en premier lieu trouver des financements pour continuer de développer l’entreprise. Cette phase que les Anglo-Saxons qualifient de « private equity » est fondamentale pour une société. Au commencement de l’activité on fait avec les moyens du bord, puis au fur et à mesure il s’agit d’augmenter les capacités de l’entreprise, ce qui passe par des investissements matériels, humains et éventuellement en recherches et développement ; il convient aussi de développer la notoriété de la société.
L’augmentation du volume d’activité d’Alliance & Co, le recrutement de salariés permanents, l’acquisition d’un deuxième camion, le travail en partenariat avec des étudiants HEC pour peaufiner les prestations et la stratégie de développement de l’entreprise sont sinon en cours du moins en réflexion. A ce propos, il développe actuellement un nouveau service sur le réemploi des ordinateurs, lesquels passent désormais (dans la mesure du possible) du statut de déchet à celui de produits. Une procédure pour obtenir un label écologique est engagée auprès de la chambre de commerce et d’industrie de Seine-Saint-Denis.
Les moyens de financement peuvent prendre plusieurs formes : des aides et subventions publiques ou bien des investissements privés. A notre grande surprise, Daouda nous apprend que sa société n’a reçu aucune aide ou subvention verte. Pourtant la « green economy » a le vent en poupe. Avec l’impulsion du Grenelle de l’environnement en octobre 2007, de nombreuses mesures ont été prises telles les campagnes publicitaires, des dispositifs pour les particuliers qui améliorent leur habitat ou encore pour les énergies durables (éoliennes, panneaux solaires etc.).
Il semblerait que pour les entreprises innovantes dans ce secteur les mesures soient rares et surtout les d’informations peu disponibles, il faut donc partir à la chasse à la subvention. Daouda relativise cette situation : le secteur est encore tout neuf, l’obligation de tri et de traitement des déchets électroniques ne date que de trois ans en France, même si au niveau européen les débats et les décisions ont été prises beaucoup plus tôt. Tous les instruments de politiques d’environnement ne sont pas entrés en vigueur.
Daouda envisage avec précaution l’option des investisseurs privés : « Si un investisseur apporte des financements importants cela peut provoquer une pression sur les résultats financiers et puis je recherche plus qu’un simple apport de fonds. » Son partenaire idéal devrait manifester un réel intérêt pour l’activité de son entreprise et une implication personnelle, car la Sanogo company c’est un peu plus que la recherche du lucre, c’est aussi « un attachement profond aux problématiques de l’environnement ».
Le jeune entrepreneur crée des emplois (il envisage de se convertir en entreprise d’insertion). Il propose à sa clientèle composée de 60% d’entreprises et de 40% de collectivités territoriales (communes et communautés de communes) des solutions dans le traitement des déchets électroniques et électriques. « Mon expertise alliée à la souplesse de mon entreprise me permet d’innover, et pourquoi pas, de trouver de nouvelles techniques de recyclage, avec un dépôt de brevets à la clé. »
L’entreprise a failli ne jamais exister. « Si elle en est là aujourd’hui c’est grâce à mon frère, Bassimory, qui s’est investi dans ce projet. » Passer du public au privé, a été, en effet, assez compliqué en termes d’autonomie financière. Si les administrations publiques n’ont pas pour habitude de licencier leurs agents, les indemnités de chômage pour les agents de la fonction publique sont aussi rares que la semaine des trois samedis. Dans ces conditions, difficile de se lancer dans l’entrepreneuriat. Daouda a finalement accepté l’aide de son frère qui lui proposait de le remplacer quand son emploi du temps était surchargé. « On est très soudé dans la famille. »
Récompensé le 24 octobre 2009 par le prix Talents des cités, Daouda a été sélectionné comme membre du jury régional de ce même concours (dont le dépôt des projets est ouvert jusqu’au 31 mai prochain). Devenu ambassadeur de réussite, il est régulièrement sollicité par des entrepreneurs en herbe pour des conseils. C’est flatteur mais délicat : nouveau dans les baskets de chef d’entreprise, comment pourrait-il conseiller les autres sachant que chaque situation est différente ? Voilà encore un défi qu’il doit relever.
Juliette Joachim