Dimanche 9 juin, après avoir vu l’équipe de football de France se faire laminer 3-0 par le Brésil, Mohamed K. laisse exprimer les symptômes de la maladie dont il souffre chaque dimanche soir : le zapping, et tombe sur M6.
Pas d’enquêtes exclusives à l’horizon et donc de reportages « au cœur d’une mafia » quelconque, ni de prostituées. Mais un documentaire présenté par Melissa Theuriau, intitulé « Ils ont voté FN ». Ledit documentaire attire tout de suite mon attention tant il est vrai que celui-ci s’est intéressé aux nouveaux électeurs (non radicaux) du Front National. Par conséquent, je m’installe confortablement devant ma télé afin d’écouter les discours et voir si la recette est toujours la même : l’immigré c’est le diable et la France aux Français de souche.
Le documentaire commence par le portrait de Marie-Laure. Une mère célibataire de 40 ans, vivant à Fréjus dans le Var, qui élève toute seule ses deux enfants. Marie-Laure n’a jamais voté, ne s’est jamais intéressée à la politique et sa seule préoccupation était jusque-là de « sortir de la pauvreté », alors elle travaille six jours sur sept. Toutefois, elle a décidé de voté FN en 2012, lorsque sa demande de payer en deux fois son loyer a été refusée par la société HLM.
C’est donc à partir de cet épisode fort regrettable, vécu également par des immigrés, que le discours de cette dame, ayant eu un fils avec un algérien, a changé. « Les étrangers créent le chômage et prennent toutes les aides sociales » affirme-t-elle avec certitude. Je me demande alors comment on peut passer d’un tel épisode à la haine de l’étranger. Je comprends ainsi que le discours de ces nouveaux électeurs ne sera autre que la diabolisation de l’étranger. Par ailleurs, je manque de m’étouffer avec mon morceau de poulet lorsque cette nouvelle électrice du FN explique le choix du prénom de son fils. « Mon fils s’appelle Mehdi. C’est un prénom que j’aime bien, car il est plus doux que Mohamed et Rachid ». C’est ça aussi l’esprit Front National : de l’amalgame et des arguments à tout casser. Toutefois, je décide de contenir les symptômes de ma maladie afin d’aller à la découverte d’autres électeurs du FN.
Le documentaire s’intéresse ensuite aux défenseurs d’un couple emprisonné pour avoir tiré sur des jeunes maghrébins dans le Gard. Là encore, sans aucune distinction, on confond bien volontiers le musulman et la « racaille ». « Une racaille » qui serait toujours soutenue par la justice et l’Etat alors que le pauvre « français de souche » est condamné à tort. Surgit alors une autre particularité des électeurs du FN : opposer les uns aux autres tout en stigmatisant « l’autre ». Et dans un contexte de crise et de peur du chômage, le Front National joue facilement sur les frustrations afin de gagner de nouveaux électeurs. Cela est mis en évidence lorsque le documentaire s’intéresse au département de Moselle. Le FN y a multiplié son score par huit en cinq ans pour y atteindre 35% des votes aux législatives en 2012. « L’autre », c’est-à-dire l’immigré ou le français d’origine étrangère, est le principal coupable des maux du pays. Il est décrit comme un « branleur », un « fouteur de merde » qui « surpeuple » la France. Et pour s’en débarrasser, ces électeurs, qui assument leur choix, préconisent un « nettoyage » ou « un coup de balai ».
Au fil du documentaire, l’on se rend compte que les électeurs du Front National présents dans le documentaire ont fait ce choix, non pas à cause du programme proposé, mais parce que le discours servi était celui qu’ils voulaient entendre. L’on se dit alors que cela est fort regrettable, car la portée de ce geste peut être, de mon point de vue, dramatique pour le pays. Dès lors, ma maladie prend le dessus sur mes envies de découverte, ma main saisit machinalement la télécommande et zappe.
Mohamed K.
M’achèteriez-vous un allez retour Paris… Paris ?
Le dimanche soir et ses magazines d’actu aussi traditionnels que la grasse matinée du dimanche ou l’overdose de sucre au moment des fêtes. C’est donc par profond respect de la tradition que je m’installe devant ma télé ce dimanche avec une certaine hâte de voir la soupe infecte qu’on allait essayer de me faire ingérer ce soir-là. J’étais bien loin du compte…
Surprise ? Choc ? Désolation ? Ah non, Apocalyptique France voilà ce que je cherche en regardant ce triste spectacle empreint de sincère bêtise ce soir-là. « Nous sommes allés à la rencontre des ces électeurs du FN, ces Français à la vie ordinaire dont le vote a basculé vers l’extrême droite ». Et au fur et à mesure que le documentaire avance, je me crispe.
Il y a d’abord cette femme, la quarantaine plutôt bien conservée, deux enfants, vivant seule, pas assez pauvre pour toucher les aides de l’État, trop pourtant, pour mener une vie décente. « C’est quand l’office HLM m’a dit non que je me suis tournée vers le front national ». Ecoutez donc tous, Marine instaurera le paiement des loyers échelonnés pour tous une fois élue !
Un peu plus tard cette mère – toujours électrice du FN – explique que son fils s’appelle Mehdi. Paradoxe ? Non, pas du tout, son père est algérien, et le prénom ne sonne pas comme « Mohammed ou Rachid, agressif avec les ‘r’ » [le premier qui déniche un « r » dans Mohammed je lui offre un voyage au bout du monde, d’ailleurs, Barbara ça a combien de « r » ?!]. Les protagonistes échangent des regards gênés. Racisme décomplexé, avons-nous dit ? Mais ils n’osent même pas prononcer le mot qui leur brûle les lèvres « arabe » voilà ce qu’elle cherchait. Racisme décomplexé donc, mais pas trop quand même. Il ne faudrait pas qu’on puisse dire qu’elle a délibérément associé « arabe » et « agressif ». La triste réalité ? C’est que tout le monde devine très bien où cette bonne femme voulait en venir.
« Je ne reconnais plus mon pays »
Viennent ensuite ces jeunes gens du sud qui se sont fait tirer comme du gibier par un couple d’habitants (le mari est même fonctionnaire à la mairie !). « Ils nous ont pourchassés avec leur carabine pendant 3 quarts d’heure ». Je ne peux réprimer un énorme éclat de rire. Non, ce n’est pas une blague, il y a même un groupe de soutient qui a vu le jour pour la libération de ce couple à la volonté meurtrière.
Bien sûr, on nous invite ensuite dans le quotidien bien rangé d’un des jeunes pris pour le sanglier du village qu’on chasse un samedi ensoleillé. Ce jeune parle bien français, s’habille avec style, se dit musulman, sa mère travaille et ne porte pas le voile. « Vous comprenez ? – Non, on ne se reconnaît pas dans tous les faits divers d’aujourd’hui pour lesquels on nous tient responsables ». La France serait-elle devenue le pays de la simplification à outrance, pays des Lumières devenu pays des amalgames, des synonymes affabulateurs. Chaque minute de ce documentaire de plus d’une heure mériterait une analyse approfondie avec pour trame le cliché grossier d’un pays en crise. Avec tous les maux que cela comporte.
La France est devenue ce pays qui voit l’extrême droite grimper et dont les électeurs, proches d’une figure maternelle qui se veut rassurante, douce et en apparence plus nuancée que le père pensent qu’il n’y a plus aucun problème à affirmer leur xénophobie.
J’aimerai que ses mêmes sympathisants ou fervents militants sachent au moins définir les termes qui leur servent de cheval de bataille : laïcité, immigration, racisme, sécurité, banlieue, islam, étranger. Mais ce serait trop beau, il faudrait remettre en cause la suite logique : un jeune des cités est forcément basané, fils d’immigré sans travail ni activité, musulman extrémiste fidèle des mosquées.
J’aimerai mesdames et messieurs, partisans du FN, vous qui en êtes persuadés, pouvoir « vous savez bien, retourner dans (mon) pays », pour fuir cette France qui me fait peur. M’achèteriez-vous un allez retour Paris… Paris ?
Le documentaire est terminé, les absurdités se sont accumulées, de la djellaba fantôme à la volonté de chasser cette racaille en dehors de notre France à la diversité qui ne doit être que régionale et je me dis qu’au moins, pour ce soir, c’est fini. Ou pas. Le programme qui suit, une enquête sur l’incroyable succès d’Istanbul entre fête et religion pendant lequel on consacrera un large portrait à Jihad, riche juriste aux convictions extrêmes affichées et partagées .
Là c’est trop. A quoi joue M6 au juste ? Diffuser le premier documentaire alors que le pays s’émeut encore de la mort du jeune Clément, violemment battu à mort par des skinneds. Diffuser le second alors que la Turquie entame un tournant de son histoire. Hasard du calendrier ou objectif d’audience en manipulant des Français que l’on pense trop crédules ?
L’écran est désormais noir. La semaine prochaine, j’y réfléchirai à deux fois avant d’honorer une quelconque tradition !
Jihed Ben Abdeslem