Dans l’ombre de sa rivale, l’équipe du Red Star assume son emprunte depuis 1897. Ici tout est bon enfant et historique, surtout le stade qui en porte les stigmates. Mais pour rien au monde, les suppporters troqueraient leur stade contre un nouveau lieu, parce que Bauer, c’est « l’identité du club ».
Des rêves j’en ai beaucoup, et je vais en réaliser un pour la modique somme de 5 €. Je suis à Saint-Ouen, dans la tribune première Est du Stade Bauer. Tribune que les fans aimeraient renommer Rino Della Negra, joueur du Red Star et héros de la résistance fusillé le 21 février 1944. Tout un symbole. Enfin ! Je suis dans le stade du Red Star, club fondé par Jules Rimet en 1897, le fondateur de la FFF (Fédération Française de Football) et de la Coupe du monde.
J’admire le stade Bauer et son architecture à l’anglaise. Ce stade mythique créé en 1909, porte le nom d’un autre héros de la résistance : le Docteur Bauer. Un supporter me dit « ici tout est histoire », je le crois sur parole. Je jette un œil au mur décrépit et à la tribune inutilisable. La toiture d’une des tribunes s’est fait la malle. Le temps et l’histoire ont fait leur œuvre et le stade aurait besoin d’un sérieux coup lifting. Bien que peu épargné par les ravages du temps, je ressens une vive émotion, celle que l’on ressent lorsqu’on se trouve dans un monument légendaire. Bauer garde son charme. Je me sens comme envahi par son histoire. Je fais partie des Braveheart qui ont bravé la pluie, le vent et le froid pour assister au match qui oppose le Red Star FC au F.C. Bourg Péronnas. L’ambiance est magnifique. Les supporters donnent de la voix, en se serrant les uns contre les autres, et ce, de la première seconde de jeu jusqu’à la dernière.
L’anti Parc des Princes
Le club de national (3e division) a connu des hauts et beaucoup de bas. Le coach Laurent Fournier a été remercié il y a quelques semaines. Mais, la ferveur et la passion pour le football populaire que ressentent les supporter restent intactes. Pierre, un trentenaire qui supporte l’étoile rouge depuis l’âge de 9 ans, me décrit avec enthousiasme l’atmosphère audonienne : « tous les gens vont à la même buvette au Red Star. On est fier du fait que l’entrée au stade soit à 5€ et à 2,50 € pour les étudiants. Avec 10 € en poche, tu passes une soirée formidable. À la mi-temps on a encore le droit de sortir pour aller prendre une bière. C’est encore un des rares stades où tu peux te permettre ça. C’est combien au Parc des Princes ? Dix fois plus cher ! Pour rester assis et applaudir sur commande. Ici on n’est pas des princes mais on est libres. On se déplace comme on veut dans la tribune, on chante, on danse, sans avoir un million caméras de surveillance braquées sur nous. On assiste peinard à des matches de football d’un niveau plus que correct. Au bout du compte, en venant ici t’auras vécu une soirée sympa, abordable et t’auras rencontré du monde ».
Le stade Bauer c’est l’anti Parc des Princes. Il abrite, également, des ex-fans du PSG « les recalés du plan Leproux » qui découvrent dans la banlieue rouge une chose qu’ils n’ont jamais connu dans le 16e arrondissement de Paris : un public uni. Ce public porte une des valeurs essentielles du football populaire : la mixité sociale. Je croise également Mano un étudiant qui vit dans le Val de Marne, « je suis un fan de foot arrivé de Grèce il y a 2 ans. Ce que j’aime ici c’est l’ambiance des gradins. J’ai fait le tour de pas mal de stades. J’ai trouvé au Red Star des sensations dingues. Je n’ai ressenti ça nulle part ailleurs. Et depuis je suis accro ! ».
David un ingénieur retraité, accompagné de son fils et de sa fille, me fait part d’une crainte qu’ont tous les amoureux du Red Star « Bauer c’est l’âme de cette ville ! Qu’est-ce qu’on va foutre dans un autre stade ? Personne ne veut aller aux Docks. On est contre le foot business. Je soutiens à fond le combat du Collectif. »
Le Collectif des Amis du Red Star, c’est Vincent qui en parle le mieux, il est depuis 2 ans le président de l’association de supporters du club. « Notre association a vu le jour en 2003. Quand le club a failli disparaître ! On a estimé qu’il était important de s’organiser et d’avoir un club de supporters indépendant de la direction. » Il me parle de leur engagement : « on a volontairement axé notre mandat sur la défense du stade Bauer. On lutte contre une légende urbaine qui prétend que l’on ne peut pas jouer dans de bonnes conditions au stade Bauer. On a d’abord commencé à effectuer une campagne de sensibilisation auprès des supporters. Puis elle s’est étendue à toute la ville de St-Ouen et même au-delà. »
« Bauer is magic, man »
Malgré des débuts difficiles, avec un public résigné qui attendait la mort dans l’âme qu’un miracle se produise, la campagne du Collectif des amis du Red Star porte ses fruits. Le Stade Bauer est devenu un thème de campagne pour les élections municipales. Karim Bouamrane candidat PS aux municipales à Saint-Ouen annonce « la mairie souhaite construire un stade aux Docks. Nous pensons qu’il faut plutôt rénover le stade Bauer. »
À la fin du match comme tout bon supporter je me rends dans le célèbre bar en face du stade : l’Olympic. L’occasion pour moi de partager mes émotions avec les supporters, de refaire le match. J’échange quelques mots avec Akli, il sert des bières aux couleurs du club (bouteilles vertes avec une étoile rouge). Entre deux services il me dit « Tu sais p’tit ça fait 18 ans que je suis le gérant de ce bar. Les gens qui veulent s’endetter pour un nouveau stade et s’exiler aux docks n’ont rien compris. Si le club part de Bauer, il ne pourra plus s’appeler le Red Star, car il aura perdu son identité. »
Avant de quitter tout ce beau monde qui m’a traité comme un des leurs aussi bien dans le stade qu’à l’Olympic, je repense aux paroles d’un type authentique, tout comme sa gouaille issue des travées de Bauer, Pierre… « Malheureusement tous les stades finissent dans des espèces de No man’s land entre un Leroy Merlin et un Courtepaille. Alors qu’un stade en ville c’est un stade qui vit et qui fait vivre la ville. La ville doit se réapproprier le stade. Je me souviens encore l’an dernier, il y avait un match de foot entre les mères de famille de la ville. T’avais des daronnes cainf en boubou qui cavalaient pour mettre des frappes improbables. C’était beau ! ».
« Bauer is magic, man », c’est ce que disent les touristes allemand, japonais, anglais ou chilien qui tels des pionniers longent les puces pour voir un monument que les guides touristiques ignorent et qui pourtant, fait partie intégrante de l’histoire de la banlieue parisienne.
Balla Fofana