Douze nouveaux collèges ouvrent leurs portes en Seine-Saint-Denis à l’occasion de cette rentrée 2014. Parmi eux, celui de Stains, dans la quartier du Clos Saint-Lazare, où l’ancien bâtiment, Maurice Thorez, a disparu, au profit d’un établissement flambant neuf portant le nom de la chanteuse de Göttingen.
En matière de nombre le treize fait jaser : certains le craignent quand d’autres le vénèrent. Tandis que le douze revêt une symbolique forte. Ses échos sont nombreux : les douze coups de midi, de minuit, les mois de l’année, les apôtres, les titans, les travaux d’Hercule… Le Conseil Général de Seine-Saint-Denis entre dans la danse avec un numéro qui représente l’achèvement, du 5 au 18 septembre, il lance un plan de reconquête de ses collèges avec l’inauguration de 12 établissements construits ou rénovés dans tout le département.
Mercredi 10 septembre, 16h50 à Stains, c’est l’effervescence devant la grille du collège Barbara qui fait office de nouveau-né ; députés, élus du conseil général, élus de la municipalité, enseignants, parents et élèves jouent le jeu et portent un haut rose ou un Pin’s de la même teinte pour faire honneur au nouveau bahut. Impatiente, ravagée par la turpitude de l’excitation, la foule s’entasse devant la grille d’un bâti qu’une dame appelle : « le tout beau tout neuf ». La voix classée mezzo-soprano de Barbara fredonne la naissance d’un établissement éponyme et sonne le glas de la messe funéraire du feu collège sulfureux Maurice Thorez.
17h, dans le flot de paroles d’élus qui ouvre le bal de l’inauguration Dalila, la quarantaine et mère d’un élève de 6eme, a connu Thorez (créé en 1969) et se réjouit de la naissance de Barbara. « Barbara c’est le collège de Stains alors que Maurice Thorez c’était le collège du Clos [Saint-Lazare] ». Enthousiaste, elle poursuit : « On sent que l’accent a été mis sur le bien-être des enfants. Toutes les conditions sont réunies pour que nos gamins réussissent. Toute la ville en parle ! Ça va permettre aux gens d’ailleurs d’avoir une meilleure image du Clos ». Et si tous les Stanois chantent en refrain Barbara c’est qu’elle incarne le désenclavement. Situé à la sortie du Clos-Saint-Lazare, il est l’un des fers de lance d’un quartier en expansion, grâce à la construction de nouveaux logements et du centre commercial du square Molière prévu pour 2015. Azzedine Taïbi le maire de Stains salue ce décloisonnement : « le collège est ouvert sur la ville et la ville s’ouvre sur le collège ».
Chemise rosée, cheveux au vent, avec une barbe et une moustache dessinée avec la précision d’un critérium, un enseignant se charge de la visite guidée de l’établissement, sous les regards admiratifs et les pas timides de parents d’élèves qui osent à peine effleurer le sol blanc. Le jeune enseignant fait découvrir les salles de classe au design séduisant. La foule est conquise. Les mots tendances entre dans la danse : « numériques », « développement durable », « ergonomie ». Médusés, les visiteurs un brin nostalgiques parlent des ancêtres d’ordinateurs, de craies blanches, d’éponges, des tableaux verts non numériques, etc… Isabelle la quarantaine me confie que les parents avaient peur d’envoyer leurs enfants à Maurice Thorez, une autre mère de famille engagée dans la vie associative de la commune nous apprend que Barbara est victime de son succès et que des familles sont déjà sur liste d’attente. Marc de son côté est satisfait de voir que l’accent a été mis sur la sécurité : « Il y a des agents de sécurité à l’entrée ! C’est une bonne chose, on est plus rassurés. J’espère qu’ils ne vont pas se faire la malle après l’inauguration. J’espère également qu’ils ne vont pas laisser l’établissement se dégrader et qu’il y aura au moins une révision par an ».
L’inauguration prend « faim » dans le réfectoire avec un buffet, à base de petits fours, de brochettes de fruits et de boissons non alcoolisées, qui fait suite au discours des élus. Les futurs élèves parlent d’emploi du temps, de professeurs, des PC neufs et se demandent s’ils pourront aller sur Facebook sans que la page soit bloquée. Un groupe d’élève juge le collège. Les filles sont toutes d’accord sur la beauté de l’établissement et la chance qu’elles ont d’être des élèves de Barbara. Très vite entre deux gorgées de jus de pomme et d’orange les langues se délient. Tabono, une 5eme a connu Thorez. « Thorez c’était pourri ! » assène-t-elle avant de reprendre : « C’était moche, il y avait plein de fuites d’eau, le plafond faisait flipper, on ne pouvait même pas baisser les stores ». Lindsay nuance le propos : « Thorez c’était zermi mais il y avait de l’ambiance ! On faisait des clashs, on dansait, on se vannait. Barbara c’est trop calme. » Tabono opine du chef, « A Thorez on était une famille ici, c’est différent. On rigolait même si c’était vilain. C’était beau à l’intérieur et moche à l’extérieur ».
Si les parents louent le côté rassurant de Barbara, Steeve « le big brother » qui a retapé sa troisième voit d’un œil « Orwellien » l’emplacement du bureau du principal, de l’adjoint et du CPE qui ont tous fenêtre sur cour de récréation. Qui dit nouveau collège, dit nouveaux espoirs. L’équipe éducative fait de l’ambition et du sérieux leurs maitres mots. « Il y a du nouveau matériel, tout est beau. C’est bien, ça va nous motiver et nous rendre plus curieux » lance Fatou qui rêve de devenir pédiatre. Sara s’interroge sur le prix « Waaaah ! Ça a dû couter trop cher ! ». Une de maman répond : « Quand on aime, on ne compte pas. On est le département le plus jeune. Il faut bien investir dans l’éducation ».
Et si Stéphane Troussel réussit à faire voter à l’automne un nouveau Plan collèges 2020 « avec des restructurations et des rénovations pour environ 90 autres établissements », la Seine-Saint Denis enverrait un signal fort sur ses préoccupations quant à l’éducation, et ce coûte que coûte. Dans le 93, la célèbre formule de Abraham Lincoln semble avoir une longue vie devant elle : « Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayer l’ignorance ».
Balla Fofana