Les considérations sont partagées au quartier Youri Gagarine de Romainville (93) qui se tient dans un mouchoir de poche. En le visitant, il est même difficile d’imaginer l’organisation d’une entreprise de destruction, reconstruction, réfection. Les immeubles grisés par les années sont rangés comme dans un labyrinthe espacé par des plages de verdure et les parkings. Certains résidents se résignent « c’est la vie », plusieurs de leurs voisins se plaignent du déménagement, de la perte de surface habitable, peu d’habitants s’accommodent du changement. Seuls les commerçants se satisfont, en cette après-midi pluvieuse.
Pourtant près de 1190 personnes devront partir. Les habitants de la cité Youri Gagarine ont appris en 2013 que leur quartier allait faire l’objet d’une rénovation dans le cadre de l’Anru 2. Depuis, comme le dit le pharmacien du quartier, Patrick, la mairie a fait preuve « d’un manque de communication ». « Un problème de communication », selon lui permet d’expliquer les « réticences des habitants du quartier ». Patrick, comme d’autres commerçants du centre commercial du quartier « n’est pas au courant de la situation des habitants » des immeubles. Mais il est membre du tout neuf conseil citoyen mis en place depuis mars 2016 et « ne participe pas à toutes les réunions » d’information du quartier, uniquement celles le concernant directement.
Pour Frédérique, rencontrée devant l’école, mère d’une enfant scolarisée dans le quartier, si les décisions ont été prises après audition par « questionnaires », « la majorité n’a pas toujours raison ». Frédérique est assistante d’enfants en situation de handicap dans un collège des Pavillons-sous-Bois. Ce récent conseil citoyen a d’ailleurs été obtenu à l’issu d’un procès gagné par les habitants au tribunal administratif assignant les services de la mairie de Romainville, comme le signale M. Boughami Mohamed de l’association des habitants du quartier Spoutnik, autoentrepreneur dans la maintenance de matériels cafés, hôtels, restaurants.
La discussion s’installe avec entre deux murs du centre commercial avec Mohamed. Celui-ci est en bordure de l’avenue Lénine à la périphérie du petit cercle du quartier Youri Gagarine. La pluie a cessé depuis deux heures. Depuis 3 ans les habitants du quartier Gagarine ont dû se préparer. Neuf barres d’immeubles doivent être détruites. Ceux-ci B, L, H, J, K, C, D, E, F se composent chacun de plusieurs immeubles chiffrés, la mairie planifie leur destruction. Les tours A, I, G, de 18 étages doivent être « réhabilitées » . Selon les chiffres communiqués par téléphone par la direction du cabinet de la mairie, dans chaque logement du quartier Gagarine « 2,5 personnes vivent », « 781 logements » sont concernés, « 337 logements » sont situés dans les tours, « 476 logements » dans les immeubles détruits. Au total se sont donc près de 1950 personnes affectées directement par ce plan d’urbanisme.
« Est-ce que ça va tenir ? »
1190 habitants vont voir leur logement actuel détruit. 842 locataires doivent se préparer aux années de travaux et rompre avec le calme habituel. L’ensemble du quartier a été construit « sur des champignonnières » et « les tours sont en pente ». Mohamed Boughami vient saluer Monique en lui proposant de signer la pétition tenue en main par Céline, militante du DAL, alors qu’elle se dirige avec son caddie vers les magasins. « Ils vont démolir le reste. Est-ce que ça va tenir ? Moi je ne pense pas » s’alarme Monique, secrétaire médicale sur Paris. Ses soucis ne lui enlèvent pas le sourire, de toute façon elle a prévue de partir « dans le sud ».
Cette exposition aux risques du sous-sol concerne aussi l’argument avancé de promesse d’aménagement de « la pépinière » en base de loisirs. Effectivement, « ce sont des carrières » rappelle Loïc, un jeune d’une vingtaine d’années, casquette vissée sur la tête, marchant entre les immeubles bordant l’école maternelle. Il y a quelque années « un camion a reculé là, on n’a jamais retrouvé le camion ni le chauffeur » ironise-t-il. Mohamed Boughami complète « ils ont essayé de remblayer avec du sable, mais ça ne marche pas. Il n’y a aura jamais de base de loisirs ». L’école maternelle doit être détruite cet été, ainsi que la « friche industrielle, pour construire un groupe scolaire » commente Isabelle propriétaire d’un des commerces, en face du quartier Gagarine et membre du conseil citoyen.
Les enfants de l’école maternelle, de petite section et grande section, sont tenus de se déplacer à l’école du quartier Cachin à quelque 20 minutes de transport de leur quartier. Certes les parents des enfants scolarisés ont obtenu « des navettes » pour faire le trajet et puis il y a « le covoiturage » comme le met en avant Isabelle. Mais Karima, venue chercher ses enfants à l’école dont un suit sa scolarité à l’école Gagarine, interpelle « comment on va faire si on est en retard, on n’aura pas la navette. En plus le matin il y aura de la circulation ». Un autre de ses enfants est scolarisé aux Lilas, du côté opposé à Cachin. Si comme aujourd’hui « le chauffeur ne peut pas le ramener. Je devrai laisser mon enfant en garderie pour aller chercher le premier » et donc « payer ». Elle ne sait pas si dans sa « situation », elle bénéficiera « d’une aide » quelconque.
« C’est de la connerie »
Frédérique, elle travaille jusqu’à 16h, la fin des classes à Cachin est un quart d’heure plus tôt, elle ne pourra pas chercher son enfant à Cachin et devra « laisser son enfant en garderie jusqu’à 17h30 et donc payer ». Karima tranche « les travaux vont provoquer des poussières. Mon immeuble n’est pas détruit. Je ne déménage pas. Mais ils vont construire un immeuble juste en face à la place du parc déplaçant les jeunes qui se bagarrent. » Claudine, attend sous un arbre pour se protéger de la pluie devant l’école son ouverture. Elle est la femme du gardien de l’immeuble I, a six enfants, elle ajoute « c’est de la connerie », ils n’ont pas réfléchi à la structure du futur bâtiment. Le futur groupe scolaire doit superposer « la crèche, les petits et les grands. Quand les petits courront, les bébés seront en train de faire la sieste. Les grands courront à l’étage pendant que les petits seront au calme ».
Camille accepte de parler en descendant les escaliers sortant de la classe de la grande section de maternelle. Pour elle, mère de trois enfants, un à la crèche, deux à l’école maternelle, « c’est de la sectorisation de mettre tous les enfants dans le même bâtiment. C’est lourd de voir toute sa scolarité les mêmes têtes ». Très informatif, Mohamed Boughami met en lumière un paradoxe, la crèche qui vient d’être rénovée « pour un montant de 500.000-600.000 euros et va être détruite maintenant ». Mais ce n’est pas le seul projet inepte ajoute Mohamed, il y aussi « 10 millions d’euros pour les pompes à ordures ». Ces bennes à ordures enterrées doivent également être détruites avec le nouveau projet de l’Anru.
« C’est la vie. Il faut changer »
Dans l’après-midi, plusieurs parents à la sortie de l’école Gagarine semblent se détacher des projets qui leur sont faits. « Pour moi ça ne change rien » mentionne un père se déclarant pressé. « Ça m’affecte un petit peu. Mais c’est la vie. Il faut changer » commente le parent suivant. « Ils détruisent l’école pour faire autre chose » souligne David en vélo avec sa fille qui de toute manière « est en dernière section » et doit donc changer d’école. Nombreux sont ceux à ne pas être « au courant ».
L’école est pourtant en plein cœur du quartier Gagarine à proximité des jeux pour enfants. Globalement les habitants reprochent une perte de surface de logement pour un montant de loyer identique donc une élévation du prix au mètre carré. Surtout « les logements de Gagarine sont assez grands [100, 150 mètres carrés] ce déménagement n’est pas intéressant, il y a beaucoup de familles nombreuses » stipule Camille. Les logements actuels sont bien insonorisés, solides, plantés dans « du béton d’antan » précise Mohamed Boughami.
Mais les bâtiments construits dans les années 60′ vieillissent, « de l’eau qui rentre quand il pleut ». Rosine, mère venant chercher ses deux enfants à l’école, continue l’inventaire : « les ascenseurs sont toujours en panne »,« le chauffage central est parfois coupé ». Et certains comme Franck préfèrent « le gaz au tout électrique » pour faire « la cuisine ». Il vient de s’arrêter pour saluer Loïc. Celui-ci s’interroge « pourquoi les gens ne se satisfont pas quand il y a du changement ? ».
« Les espaces verts disparaissent »
Mohamed Boughami enchérit « le quartier est resté un mois sans téléphone, sans ascenseur, sans internet. Le câble avait été coupé dans ce bas pays ». « Les espaces verts disparaissent ». « Ils vont faire des toits végétalisés. On va pas faire jouer les enfants sur les toits. Les toits végétalisés c’est pour les avions. Ça sert à personne » ironise Mohamed Boughami. Et de conclure, « ils ont laissé le quartier se dégrader ». Pour « un micmac », servir « les promoteurs privés » ayant réussi à se préserver la construction de 800 logements destinés à des propriétaires individuels avec un montant du prix du mètre carré à la vente compris entre 5000 et 6000 euros le m² évalue Mohamed Boughami.
Il confirme cette tendance en déclarant que « les parkings seront privés », rétrocédés à des concessionnaires privés. « L’état n’intervient que pour nous envoyer des camions de CRS » finit-il, se remémorant l’intervention des CRS lors de la manifestation de soutien contre l’expulsion locative de la famille Diasiguy. Celle-ci avait régulé sa situation créancière. Durant cette manifestation Mohamed Boughami a été battu, subi une fracture au doigt et un mois d’arrêt de travail, en protégeant les familles devant 12 cars de CRS.
Claudine recentre la discussion, « nous avons jusqu’en 2027 pour déménager. Nous avons 10 ans ». Aussi les habitants demandent d’une manière générale « une rénovation pas une casse » comme la pétition, dont le DAL HLM et l’association Spoutnik sont à l’initiative, le relaie. « Et ça signe » certifie Mohamed Boughami, contre cette « tentative d’épuration sociale, de dégraissage ». « Ils vont être déplacés de force » a préféré déclaré Abou, la trentaine, promènant un petit chihuahua sous la pluie fine.
Face à cette situation un groupe de collectifs organise une marche samedi 4 juin 2016 partant de la Place de la République à 17 heures pour passer dans le quartier des Amandiers dans le 20e arrondissement, soutenir Lamine Dieng, puis aux Lilas. Le lendemain une marche vers le quartier Youri Gagarine est organisée à 14 heures et un concert à 16 heures au terrain de basket*.
Guillaume Montbobier
* Le groupe de collectif se constitue autour de Nuit Debout 2016 le comité DAL Spoutnik Gagarine, le comité Banlieues Debout, Ciné-Lutte, HK et les Saltimbanks, le Collectif Justice et Vérité pour Ali Ziri, le Collectif Urgence Notre Police Assassine.
Au quartier Gagarine à Romainville, les habitants veulent « une rénovation pas une casse »
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