Médine, rappeur de 33 ans, a beaucoup fait parler depuis son morceau « Don’t laïk » sorti en janvier 2015. Il nous reçoit dans sa douce ville du Havre. Création artistique, climat politique, lutte antiraciste :  un entretien franc et riche. Interview.

Bondy Blog : Si vous deviez vous présenter ?

Medine : Je suis un rappeur avant tout parce que c’est ma passion, c’est grâce à lui que je rencontre beaucoup de gens, grâce à lui que j’arrive à m’exprimer, que j’arrive à toucher les esprits et les affects. Donc, oui, rappeur, c’est ma fonction première. Je me définis par cette passion et cette vocation. Après, je suis aussi président d’association sportive sur la région du Havre, « Dont Panik », père de famille, époux.

Bondy Blog : Médine le rappeur, Médine l’associatif, c’est la même personne?

Médine: Je pense que oui. En même temps, dans le rap, il y a une dimension publique qui rentre en compte et forcément il y a des échos différents quand on a des prises de position. Mais je dois aussi faire attention car il y a des collaborateurs, des gens qui travaillent avec moi. Alors oui, je fais attention.

Bondy Blog : Attention ?

Médine : Le contexte est anxiogène vis-à-vis de toute prise de position politique aujourd’hui. Les camps s’affirment, et forcément l’opposition se met en route, dénigre et trouve toutes les imperfections car il y en a toujours. J’en ai fait les frais. Mais ça ne me repousse pas à avoir ces prises de position. Ca me pousse à repousser les limites de ce que je suis.

Bondy Blog  : Et à se remettre en question ?

Médine : Tout à fait ça.

Bondy Blog : Vous avez des situations précises en tête ?

Médine : Je pense à tout le débat sur la laïcité. J’ai produit un morceau « Dont laïc » en 2015 qui est à charge contre la laïcité dévoyée ou du moins contre ceux qui la dévoient. Dans ce débat-là, je me suis trouvé inaudible par ceux qui étaient visés dans le morceau, ce qui était prévisible mais aussi par des gens qui me suivent depuis un certain temps, qui connaissent mon travail et qui ont émis un doute sur mes intentions. Certains ont fait un amalgame en disant que j’étais contre la laïcité.

Bondy Blog : Et vous l’avez vécu comment ? C’était difficile à vivre ?

Médine : Je ne vous le cache pas, ce n’était pas simple à vivre. Il y a eu une part d’autocritique aussi. Je me suis demandé quelle était ma part d’erreur et quelle était mon analyse à ce moment-là. Au final, je me suis rendu compte que ce morceau était un prétexte pour m’attaquer dans ce que j’incarnais à leurs yeux : un rappeur, un barbu, qui habite qui plus est dans les quartiers c’est forcément un combattant de la laïcité. Dans ce moment-là précis, je devenais une incarnation commode, pour tous les camps d’ailleurs. Je me suis retrouvé au centre de cela. Cela m’a remis en question car cela a eu des répercussions sur mon entourage. Par exemple, toute mon équipe, 5 personnes dont mon épouse, a été contrôlée fiscalement, ce qui n’avait jamais été le cas avant. Pour moi, cela a un lien direct avec la publication de ce morceau.

Bondy Blog : Rien dans votre activité n’a changé et qui pourrait l’expliquer ?

Médine: Non rien, et on m’a clairement sous-entendu qu’il s’agissait d’une délation.

Bondy Blog : Qui ?

Médine : Je ne peux pas le dire. Ca c’est pour le côté administratif. Cela a aussi des répercussions sur mon métier, sur l’artistique. Les professionnels s’interrogent : est-ce que l’on peut inviter Médine en concert ? Qu’est-ce que cela susciterait si on l’invitait ? J’ai toujours été dans une dynamique de dialogue, dans toutes mes interventions, je n’ai de cesse de chercher à casser les barrières entre les gens. Et on m’enferme dans une forme de communautarisme marqueté. Cela en dit long sur le regard que certains posent sur les quartiers, et non pas sur ma production artistique qui reste pourtant fidèle à la culture française et à la tradition de la caricature et de l’irrévérence.

Bondy Blog : Un exemple de répercussions dans votre travail artistique ?

Médine : Dans mon processus de création, quand j’écris un morceau, je ne me mets aucune barrière, c’est très brut, c’est très irrévérencieux. Ces derniers temps, quand je pense à un projet A, je passe par la case B puis par la case C, celle de l’autocensure. Dans mon dernier album, que je suis en train de finaliser, ce processus est très handicapant. Cela me frustre énormément. Tout le monde est dans une forme d’autocensure, tout le monde pèse ses mots.

Bondy Blog : Concrètement cette autocensure sur votre travail, cela donne quoi ?

Médine : Par exemple, sur certaines phrases de mes textes, je fais la maquette comme je l’ai pensée au départ. Je fais tourner dans mon cercle de réalisation, pas plus de 5 personnes, puis les débats commencent. Ils peuvent prendre une semaine comme trois mois. Les situations s’apaisent parfois, s’enveniment aussi parfois. Quand c’est le cas, on prend une décision en se disant, là ce n’est pas possible, on ne peut pas avoir cette parole, ça risque d’être mal compris, segmenté.

Bondy Blog : C’est une forme de discrétion, non ? La fameuse discrétion..?

Médine : Ma première ambition a toujours été d’être ce coq droit qui revendique la liberté d’expression, jusqu’à la mort. Mon morceau « Speaker Corner » vante les mérites de cette liberté d’expression pour tous, pour les quartiers populaires, pas pour qu’une certaine catégorie de Français. Mais oui, c’est vrai je suis obligé de prendre en compte des paroles, il ne s ‘agit pas de discrétion il s’agit de précaution, contrairement à d’autres qui sont en totale roue libre, à des espaces où tout peut être dit, où tout le monde se lâche. Des espaces qui ne sont pas des lieux de débats au sens loyal du terme, au sens où celui qui ressortira vainqueur sera celui qui aura le mieux argumenté et pas celui qui aura le plus crié. Mais dans le même temps, dans la société civile, on voit très clairement une retenue de la part des gens qui se disent : « Je ne préfère pas discuter parce que j’ai des avis différents et je ne sais pas où cela va nous emmener ».

Bondy Blog : Vous avez l’air de le vivre personnellement?

Médine : Oui, je le vis moi-même avec des amis, aussi bien sur des sujets culturels, sociétaux que religieux, sur les différents courants qui constituent l’islam par exemple. On se rend compte qu’on ne préfère pas parler des sujets qui fâchent, on s’autocensure. Mais comment produire de nouvelles  idées à partir de positions campées sur elles-mêmes ?

Bondy Blog : Ce que vous dîtes c’est qu’il y en a certains qui sont autorisés à provoquer et d’autres non ?

Médine : Oui, et bon nombre d’artistes sont confrontés à cela. Il n’y a que quelque personnes qu’on autorise à l’irrévérence, qui peuvent tout se permettre, pousser la provocation et la caricature. Moi, je veux qu’on laisse à tout le monde la possibilité de faire la même chose. Au fond, « Dont Laïk » était une caricature inversée.

Bondy Blog: Sauf qu’ouvrir à tout va interroge aussi la responsabilité des diffuseurs ? Au fond, jusqu’où peut-on aller ?

Médine : On a tous une responsabilité, certains plus que d’autres, ceux qui s’adressent à un public plus que les autres. Moi, je me sens responsable dans ce que je fais. Il y en a qui devraient l’être plus que d’autres et qui ne le sont pas. Ceux-là sont dans une forme de rentabilité, du chiffre, cela alimente certains médias, les chaînes d’information en continu notamment qui ne veulent pas disparaître car la concurrence augmente. Alors, on relaie sans prise de distance, cela donne des erreurs comme avec l’affaire du burkini, des erreurs comme appeler Maghrébins des gens qui sont Français. Tout ça exacerbe les tensions.

Bondy Blog : Vous, ça vous exacerbe ?

Médine : Moi j’ai fait mon travail individuel, ne serait-ce que dans une diversité sociale et culturelle qui fait partie de mon ADN. Il suffit de voir comment est constituée ma famille, de quoi on se revendique, pour comprendre que je suis perméable aux idées de différence. Mon père pense différemment de moi, mon épouse, ses parents viennent d’une autre culture. Par mon ADN, je me prémunis de toute forme de communautarisme. Ce n’est pas un mode de vie que je promotionne ou que je me force à avoir, c’est naturel et j’en suis fier.

Bondy Blog : Comment expliquez-vous le décalage avec l’image que vous pouvez renvoyer ?

Médine : J’ai joué sur des provocations, des fantasmes volontairement. En ayant réussi aussi à susciter la curiosité de certaines personnes qui ont compris cette démarche et passer le cap de la simple provocation, j’en ai freiné d’autres aussi.  Malheureusement, la force de la discrimination et du rejet me semble plus forte que la force de l’acceptation.  L’heure n’est pas à la tolérance, on s’arrête à la première image et on acte cela comme immuable: « cette personne a ces idées-là à cause de ce morceau ». Il n’y a pas la tolérance de dire : « c’est de la provoc ».

Bondy Blog : On aime les choses fléchées car cela nous rassure dans les schémas des uns et des autres ?

Médine : J’aime les personnes tourmentées pour ces raisons-là comme l’avocat Maître Vergès, très tourmenté dans son personnage public. C’est ce genre de personnage que j’aime parce qu’il y a matière a nuancer les choses, à ne pas être dans du manichéisme. C’est ce genre de personne que je voudrais être, dans mon attitude, dans mon projet artistique. Aujourd’hui, il faut renvoyer à une idée simple, à un marché, simpliste, à mon grand regret.

Bondy Blog : Même le public est pris dans cette tourmente ?

Médine : Le public constitue ce marché et il répond à des codes qu’on lui impose. Ils est à la fois acteur et victime de ce phénomène.

Bondy Blog : En termes de création qu’est ce que cela implique sur l’artiste que vous êtes ?

Médine : D’être bordeline, plus à l’intérieur de la ligne qu’à l’extérieur. Provoquer pour provoquer n’a pas de sens, mais pour provoquer le débat, il faut sortir de la ligne pour y re-rentrer, y ressortir. Mais actuellement, ces campagnes menées contre toute forme d’expression de la part des quartiers populaires nous oblige à rester à l’intérieur des lignes.

Bondy Blog : Et vous, vous êtes d’origine arabe, des quartiers et musulman…Ca n’arrange rien..

Médine : Ca créé autant d’étiquettes. Parler d’islamophobie quand t’es musulman, t’as forcément un parti pris, on dit de toi que tu seras dans la défense aveugle de cette lutte. Peut-être que l’heure est arrivée à être « transcourant », qu’il y ait une convergence des luttes, entre lutte noire, asiatique, contre l’islamophobie, le racisme institutionnel, les conditions des gays, trouver ce  dénominateur commun. Une fédération doit se faire pour donner du poids à ce qu’on représente comme racisés.

Bondy Blog : La convergence de luttes, ce n’est pas nouveau et ça n’a jamais fonctionné ?

Médine : Je ne désespère pas. En fait, ce qui me fait peur, ce que je crains c’est que sur le long terme, on en vienne à capitaliser sur une souffrance d’une communauté ou d’une génération, qu’on devienne le rentier de cette lutte. On l’a vu par le passé, je pense au mouvement SOS Racisme.  Il y a eu une véritable capitalisation,  un carriérisme qui a pour base la souffrance. Sur le long terme, ce schéma que je connais m’effraie un peu. Sur le court terme, oui, il faut s’opposer, mais sur le moyen terme il y a une prise de conscience à grande échelle à avoir. Pour moi, une partie de la solution c’est la convergence : rallier différentes luttes, avoir différentes voix au nom de différentes problématiques. Par exemple, pour Nuit Debout, ça n’a pas fonctionné, c’est vrai, on voit bien que les quartiers prioritaires n’étaient pas touchés par ce mouvement, moi-même j’ai participé à Nuit Debout, je voulais voir si cela allait déboucher sur une convergence des luttes mais c’est un travail de très longue haleine.

Bondy Blog : Où vous placez-vous par rapport aux nouveaux mouvements anti-racistes ?

Médine : Je partage pas mal leurs idées en général, leur diagnostic de la société, de ce racisme d’état ; je participe à certaines actions quand elles me semblent pertinentes, aux manifs, aux soutiens, aux relais sur les réseaux. Après, je ne m’engage pas davantage en tant que membre d’une de ces associations;  j’attends de voir la proposition sur le long terme. Je vois qu’a court terme, cela installe un rapport de force nécessaire, mais j’essaye d’analyser ce que cela peut donner. Je me demande s’il ne s’agit pas d’une dynamique parisienne. Est-ce qu’elle concerne l’ensemble des territoires ? Il faut que ces mouvements comprennent aussi les problématiques autres que parisiennes.

Bondy Blog : On parle beaucoup de laïcité ces derniers temps. C’est quoi pour vous ?

Médine : Je ne sais plus ce que c’est la laïcité moi ! J’ai cru savoir quand on me l’a enseigné d’une certaine façon, dans le sens de sa lettre.  Pour moi c’était quelque chose d’inclusif, de permissif. Ca n’est plus le cas aujourd’hui. Aujourd’hui, c’est quasiment devenu un gros mot, on parle de laïcité comme on parle de double-peine de peine plancher. Cet outil qui devrait permettre aux musulmans d’exercer leur foi, ce même outil sert d’outil racisant et discriminant. Les gens pensent qu’on milite contre la laïcité, on essaye juste de l’exorciser, la déposséder de ses démons.

Bondy Blog:  Les étiquettes dont vous parliez.

Médine : Oui, certains adoreraient que je me communautarise. Pourtant, je suis le genre de mec qui va dans les forums, dans les conférences, qui s’implique en tant que parent d’élève, qui a des bonnes relations avec le corps enseignant. Dans la réalité, tout est différent, il y a les débats sur les plateaux télé, et il y a la vie, les débats avec les gens. En fait, ceux qui assignent à des identités supposées sont ceux qui deviennent radicaux, extrêmes.

Bondy Blog : Est-ce qu’être assigné à des identités oblige à faire des efforts pour ne pas être, à tout prix, à l’image que certains souhaiteraient de vous ?

Médine : Non, il n’y a pas d’efforts mais en revanche, je vais dans certains endroits avec une boule au ventre alors que ma présence est tout à fait légitime. Je ressens comme une espèce de dérangement en raison de ma façon de me vêtir, ma barbe, mon accent de provincial banlieusard. C’est le syndrome du colonisé. C’est un défaut sur lequel je travaille.

Bondy Blog : Il y a un peu de paranoïa aussi ?

Médine: Un peu oui même si, moi, je parle de syndrome de colonisé. Mais c’est vrai que parfois on place des personnes dans des jugements de valeur et des positions qu’ils n’ont peut-être pas. Grâce à des gens comme Mouloud Achour, Sarah Ourahmoune et d’autres, je me sens un peu plus à ma place à chaque fois. Quand je vois quelqu’un qui est lui-même dans des débats divers, ça me motive à rester moi-même plutôt que de perdre autant d’énergie à me normaliser. Ce qui me rassure aussi c’est que d’un coté ou de l’autre je suis très critiqué. Ce travail d’équilibrisme me permet de surplomber ce qui se passe sans prétention. Je suis exactement là où j’ai toujours voulu être, quelque chose de créatif qui parle au cœur, à l’âme, et en même temps l’impression que j’évoque des sujets importants pour moi-même, mes enfants, mes amis.

Bondy Blog : Quelles sont ces critiques ?

Médine : D’un côté, je serais quelqu’un qui pactise avec des gens pas fréquentables de l’autre, quelqu’un jugé trop souple dans ses positions religieuses, idéologiques, politiques. Je deviens la cible de ceux qui prétendent défendre les valeurs républicains et celle d’extrémistes liés à Daesh.

Bondy Blog : Vous allez voter en 2017 ?

Médine : Dans un morceau « Grand Médine » je disais « 2017 ce sera la guerre,  j’irais aux urnes en militaire, quand tu iras en dansant le twerk« . C’est un peu ma prophétie autoréalisatrice ! Mais oui, les élections, la campagne, me font peur. La tournure que prennent les discussions sur l’identité, la chrétienté, l’islam… Ma télé a grillé il y a 3 semaines, je me suis senti soulagé. Je ne vais pas en racheter, je ne vais pas la réparer, je ne veux surtout pas assister à ce temps de parole.

Bondy Blog : Votre nouvel album, il sera à l’intérieur de la ligne si je comprends bien ?

Médine: Juste sur la ligne, ni complètement à l’extérieur ni complètement à l’intérieur. L’album s’appellera « Prose élite », 13 morceaux. Il est en cours de finalisation et prévu pour janvier 2017.

Propos recueillis par Nassira EL MOADDEM

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