[LES BÂTISSEURS] C’est une classe pas comme les autres qui donne à s’exprimer par la voie de l’art pour celles et ceux qui se cherchent encore après décrochage scolaire, perte de confiance en soi et recherche vaine d’opportunités professionnelles. C’est l’association l’Envol d’Arras, dans le Pas-de-Calais, qui propose ces services civiques artistiques à 18 jeunes. Le Bondy Blog est allé à leur rencontre.
En poussant la grande porte en bois du 9 rue des Agaches, à Arras dans le Pas-de-Calais, Thomas, 22 ans, est installé à son bureau juste derrière la grande vitre du sas d’entrée. Veste noire et rouge à capuche, longs cheveux attachés en arrière, ce jeune passionné de catch au gabarit imposant s’occupe depuis quelque temps de l’accueil de Smart Grands Ensemble, une coopérative qui vient en aide aux jeunes entrepreneurs désireux de développer leurs projets. Si Thomas a démarré son poste en CDI ici en novembre dernier, c’est en grande partie grâce à l’association L’Envol et à son centre d’art, une structure créée par Bruno Lajara, 46 ans, metteur en scène depuis une vingtaine d’années. Et la fin d’une période de galère pour Thomas.
Après un bac pro commerce, Thomas avait en tête de créer son entreprise de jeux de société mais sans capital et vu son jeune âge, il n’a trouvé que des portes fermées. « Je jonglais entre la mission locale et le Pôle emploi jusqu’au jour où j’ai entendu parler d’Envol. Je ne faisais pas partie du secteur concerné mais grâce à une dérogation, j’ai pu postuler ».
L’art pour trouver sa voie
Ainsi de début avril à début novembre 2016, le Centre d’
Installé dans l’ancien réfectoire de la rue du Dépôt, L’Envol s’est battu pour avoir des subventions et surtout convaincre de la solidité du projet. Après plusieurs rendez-vous « l’État, le Conseil départemental et la Région ont finalement accepté de financer le centre”, détaille Bruno Lajara qui est accompagné dans sa mission par Laurence Deleury, la directrice administrative. Ainsi pendant sept mois, à raison de 25 heures par semaine, Thomas, Fanny, Julien, Marie ou encore Sarah ont passé leurs journées dans cette grande salle au mobilier de récupération qui lui donne un aspect très convivial et chaleureux. Le grand canapé en cuir de trois places, dont du gros scotch noir recouvre un trou dans le dossier, a été l’endroit préféré de Fanny, 21 ans, mère de deux enfants qui habite aux Blancs Monts, quartier populaire d’Arras.
“Le théâtre pour moi c’était un truc de bourges. Aujourd’hui, j’ai confiance en moi »
« En 2011, alors que j’étais en 4e, je séchais les cours avec ma copine Sarah. On passait notre journée à rien faire. J’ai ensuite eu un enfant mais en 2013, je ne m’en sortais plus. On me critiquait et jugeait sur ma situation. Sans argent et sans formation, j’ai alors tenté l’école de la deuxième chance mais ça ne m’a rien apporté. J’ai par la suite eu un deuxième enfant et ma situation était toujours la même jusqu’au jour où une amie m’a parlé d’Envol », se souvient cette jeune fille aux grands yeux bleus.
« J’ai été prise après un entretien et j’étais heureuse de me dire que je toucherai de l’argent. Mais au départ, ça ne me plaisait pas. Pour moi le théâtre, c’était un truc de bourges mais avec le temps et le travail de Bruno et l’équipe, j’y ai pris du plaisir. J’ai littéralement changé. J’ai aujourd’hui confiance en moi, je m’ouvre aux autres et je suis fière de ce que j’ai fait« . Après son service civique, Fanny a intégré une formation pour passer son permis gratuitement mais aussi pratiquer le handball. « Perrine, qui nous aidait à la mise en scène à L’Envol, m’a donné des conseils de lecture. J’ai un lien plus fort avec mes enfants, je ressors d’ici changée ».
“Mon esprit s’est totalement ouvert, j’ai un esprit d’équipe que je n’avais pas »
Son amie de galère, Sarah, 22 ans, a eu un parcours similaire. « J’ai arrêté l’école à 16 ans, en première année de bac pro restauration. L’uniforme, les horaires imposés, ce n’était pas fait pour moi », explique la jeune femme en survêtement et à la voix grave. « Je passais tout mon temps avec Fanny jusqu’à intégrer l’école de la deuxième chance aussi. J’ai ensuite fait un CAP cuisine en alternance. Plus intéressant et rémunéré, je m’y sentais mieux. Après ça, j’ai connu L’Envol grâce à un agent de la mission locale. J’ai carrément changé depuis. Je me suis ouverte aux autres. Mon esprit s’est totalement ouvert, je ne pense plus pareil”.
Avant, Sarah avait une image très négative des migrants qui arrivaient en France, au point d’en avoir des conversations musclées avec certains camarades. « Aujourd’hui quand je vois ce qu’ils vivent en Syrie ou d’autres pays, j’ai un regard totalement différent. Perrine et Bruno ont su me toucher vraiment. J’ai un esprit d’équipe que je n’avais pas. Ici c’est devenu ma famille », confie Sarah. Un sentiment partagé par tous les jeunes de la promo qui ont trouvé dans ce groupe une seconde famille et surtout, une confiance en eux qu’aucun ne semblait avoir auparavant.
« Ici, on pouvait vraiment parler »
Comment s’est faite la sélection des élèves par Bruno et Envol ? « Je n’avais pas de critères particuliers, j’ai surtout choisi les jeunes par ordre d’arrivée », assure-t-il, précisant qu’il a dû faire face avec chacun d’eux à un passé qui parfois refaisait surface : des gardes à vue, des tensions ou encore des problèmes familiaux. Comme ses camarades, Marie, 24 ans, originaire d’Arras-ouest, a été recrutée dans la première promo. La jeune femme a décroché du système scolaire en 2012, alors qu’elle était en classe de terminale. « Pour des raisons médicales, je n’ai pas pu suivre les cours et j’ai raté mon baccalauréat. Après une année de repos j’ai alors passé mon BAFA. Puis, il y a eu des problèmes familiaux et je me suis retrouvée en foyer pour jeunes. C’est là-bas qu’une amie m’a parlé du service civique d’Envol ».
Elle poursuit : « L’équipe a été au top avec nous, toujours à l’écoute et à nous encadrer. Ce n’était pas comme à l’école, ici on pouvait vraiment parler et surtout s’exprimer. Faire de la danse, du chant, du théâtre, des arts martiaux et même de l’audiovisuel avec des intervenants professionnels, ça m’a beaucoup plu. En juillet, grâce à un auto-financement, on a été au festival d’Avignon. Ça nous a changés« , explique Marie d’une voix timide, installée jambes croisées dans un fauteuil jaune aux accoudoirs déchirés. Après un début de formation dans l’accompagnement éducatif et social, elle a finalement arrêté, pas sûre de pouvoir s’épanouir dans ce domaine. « Je me cherche encore mais je veux travailler dans le social. J’ai envie d’aider les autres », conclut-elle.
Prochaine Classe Départ en avril 2017
Pendant les sept mois de service civique, les jeunes ont écrit un spectacle, afin de le produire en fin de formation. Chacun a ainsi écrit son histoire, qui a été jouée par un autre camarade de promo sur la scène lors d’une représentation devant un public. « Une façon de faire entendre leurs voix plus facilement. Parler soi-même de son histoire, c’est souvent plus compliqué », explique le metteur en scène qui a monté la pièce « Décrocheurs de lune » avec eux. Manière de mettre des mots sur les maux qui a plu à tous les jeunes qui ont tenu la formation jusqu’au bout. Certains ont décroché en cours de route, parfois rattrapés par leur passé.
La prochaine promotion de la Classe Départ débutera le 1er avril prochain. La campagne de recrutement a déjà commencé. Si vous habitez les quartiers Arras et que vous vous reon ne peut que vous y encourager !
Inès EL LABOUDY