Député de la 9e circonscription des Français de l’étranger depuis 2012, Pouria Amirshahi ne briguera pas un nouveau mandat en juin prochain. Une occasion pour le Bondy Blog de faire le bilan du quinquennat avec le député frondeur, qui a quitté le PS en 2016. Colonisation, violences policières, racisme institutionnel sont au programme de cet entretien fleuve.
Bondy Blog : Pourquoi est-il si difficile de dire que la colonisation a été un crime contre l’humanité ?
Pouria Amirshahi : C’est inadmissible aujourd’hui pour l’extrême-droite, la droite et une partie de la gauche, d’avoir à admettre, et ça coûte d’ailleurs cher au pays qu’ils ne l’admettent pas, ce qu’ont été les crimes coloniaux. Cette difficulté se voit à l’école ! Je pense que l’on transmet encore mal la colonisation même s’il faut reconnaître que les programmes se sont améliorés et que les enseignants y consacrent plus de temps qu’auparavant. On ne transmet pas la réalité de ce qu’était l’occupation. C’est-à-dire, l’esclavage, le commerce des hommes, la mort et la mise à mort des indigènes, le fait de les envoyer au front, de les massacrer encore après, à la Libération, à Thiaroye, à Sétif… Cette crispation sur l’Histoire nous fait perdre du temps. On est en 2017 et on a encore une polémique sur le sujet. Alors que ça devrait être évident : la France a commis des crimes, y compris au nom de la République. C’est ça, le plus grave ! Le reconnaître n’est pas une honte, n’est pas un fardeau. Au contraire, c’est sans doute le meilleur moyen de renouer, ou de nouer parfois même, des relations authentiques et sincères de coopération dans tous les domaines et dans les pays qui se sentent, à juste titre, encore aujourd’hui victimes des spoliations antérieures. Mais ce n’est pas seulement important à l’égard de l’étranger, c’est-à-dire des anciennes colonies. C’est aussi important pour des millions des citoyens français qui sont les héritiers de ces histoires-là. Et qui vont se retrouver souvent perturbés, et parfois de mauvaise façon, parce qu’on ne leur a transmis l’histoire telle qu’elle était. Alors du coup, ils vont chercher leur propre vérité ailleurs et par d’autres moyens. Et donc, ils vont être dans un rapport de conflictualité permanent à l’égard de leur propre pays, la France, qui laisse installer une musique stigmatisante. « En fait, t’es pas des nôtres ! Tes parents ne l’ont pas été, et toi-même, tu ne le seras pas ». Ce sont ça, les conséquences de ce blocage des élites françaises à l’égard de la colonisation et de ses suites.
Bondy Blog : Le projet de loi de sécurité publique, adopté à l’Assemblée, aligne les règles de légitime défense des policiers sur celles des gendarmes, il assouplit les conditions d’utilisation d’armes des forces de l’ordre ; il double les peines prévues pour outrage aux forces de l’ordre. Ce texte est-il dangereux ?
Pouria Amirshahi : Il est dangereux d’abord parce qu’il intervient à un moment où l’État d’urgence s’applique encore. Il y a, de fait, les pleins pouvoirs de police. Et je n’exagère pas en parlant des pleins pouvoirs de police, c’est-à-dire, qu’ils vont parfois jusqu’à une absence de retenue dans les techniques d’interpellation. On l’a vu avec Théo, mais de manière générale, quand on débranche le juge judiciaire au profit du juge administratif, et que c’est à la police qu’on confie l’essentiel des prérogatives de « maintien de l’ordre », alors notre démocratie est très fragile. Deuxièmement, cette loi est dangereuse parce qu’elle vient s’inscrire dans un édifice plus global, un monstre juridique qui a été construit depuis très longtemps, entamé sous Sarkozy, et accéléré par Manuel Valls quand il était Premier ministre, qui a vu cumuler des lois antiterroristes, des lois dites renseignement – en fait de contrôle de la population – et des dispositions renforçant les capacités à agir. Cette loi étend l’irresponsabilité du policier lorsqu’il tire à vue. Troisièmement, c’est dangereux sur le contenu. Le Défenseur des droits le dit lui-même : lorsque la loi autorise les policiers à tirer dans des conditions nouvelles et supplémentaires, vous renforcez un sentiment d’impunité. Or, il n’est pas nécessaire aujourd’hui de faire une loi pour que les policiers aient à se défendre. Il y a un principe juridique qui est inscrit dans le code pénal et qui s’appelle légitime défense. Même le directeur général de la police, Monsieur Falcone, reconnaît qu’en l’état du droit, du code pénal, n’importe quel policier peut déjà agir, s’il était attaqué, pour se défendre. Cette loi a été faite après Viry-Châtillon, mais aussi après l’assassinat du couple de policiers à Magnanville. Le ministre lui-même avait dit d’ailleurs que « c’était une loi qui venait d’une colère » et qui servait à « reconnaître le travail de la police ». Mais la loi n’est pas là pour faire du management de ressources humaines ! On n’est pas là pour reconnaître le travail des agents de police, des agents de la fonction publique hospitalière. Une loi pose des règles, etc. Surtout, on ne fait pas une loi sous le coup de la colère, la colère est mauvaise conseillère, surtout dans ce domaine-là.
La France a une police surarmée. Ce n’est pas le cas de toutes les polices du monde. Et c’est d’autant plus dangereux en France qu’elle a connu un glissement vers une pratique policière plus répressive, plus brutale, sans que la doctrine ait vraiment été reformulée. On est passé de la mise à distance, après 68 jusqu’aux années 90, à l’affrontement direct. On l’a vu récemment avec les manifestations contre la loi Travail. Mais je pourrais citer d’autres exemples de manifestations. Aussi, les grenades de désencerclement, les flashball, les LBD. La brutalité prime aussi dans certaines interpellations individuelles. Tout ça peut conduire à la mort. Rémi Fraisse, il est mort. Adama Traoré en est mort. Il n’est pas mort par hasard ! La France connaît cette dérive-là, cette dérive sécuritaire, ou l’interpellation directe, la confrontation avec la population est préférée à la médiation ou à la désescalade. Ce glissement vient de loin. Pour la droite sécuritaire, ça a commencé avec Pasqua en 1986. Et à gauche, Valls a été évidemment le marqueur de cette dérive néo-conservatrice. Ça s’est traduit sous Valls à travers des lois liberticides mais aussi par la révision d’un texte important : le code de déontologie de la police. Quand Pierre Joxe était ministre de l’Intérieur, ministre socialiste, il avait fait un code de déontologie parce qu’il n’y en avait pas. Déjà à l’époque, il avait sans doute en tête les bavures. Dans son article premier, Pierre Joxe, qui n’est pas un laxiste (il a été ministre de la Défense, de l’Intérieur), pose comme principe que le policier intervient d’abord en tant que « garant des libertés individuelles ». C’est la première phrase du code de déontologie. Cette phrase-là, en 2014, dans le nouveau code de déontologie fait sous Valls, elle saute. Deuxième évolution inquiétante, la version Joxe du code de déontologie affirmait que le policier intervient « dans le cadre de la loi ». Sous Valls, le policier intervient pour « faire respecter la loi ». Ce qui, évidemment, n’est pas du tout la même chose. Autrement dit, on est passé des gardiens de la paix aux forces de l’ordre. La police devrait être une force de médiation, qui dialogue, qui coopère et qui use éventuellement, en dernier ressort seulement, de la coercition. Ça fait partie des missions de police. Le pire de tout ça est que, évidemment, ça affaiblit la démocratie, ça mine la confiance avec les citoyens, ça ne fait qu’aggraver un climat social hypertendu. D’autant que les premières victimes des violences policières, ce sont ceux qui vivent la ségrégation sociale doublée du racisme. C’est-à-dire, les quartiers populaires. La réalité du racisme y est omniprésente. Je rencontre des policiers qui me disent : « Oui, mais vous ne pouvez pas généraliser ». Je veux bien ne pas généraliser, mais il faudrait commencer par condamner. Aujourd’hui il faut poser les questions : quelle est la politique du maintien de l’ordre aujourd’hui en France ? Personne n’en parle. Deuxièmement, comment contrôle-t-on la police ? Parce que sans contrôle véritable, c’est l’impunité qui règne. Et l’impunité, c’est la loi du plus fort. Celui qui a une arme, celui qui a le pouvoir, etc. Et c’est pour ça que j’ai demandé et obtenu, je suis content de l’avoir fait, avec Noël Mamère, député écologiste, que Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, saisisse le Défenseur des droits. Ça permettra de refaire doctrine, en fonction du respect des droits et des libertés, et pas seulement en fonction des seuls principes de sécurité.
Bondy Blog : Justement, vous avez demandé avec Noël Mamère la saisine du Défenseur des droits à laquelle le président de l’Assemblée nationale, a donné un avis favorable. En quoi peut-elle être une réponse satisfaisante ?
Pouria Amirshahi : Elle n’est pas unique mais elle est bien pour plusieurs raisons. D’abord, il y a des familles de victimes de violences policières qui le demandent parce qu’elles sont ulcérées qu’il y ait de fait une exonération souvent faite aux policiers. Il y a un indicateur de cela, c’est que 99,5% des procès faits pour outrage ou rébellion donnent raison aux policiers. Or, on sait que souvent, un procès fait pour outrage ou rébellion vient d’un contrôle qui s’est mal passé, qui inverse la charge de responsabilité vers le citoyen qui est contrôlé, qu’on accuse de rébellion ou d’outrage alors qu’il a protesté de son bon droit. Ensuite, c’est essentiel d’avoir un texte de référence. Qu’il soit un texte plus juridique qui éclaire la prochaine Assemblée nationale sur ce qu’il convient de faire en matière de maintien de l’ordre et de police. Aujourd’hui, la police française n’édite aucune statistique sur les crimes et délits commis par les policiers ! C’est proprement hallucinant. Je crois que ça doit être une des seules polices des démocraties libérales qui ne le fait pas. Ce que j’attends du Défenseur des droits, c’est qu’il pose des éléments de doctrine, qu’il fasse la comparaison avec les autres pays européens, où ça se passe bien, où c’est plus apaisé. On a besoin de ça pour sortir du culte de l’uniforme, pour sortir de cette vision verticale, autoritaire, brutale de la police, qui n’est pas qu’une vision, mais une réalité aujourd’hui. Je trouve stupéfiant que les politiques, et surtout les gouvernements qui se succèdent, trouvent que c’est irresponsable, que c’est un crime de lèse-majesté de remettre en cause la police. C’est notre rôle. Je veux bien qu’on confie à la police des pouvoirs de police. Mais à la condition qu’on garantisse à chaque citoyen concerné un contre-pouvoir, d’une capacité de contrôle et de sanction. Sinon, c’est dangereux.
Bondy Blog : Comment vous analysez ces violences policières ? Dénoncez-vous une méthode raciste dans la police ?
Pouria Amirshahi : La discrimination se vit en plus par le prisme du racisme dans les quartiers populaires. Bien sûr que le racisme existe dans la police, il existe d’ailleurs partout dans notre société. Et dans la police peut-être plus qu’ailleurs. Qu’est-ce qui me permet de l’affirmer ? Les chiffres d’abord. Lorsque vous êtes presque 10 fois plus contrôlé parce que vous être Noir ou basané, on appelle ça du racisme. On peut bien sûr faire des euphémismes : « C’est un préjugé racial, c’est une discrimination au faciès. Ça s’appelle du racisme ! Un des boulots des gradés de la police, c’est de faire le ménage sur ce sujet-là. Si on avait gardé un code de déontologie qui dans son article 1 faisait référence aux libertés individuelles et au rôle fondamental de la police, comme un pilier de la République et pas simplement une force de répression, vous auriez tout de suite eu un déclenchement de procédures après chaque dérapage ou bavure. Ça n’a pas été fait. Et ce, d’autant plus que vous confiez le rôle à des policiers de l’IGPN. Parfois, ils font des rapports qui donnent raison aux victimes. Mais en général, ça finit dans l’atténuation progressive de la faute de l’agent et quelques années après, on n’en parle plus.
Bondy Blog : Avez-vous subi des contrôles qui ont mal tourné ? Avez-vous subi des violences policières, personnellement, ainsi que vos proches ?
Pouria Amirshahi : Certains de mes proches, oui. Mes amis, j’en ai vu qui ont été maltraités. Ça commence par le tutoiement. Puis ça finit parfois très mal. Il faut savoir tenir ses droits, revendiquer sa citoyenneté devant un policier. Il faut aussi trouver des alliés dans la police. Je conseille à ceux qui lisent cette interview de revendiquer leurs droits en tant que citoyens français, à être traités comme les autres, et de chercher aussi à impliquer les autres policiers autour, qui souvent se taisent, parce qu’un de leurs éléments les plus virulents se laisse aller aux pires des provocations. Moi aussi, je les ai vécus de deux façons. À la fois en tant qu’étranger, immigré, victime de violence policières, notamment dans l’humiliation de contrôle d’identités vexatoires. Quand je me faisais contrôler, je montrais ma carte de séjour par exemple, et ça a parfois mal tourné. Avec des propos inadmissibles de la part de policiers et de la lâcheté des autres policiers, qui se taisaient. Ça ne m’est pas arrivé tout le temps, mais ça m’est arrivé. Deuxièmement, ça m’est arrivé en tant que manifestant. J’ai beaucoup manifesté dans ma vie. Et j’ai vu, j’ai assisté, j’ai subi des violences policières en tant que manifestant. J’ai vu d’ailleurs ce glissement entre les techniques de mise à distance et les techniques de provocation. Car il y a deux types de violences policières : il y a les violences à l’encontre de manifestants, de syndicalistes, de journalistes, qui étaient capables d’émouvoir une partie des intellectuels français. Mais il y a aussi d’autres violences policières. Celles des quartiers, celles des contrôles au faciès, qui émouvaient beaucoup moins. Cette fois le mouvement social traditionnel rencontre l’émergence d’un nouveau militantisme dans les quartiers et la convergence des deux commence à s’organiser, et c’est bien.
Bondy Blog : Est-ce que vous conseilleriez à vos enfants de raser les murs pour ne pas susciter l’attention de la police comme le disent beaucoup de parents dans les quartiers ?
Pouria Amirshahi : Non. Ma fille a 21 ans. Elle a l’âge de juger par elle-même et de ne plus écouter les consignes de son père. Elle était à Bobigny lors du rassemblement samedi. Je ne sais pas si elle était à Barbès mercredi soir. Je lui ai juste dit de faire gaffe, pour pas qu’elle soit prise dans une situation qui peut déraper. En tant que parent, c’est ça qui n’est pas normal. C’est qu’on commence à avoir peur de ce qui peut se passer dans un contrôle d’identité qui tourne mal. Parce qu’il y a des parents, maintenant, qui commencent à avoir peur de la police pour leurs propres enfants. C’est terrible d’en arriver là.
Bondy Blog : Certains s’offusquent que l’on parle de racisme institutionnel en France. Utiliseriez-vous ces mots ?
Pouria Amirshahi : Oui, il y a un racisme institutionnel. Mais je ne suis pas pour dire que l’État français est un État raciste. Parce que ce n’est pas vrai. Ou plus exactement, je pense que si on condamne le racisme institutionnel, qui est réel et que je reconnais, il faut toujours aussi se dire qu’on a la chance de vivre dans un pays où les droits sont inscrits dans la Constitution, où le racisme est banni, normalement, et condamné par la loi. Donc, la République française n’est pas raciste, au contraire. Elle est antiraciste. En théorie. On a encore des lois qui permettent de combattre le racisme. C’est largement suffisant…si on peut user de ses droits.
Le racisme existe aujourd’hui dans tous les secteurs de la société, donc aussi dans une partie de l’élite française qui est aux commandes de l’État et qui est aux commandes de certaines institutions. Après, la question, c’est comment le combattre ? Comment on le fait reculer ? Comment on le sanctionne ? Comment on le dénonce ? C’est par le droit mais aussi par un changement d’éducation. Le refus du racisme ordinaire, qui n’est pas seulement un racisme de bistrot, contrairement à ce qu’on raconte. Il y aussi un racisme de salon avec des gens très « propres sur eux ». Et d’ailleurs, c’est une question qu’on a relativisée parce qu’on parle plus, c’est vrai, d’islamophobie. Et elle est réelle, ce n’est pas moi qui vais vous dire le contraire. Mais on va parler de discrimination, on va parler de ségrégation. Or, c’est du racisme. Or, c’est de ça dont il s’agit aujourd’hui. Des concitoyens, parce qu’ils sont noirs ou basanés, sont aujourd’hui discriminés. Ça s’appelle du racisme. Et ça s’inscrit parfois dans des pratiques publiques, même inconsciemment.
Bondy Blog : En France, beaucoup dénoncent ce qu’ils appellent « communautarisme ». Vous qui êtes député des Français de l’étranger en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest, avez-vous constaté un communautarisme français ?
Pouria Amirshahi : Ça m’a toujours fait doucement rigoler, tous ces gens qui s’offusquent de ce qu’on appelle le communautarisme. Mais ils ne s’en offusquent pas quand les communautés françaises à l’étranger s’organisent entre elles. Parce qu’il y a, effectivement, une communauté française organisée dans chacun des 16 pays de ma circonscription. Et qui se réunit en tant que Français, à travers différents clubs associatifs, politiques ou citoyens. Mais c’est en tant que Français qu’ils s’organisent. Ils ont bien raison de le faire parce que c’est l’expression de leur citoyenneté à l’étranger. Ça ne m’a jamais choqué par exemple qu’à l’époque de mon engagement syndical, les travailleurs tunisiens, les travailleurs marocains, en tant que tels, se réunissent et s’organisent en France. Ça n’empêche pas d’ailleurs les Français qui vivent là-bas, en immersion, d’être parfaitement intégrés à la société dans laquelle ils vivent. Contrairement à ce qu’on pense, ce ne sont pas seulement des expatriés qui vont vivre durant quatre ans, le temps d’un contrat professionnel ou d’une mission publique, mais ils sont immigré là-bas. Il y a beaucoup d’immigrés français à l’étranger. Tout ça doit être dit pour que chacun voit la contradiction que véhicule les crispations identitaires excessives de certains qui passent leur temps à stigmatiser l’étranger ici, chez nous.
En France, on fait de la lutte contre le communautarisme le nouvel étendard républicain. Qu’est-ce qu’on entend par communautarisme ? Vous avez 10 Noirs qui vont être dans la rue, en train de discuter, c’est du communautarisme. Vous avez 10 blancs qui discutent dans un café, c’est une bande de potes. Ce n’est pas normal. On ne taxe de communautariste que ceux qui ne sont pas blancs et qui se regroupent parfois entre eux ! Mais j’ajoute que même certains regroupements communautaires sont plutôt agréables : qu’il y ait des mariages marocains, des fêtes traditionnelles chinoises, le nouvel an iranien, etc. Je trouve ça plutôt joli que les Portugais défilent aux Champs-Élysées pour fêter leur victoire en Coupe d’Europe. D’ailleurs, qu’est-ce qu’on aurait dit si c’était l’Algérie qui gagnait la Coupe du monde et si des Franco-algériens ou des Français étaient sortis avec le drapeau algérien ? On voit bien que c’est de l’hystérie. C’est de la revanche postcoloniale. On me dit souvent « Vous savez, les Portugais, les Espagnols, les Italiens, les Polonais, avec eux il n’y a pas eu de problème alors qu’avec les musulmans, les Arabes ». Ils n’ont pas été colonisés, eux. Ce n’est pas le même débat qu’on a. C’est pourquoi eux, dont vous avez colonisé les parents, qui sont aujourd’hui des Français à part entière, vous dites toujours que ce sont des Français à part. Voilà d’où vient le problème. Cette accusation de communautarisme, elle sert toujours à renvoyer en marge de la société et de la nation, ceux qui sont pourtant pleinement partie prenante de la nation française, qui sont des citoyens à part entière, et pas à part. Du coup, le débat sur le communautarisme est toujours dans le sens des dominants qui veulent exclure de la société ceux qui, pourtant, ont pris racine et qui sont pleinement Français. C’est un débat qui est très malsain. Parce que tout le reste, ce n’est que du fantasme de pure propagande d’extrême-droite, qui consiste à faire croire que les affinités culturelles seraient un danger pour la République, qui perdrait son unité. Mais la république, elle est aujourd’hui, par sa modernité, pluriculturelle. Et je vais même dire, la France est cosmopolite de fait. Et c’est tant mieux ! Que ça ne plaise pas à tous les tenants d’une laïcité dévoyée parce qu’elle est devenue revancharde, tant pis. Et que d’une certaine façon, je l’espère, le cri d’orfraie de tous ces réacs ou nouveaux réacs “de gauche” ne sont que la queue de comète d’une crispation de l’histoire qui est en train de les balayer de toute façon. Par la sociologie. Il y en a qui vont dire “c’est le grand remplacement” mais ils se font peur. Cela fait peur aux gens. C’est redoutablement efficace comme propagande. Mais elle fait face à quelque chose de bien plus solide, c’est la réalité. La réalité est toujours plus solide que tous les arguments du monde. C’est la vérité. Et la vérité, c’est que la France est multiculturelle et c’est tant mieux ! C’est mon opinion. Il y en a qui le regrettent, mais moi, je trouve ça beau.
Bondy Blog : Quel est le pire moment que vous avez vécu : le débat sur la déchéance de nationalité, le soutien de Manuel Valls a des maires FN ayant interdit le port du burkini, les femmes portant le voile, comparées à des « nègres qui étaient pour l’esclavage » de Laurence Rossignol ?
Pouria Amirshahi : Il faut absolument que je choisisse ? Difficile de départager car les trois moments que vous citez sont le reflet du tournant néoconservateur d’une partie de la gauche française. D’une certaine façon, heureusement, Manuel Valls en a été sanctionné récemment. Dans ce domaine, tout le bilan de Manuel Valls et de son gouvernement est une catastrophe. Je rejette en bloc son bilan, son action dans ce domaine-là. Et je pense qu’il a fait beaucoup de mal en voulant confondre la République avec l’ordre, alors que la République, c’est le droit et les libertés. Je rappelle que c’est de ça que procède la Révolution française. Que son combat sur la laïcité, dont on en parle à travers le débat sur le burkini, était totalement dévoyé et qu’il a fait du mal parce qu’il a donné raison aux thèses les plus conservatrices et les plus réactionnaires.
Bondy Blog : Sur une échelle de 1 à 10, à quel niveau évaluez-vous le bilan du quinquennat de F. Hollande ?
Pouria Amirshahi : Trois. Je précise pourquoi. Parce que, non seulement, c’est un échec sur plusieurs sujets mais il a également fait des choses qui n’étaient pas prévues et qu’il n’aurait jamais dû faire. Et aussi pour une raison fondamentale, c’est qu’il n’était pas au niveau. Il n’était pas à la hauteur. Je suis loin de penser que le bilan d’Obama était bon, à commencer par ce fait que son bilan a donné l’arrivée de Trump. Et ça, personne ne veut en parler. C’est quand même un problème. Mais il s’est hissé au niveau. Il s’est intéressé à l’intelligence collective, à l’intelligence des individus. C’est ça, le rôle d’un président de la République. Il y a Fernand Braudel qui disait une chose très juste : « Si moi, j’étais président de mon pays, en fait je gouvernerais peu. Je regarderais, j’observerais les grandes tendances à l’œuvre dans mon pays, en extraire le meilleur pour prendre des décisions utiles ». C’est ça que l’on attend d’un président de la République. Mais que s’est-il passé durant cette période ? À part une grande loi, l’égalité devant le mariage, quelques bonnes mesures, et un discours intéressant à Alger sur les mémoires de la colonisation, basées sur des relations de domination injustes, tout le reste a oscillé entre le renoncement, la médiocrité et pire parfois, l’infamie, on l’a vu sur certains sujets.
Bondy Blog : Comment analysez-vous la victoire de Benoît Hamon lors de la primaire de la Belle alliance populaire ?
Pouria Amirshahi : La victoire de Benoît Hamon est bienvenue. D’abord, elle règle un contentieux, démocratique, mais elle le règle. Et c’est une satisfaction de voir qu’on peut avoir toutes les controverses du monde, à un moment, il y a un juge de paix qui s’appelle l’électeur. Et il nous donne raison. Donc, ça tourne la page Valls. Et c’est bien. C’est une bonne nouvelle aussi parce que la campagne de Benoît était intelligente et rafraîchissante. Je me réjouis qu’il ait pu porter des questions que je porte depuis longtemps, sauf le revenu universel : le rapport à la bienveillance, la question démocratique, la question de l’égalité, la lutte contre les discriminations. Premier tour, Hamon-Montebourg réunis, ça fait 54%. Ça a clos un débat dont on nous avait dit pourtant qu’il nous était défavorable, nous les soi-disant « frondeurs ». Alors qu’on était en fait la majorité du peuple de gauche. Il faut que ça se confirme après. Ce n’est pas la présidentielle non plus, mais c’est bien. Ça ne change rien sur ce que je pense du PS et de la Belle Alliance populaire qui n’est ni belle, ni une alliance véritable et qui n’est pas populaire du tout. Je crois que le Parti socialiste, comme tous les partis en général, sont abîmés.
Bondy Blog : Estimez-vous qu’une coalition rouge-rose-verte peut se faire pour l’élection présidentielle ?
Pouria Amirshahi : Je la souhaite mais elle ne se fera pas pour plein de raisons liées à la logique de la Ve République. Il peut y avoir un accord entre Jadot et Hamon, plus probablement qu’entre Jadot et Mélenchon. Sauf si un événement imprévu s’impose à tous. Mais pour l’instant, non. En revanche, un accord pour les législatives, oui. Je le dis depuis le début. Il faut d’abord un accord de gouvernement, de majorité. Ce qui compte, ce n’est pas de s’en remettre à un homme. C’est ce que disent Hamon et Mélenchon d’ailleurs. Pas d’homme providentiel. Ce qui compte c’est le collectif, etc. Il faut donc s’en remettre à plein de lieux, d’espaces de démocratie, à inventer et à construire ; mais aussi à l’Assemblée nationale qui est la maison du peuple. Le sujet est : à qui donne-t-on le plus de pouvoirs ? Je pense par ailleurs qu’il faut un contrat de gouvernement. On peut appeler ça la gauche plurielle, le Front populaire du 21e siècle. Bref, il faut trouver un label qui rassemble tous ces gens-là. Et c’est possible que l’on se rassemble tous. Autour de cinq-six questions majeures. C’est possible sur la transition écologique ; c’est possible sur la lutte contre les discriminations ; c’est possible sur l’école ; c’est possible sur la politique étrangère, même si c’est compliqué à faire ; et c’est possible sur l’Europe.
Bondy Blog : Vous ne comptez pas vous représenter en juin prochain, de même que vous avez quitté le Parti socialiste en 2016. Est-ce à dire que vous avez le sentiment d’avoir échoué personnellement ?
Pouria Amirshahi : Pas d’échec personnel du tout. Ce sont deux décisions distinctes. J’ai quitté le Parti socialiste parce que ça me taraudait depuis longtemps. Et je l’ai fait au moment où j’ai constaté qu’on ne pouvait plus changer le Parti socialiste. D’ailleurs, je n’avais pas envie de passer mon temps à changer un parti qui était passé de l’autre côté. Je préfère mettre mon énergie à défendre directement mes idées plutôt qu’à essayer de convaincre dans un parti que des parties de mes idées sont bonnes. Et je ne pouvais plus cautionner ce qu’ils ont fait et continué à faire. Notamment sur la sécurité. Ne pas me représenter, c’est autre chose. Ce n’est pas du tout, pour répondre à votre question, une lassitude ou une frustration par rapport à l’Assemblée nationale. Je pense que j’ai fait mon boulot, je l’ai fait totalement. Je continue à le faire jusqu’à la dernière seconde. Je crois avoir fait des choses utiles dans le rapport à la loi, dans le rapport à la politique. Mais j’ai fait aussi, en tant que législateur, par des amendements. J’ai été rapporteur d’une loi. J’ai fait un rapport d’information sur la Francophonie, voté à l’unanimité. Et enfin, en tant que député de terrain, j’ai fait beaucoup de rencontres dans mes déplacements, et je crois avoir été utile à des gens. En gros, j’ai bien rempli mon mandat.
Alors, après, pourquoi je ne représente pas ? Deux raisons se sont percutées. La première, c’est une raison de santé. Je suis malade. Quand on est malade, on fait attention. Ça m’a peut-être sauvé d’être dans la suractivité mais il fallait que je lève le pied. La deuxième raison est que je ne voulais pas m’enfermer dans le scaphandre de l’Assemblée nationale. J’avais envie de retourner dans le monde du travail. Je suis militant depuis toujours mais j’ai toujours eu un boulot à côté. On dit souvent : « Lui, c’est un apparatchik, il milite depuis longtemps ». Oui, je milite depuis longtemps mais j’ai toujours bossé. J’ai été travailleur social, j’ai été dans la culture, j’ai travaillé dans le développement durable, j’ai été au chômage deux fois. Chacun ses parcours de vie. Et je pense aussi qu’à un moment donné, il ne faut pas s’accrocher. Je ne suis pas indispensable. Il y a d’autres compétences, d’autres parcours qui peuvent faire des choses utiles. Ça ne veut pas dire que j’arrête de militer. Je continuerai. J’ai toujours été engagé. Ça ne veut pas dire que je ne me représenterai pas une autre fois. Ça veut juste dire que je m’arrête, je retourne dans le monde du boulot. Il faut que je cherche un travail.
Propos recueillis par Jonathan BAUDOIN
Crédit photo : Amaury Lignon