Quand notre jeune reporter Miguel Shema décide de devenir végétarien, il est loin d’imaginer toutes les remarques auxquelles il aura droit. Billet d’humeur (et gros coup de gueule).
Ça y est, je me suis lancé : je me suis mis au végétarisme. Ça doit faire bientôt un mois que j’ai arrêté de manger de la viande. Le déclic ? Les nombreuses vidéos choc de l’association de défense des animaux L214 sur la maltraitance des bêtes, et tous ces livres, ces rapports qui mettent en lumière notre surconsommation de viande, la pollution liée à l’élevage industriel, la production de fourrure, les massacres d’animaux dans le monde, ou encore la faculté des animaux à éprouver de la compassion envers d’autres espèces…
Pour toutes ces raisons, j’ai décidé de prendre mon courage à deux mains et de sauter le pas. Enfin, progressivement : j’ai d’abord commencé par ne plus manger de viande. C’est la première étape. Le véganisme, c’est pour plus tard. Chaque chose en son temps !
« Tu arrêtes de manger de la viande, même le poulet ? »
Me voilà nouveau membre de la célèbre secte des « bobo-gauchistes », comme on aime à les appeler ou en tout cas comme on aime à les caricaturer. Je m’étais donc préparé à entendre tout et n’importe quoi. J’avais alors soigneusement réfléchi à des réponses toutes faites pour remettre à leur place ces nutritionnistes du dimanche qui demandent constamment aux végétariens : « Mais où vas-tu trouver toutes les protéines nécessaires ? Et ça n’est pas dangereux pour ta santé ?!! »
Surprise : l’apport des protéines n’était finalement pas ce qui préoccupait le plus les personnes au fait de mes nouvelles habitudes alimentaires. Non, non, ça ne les inquiétait pas plus que ça. Ils se sont davantage préoccupés de ma consommation de poulet. Oui, parce que c’est bien connu : les Noirs aiment le poulet ! D’ailleurs, comment pourraient-ils s’en passer ? Ce préjugé raciste, je me le suis pris en pleine face il y a quelques jours. Nous cherchions un restaurant avec des amis. C’est à ce moment-là que je leur ai appris mon végétarisme. À la place du « mais comment tu vas trouver les protéines ?! » auquel je m’attendais, j’ai eu droit à « mais tu arrêtes de manger de la viande, même le poulet ? » J’ai d’abord pensé que c’était du second degré, alors qu’il s’agissait d’une véritable interrogation à laquelle j’allais être confronté de nombreuses fois.
« Mais le végétarisme, c’est pas un truc de Blanc ? »
Voilà les remarques auxquelles j’ai droit depuis un mois : « Ça veut dire que tu ne vas plus au KFC ?« , « Tu sais, je plaisante, mais quand même, un Noir qui arrête de manger de la viande, et du poulet en plus de ça, ça n’est pas courant ! », « Ah mais tu es le premier Noir végétarien que je connais, c’est dingue…« , « Donc les Noirs peuvent aussi être végétariens… Je ne savais pas que vous aussi vous faisiez ce genre de truc« , « Mais le végétarisme, c’est pas un truc de Blanc ? »
C’est fou tout de même que le racisme arrive à se nicher même dans quelque chose de si anodin que le végétarisme. J’ai mis du temps avant de me rendre compte qu’il s’agissait d’une forme de racisme. Au départ, on en rit puis ça nous exaspère et enfin on se rend compte que c’est du racisme. On nous essentialise, on nous réduit à des clichés et à des comportements qui seraient propres à notre couleur de peau. Mon expérience n’est pas unique et elle peut s’appliquer à toutes les minorités. Tous les asiatiques n’aiment pas les nems, tous les maghrébins n’aiment pas le couscous, tous les Noirs n’aiment pas le poulet. Les propos que vous tenez ne sont pas légers et sous couvert d’humour vous transmettez des clichés, ce n’est pas parce que vous n’adhérez pas à l’idéologie raciste que ce que vous dites ou faites ne l’est pas.
Miguel SHEMA