Le Bondy Blog : Dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, vous évoquez l’impact sur les personnes contrôlées, notamment le sentiment de « ne pas être à sa place » pointé par de nombreuses associations. Qui avez-vous consulté pour préparer votre projet de loi ?
Eric Coquerel : On a consulté à la fois des victimes de contrôles, les familles de Théo et d’Adama, des associations, des personnes de la plateforme « En finir avec les contrôles au faciès », des avocats, des membres du syndicat des avocats de France (SAF) et du syndicat de la Magistrature, Amnesty International, la Ligue des Droits de l’Homme, des élus, tels que Esther Benbassa et Pouria Amirshahi, des collectifs, dont l’Open Society Foundation etc.
Le Bondy Blog : Quelles sont les remontées ?
Eric Coquerel : Ce qui remonte de manière claire et évidente, c’est que tout ce qu’indiquent les associations, les chercheurs, les sociologues, se vérifie, qu’il s’agisse des études du CNRS, celles du Défenseur des Droits. Vous avez entre 12 et 20 fois plus de chances d’être contrôlé si vous êtes Noir ou Arabe. Tous les gens qu’on a rencontrés et qui sont contrôlés fréquemment le confirment. On a un phénomène de discrimination qui est dans les chiffres et dans les faits, personne ne peut le contester. D’ailleurs personne ne le conteste, y compris l’ONU qui a pointé la France sur la question de profilage ethnique, lors de son examen périodique des droits de l’Homme.
On a aussi rencontré l’avocat Slim Ben Achour qui œuvre beaucoup sur cette question et qui à partir de cas de jeunes, a réussi à faire en sorte que la Cour de cassation a jugé en novembre 2016 que l’État français était responsable de discrimination lors de contrôles d’identité. Tout se vérifie dans ce qu’on nous raconte. On l’a vu notamment en ce qui concerne un jeune qui s’appelle Mamadou, d’Épinay-sur-Seine. C’est vraiment un cas absolument frappant et qui synthétise bien les problématiques. En sortie scolaire avec leurs enseignants, Mamadou et deux de ses camarades se font contrôler, à la sortie du Thalys, parce que clairement, ils sont Noirs. Ils se font non seulement contrôler mais palper, fouiller, mis à l’écart de la classe, de plus en plus rudement parce que cette fois-ci ils ne l’admettent pas, alors que d’habitude ils l’admettent, tellement ils se font contrôler fréquemment dans leurs cités. Mais là, ils ont honte, il y a une question d’humiliation. Du coup, ça se durcit avec la police, la tension monte, et si les enseignants n’avaient pas été là, je ne sais pas comment l’affaire aurait dégénéré. Ce qui est frappant, c’est que les enseignants ont persuadé leurs élèves de porter plainte, sinon, ça ne leur serait pas venu à l’idée, tellement pour eux le contrôle d’identité est devenu une norme. Il y a une plainte déposée vis-à-vis de l’État. Et pour l’instant, la réponse de l’administration policière, c’est le fait qu’à la sortie du Thalys, il y avait plus de dangers liés à la question du terrorisme ou du trafic de drogue qu’ailleurs. Ces jeunes ont été contrôlés en lien avec un contexte qui justifierait des contrôles, comme ça, au hasard, et comme par hasard, ce sont des Noirs et des Arabes. Un jeune de la plateforme « En finir avec le contrôle au faciès », disait avec justesse que le matin, il n’avait pas forcément envie de se réveiller en pensant qu’il était Noir, mais un citoyen français comme les autres. Les contrôles d’identité fréquents le renvoient finalement à une définition ethnique de ce qu’il est. On vous impose par ce biais-là de vous sentir différent des autres.
Le Bondy Blog : Quelles sont les informations que vous souhaitez faire figurer sur le récépissé ?
Eric Coquerel : Le numéro de matricule de l’agent, le motif du contrôle, la date et le lieu, avec un système qui garantit l’anonymat de la personne contrôlée. Ça ne permet pas de dire « Attention, j’ai un récépissé, donc je ne peux plus être contrôlé ». C’est souvent ce qu’on nous oppose, mais ce n’est pas ce qu’on demande. Ça permet d’objectiver quelque chose qui aujourd’hui est fortement ressenti. Vous avez dans les quartiers des gens qui sont contrôlés 2, 3, 4 fois par semaine. Si les mêmes agents contrôlent d’une manière périodique les mêmes personnes, une association ou des élus peuvent s’en occuper, moi je fais ce travail à certains moments dans ma circonscription. Ça permettrait quelque part d’interpeller l’administration, voire de porter plainte, puisque le récépissé est une pièce qui pourra être mise devant la justice, une pièce qui fera foi. Ça permettrait d’avoir une notion de contrôle et même de réaction collective par rapport à un fait qui s’avérerait problématique. Du côté de la police, ça oblige d’abord à mettre le motif et donc à s’intéresser aux raisons du contrôle. Ça leur permettrait aussi d’avoir des statistiques un peu plus fines sur le nombre de gens contrôlés et l’efficacité de ces contrôles, ce qu’on a de manière parcellaire aujourd’hui. Du côté des personnes contrôlées, ça permettrait justement de plus contrôler l’administration policière et de pouvoir réagir en cas de répétition flagrante qui n’a aucun rapport avec un quelconque motif.
Le Bondy Blog : Revenons justement sur les raisons des contrôles. Le premier article de votre proposition de loi prévoit de modifier l’article 78-2 du Code de procédure pénale, ce afin de préciser qu’un contrôle d’identité ne doit être effectué que pour des raisons « objectives et individualisées », remplaçant la formulation actuelle « raisons plausibles ». Qu’entendez-vous par « raisons objectives et individualisées » ?
Eric Coquerel : Il faut que le contrôle ait un lien avec un motif qui concerne possiblement la personne contrôlée, un motif qui peut rendre nécessaire un contrôle. Reprenons l’histoire du jeune Mamadou. L’administration nous répond qu’il est contrôlé pour des raisons à contexte global, le terrorisme ou le trafic de drogue. Ça ne concerne pas sa personne, ni une affaire à élucider dans le train dans lequel il était. Le fait que ce soit objectif et individualisé aurait rendu ce contrôle possible si, par exemple, il y avait eu dans ce train, un vol, une effraction violente, quelque chose de lié concrètement à l’endroit où se situent les personnes. Et non pas un contexte global où vous pensez que parce que vous allez contrôler telle personne, vous allez peut-être tomber sur quelqu’un d’intéressant dans le cadre d’un contexte global.
Il reste quand même une marge d’appréciation. Mais justement, le fait d’être obligé de marquer le motif sur le récépissé, à un moment-donné, vous êtes plus contraints par la loi. D’habitude, la police ne répond pas. Là par l’action des avocats et des enseignants de Mamadou, on est arrivé au stade où ils sont obligés d’écrire. S’ils écrivent par exemple « Nous avons interpellé cette personne parce qu’en Ile-de-France il y a eu une augmentation de trafic de drogues », vis-à-vis de notre loi, ce ne sera pas un motif admissible. Il faudra que le motif soit lié à ce qu’il s’est passé juste à côté, dans la cité ou dans un train etc. Le premier article de notre proposition de loi répond à des catégories juridiques, en pensant toujours qu’on est dans le cadre où le récépissé peut faire foi dans un tribunal.
Le Bondy Blog : Le deuxième article de la proposition de loi présente les conditions : une expérimentation d’un an du récépissé de contrôles d’identité, sur des territoires volontaires, puis un rapport permettant d’apprécier l’opportunité de généraliser ou non. Quels sont les résultats des expérimentations dans d’autres villes européennes ?
Eric Coquerel : Je vous explique d’abord la raison pour laquelle on passe par l’expérimentation. Nous, on pense qu’il faudrait que ce soit généralisé dès maintenant. Il y a suffisamment d’études qui montrent que c’est utile. Seulement notre loi, on veut essayer de la faire passer. François Hollande avait promis le récépissé, il ne l’a pas fait. Emmanuel Macron explique qu’il y a trop de contrôles d’identité en France et qu’il y a un problème de discrimination, il l’a dit pendant sa campagne. On estime qu’on est dans un contexte où le problème, au moins, est accepté. A partir de là, comment on essaie d’avancer, sachant que nous ne sommes pas majoritaires ? L’expérimentation nous paraît comme un bon levier. Parallèlement, il y a une autre expérimentation qui a lieu sur la question des caméras, que les policiers peuvent enclencher lors d’un contrôle. Elle nous paraît insuffisante car c’est le policier qui enclenche et il n’y a pas de traçabilité pour la personne contrôlée. Mais comme il y a une expérience de ce côté-là, pourquoi ne pas expérimenter le récépissé, et à la fin on comparera. On passe par l’expérimentation en espérant avoir une majorité.
Les résultats des expérimentations d’autres villes européennes sont excellents, notamment en Espagne ou en Angleterre. Partout, on observe une amélioration tangible des rapports entre la population et les policiers. Il faut comprendre que le contrôle d’identité est discriminatoire mais qu’en plus, il ne sert à rien. Dans les études, y compris celles venant de la police, dans l’Hérault et le Val-d’Oise en 2014, 5% des contrôles débouchent sur une suite. Et encore, dans les 5%, est intégrée parfois la poursuite faite à cause du contrôle, soit l’outrage à agent. Si 95% des contrôles ne servent à rien, c’est cher, ça mobilise du temps de fonctionnaires. En Espagne, avec l’expérimentation, le taux d’élucidation est passé de 6 à 17%. Il y a moins de contrôles, mais ils sont plus efficaces.
Le Bondy Blog : Si les territoires sont volontaires, n’y a t-il pas le risque d’introduire un biais par le fait que ce soit au bon vouloir des communes ? Ne faudrait-il pas expérimenter dans les territoires où il y a le plus de contrôles au faciès ou de plaintes ?
Eric Coquerel : On s’est dit effectivement qu’il fallait que cela vienne de collectivités qui connaissent le problème et qui sont volontaires. A un moment-donné, il faut bien circonscrire à un terrain. Si c’est une expérimentation, sans volontariat, ça nous semble compliqué de la mettre en place, si tout le monde n’est pas d’accord, n’a pas envie d’y participer. Aujourd’hui, les villes qui sont favorables sont des villes dans lesquelles la question du contrôle d’identité sans motif, au faciès, est très fréquente.
Le Bondy Blog : Des villes de Seine-Saint-Denis par exemple ?
Eric Coquerel : Certains maires ont signé la pétition, le maire de Saint-Denis, le maire de Stains. Je suppose que ça vaut engagement. Il y a aussi le maire de Villeneuve-Saint-Georges dans le 94, par le passé Dijon était favorable, voire Paris. On pense facilement recueillir quelques dizaines de villes qui accepteront de faire l’expérience. L’idée c’est qu’une ville le vote au conseil municipal, puis s’adresse au préfet, qui en vertu de la loi, sera obligé de mettre en application l’expérimentation.
Le Bondy Blog : Votre proposition de loi a été rejetée en commission des lois mercredi 24 janvier. Quels étaient les arguments contre ?
Eric Coquerel : Il y a deux styles d’arguments. Pour aller vite, il y a des députés Les Républicains, qui sont contre par principe en expliquant que c’est une loi anti-flic, une loi de défiance. Et qu’on ferait mieux de rassurer la police dans ses missions et d’arrêter de la remettre en question. C’est une réaction qui joue sur le réflexe sécuritaire et qui est démagogique, car ce sont les mêmes qui ont supprimé 13 000 policiers et gendarmes sous Nicolas Sarkozy. Les leçons venant de gens qui ont affaibli matériellement la Police nationale, ça ne tient pas. Les arguments des députés En Marche sont différents. Eux sont plus sur le thème « Il y a problème, on est d’accord, peut-être pas autant que vous le dites mais il y a problème. Il y a une expérience en cours avec les caméras. On verra par la suite« . Avec quand même la vieille idée que le récépissé serait compliqué à mettre en place mais on ne sait pas trop pourquoi. Vous stationnez mal votre véhicule, vous avez un papier. Le contrôle d’identité est le seul acte administratif qui n’occasionne pas de trace écrite. Ils nous disent que c’est coûteux mais ils sont prêts à mettre des tablettes et des caméras sur chaque équipe de policiers ! Ces arguments nous étonnent un peu. Je pense que l’argument principal qu’ils ne nous disent pas, c’est qu’ils n’ont pas envie d’affronter le corps de la police, qui c’est vrai, est globalement majoritairement contre.
Le Bondy Blog : Justement, avez-vous consulté les forces de l’ordre pour la préparation de votre proposition de loi ?
Eric Coquerel : On a vu le syndicat VIGI, l’ex-CGT Police, qui est minoritaire. On voulait interroger des policiers mais on avait très peu de temps et il y a une telle procédure qu’il nous aurait fallu des semaines devant nous. En réalité ce qu’on voit notamment en Seine-Saint-Denis, c’est que le contrôle d’identité est le moyen d’investigation du pauvre, c’est-à-dire quand vous n’avez pas les moyens en termes d’hommes et de matériel pour de vraies enquêtes. Et en même temps vous êtes jugés sur le chiffre, on ne dit pas que c’est le chiffre, on appelle ça le résultat, mais c’est la même chose. Quand vous êtes dans cette situation, le contrôle, c’est simple. Vous n’avez pas à marquer de motif et c’est aussi une façon de s’imposer et de dire « On est là, on existe ». Il y a un manque de moyens partout. Pour nous c’est principalement parce qu’on a détruit la police de proximité, qui faisait partie de la population, et je pense qu’on paye tout ça.
Le Bondy Blog : Le 1er février aura lieu la niche parlementaire de votre groupe parlementaire (LFI). Le récépissé a été une promesse de campagne qui n’a pas été tenue par François Hollande. Avez-vous le soutien de parlementaires socialistes ou d’autres groupes ?
Eric Coquerel : Les Communistes et Nouvelle Gauche nous soutiennent.
Retrouvez la seconde partie de cette interview à 14h sur le Bondy Blog
Propos recueillis par Rouguyata SALL