Quelques jours après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, une centaine d’associations féministes ont uni leurs forces pour créer le mouvement « alerte féministe ». L’objectif est d’inciter à faire barrage à l’extrême droite dont le programme menace les avancées féministes.

Souba Manoharane-Brunel fait partie de ce mouvement. Entrepreneuse engagée pour la justice climatique et fondatrice de l’association les Impactrices, elle lutte contre la sous-représentation des femmes dans le débat écologique. Un combat qui vise aussi les inégalités raciales. Aujourd’hui, elle nous explique les enjeux des prochaines élections législatives pour les luttes féministes. Interview.

Comment est né le mouvement « alerte féministe » ?

Il est né spontanément quelques jours après l’annonce de la dissolution, sous l’impulsion de la Fondation des femmes. On unit nos forces pour contrer l’extrême droite, car on sait qu’il y a urgence.

On sait que quand l’extrême droite arrive au pouvoir, elle ne le lâche pas. Les premières choses qu’ils font en matière de lois, d’interdiction et de menace, c’est restreindre les moyens des associations qui luttent pour les droits des femmes, des personnes LGBT et des personnes racisées. Ce sont les trois angles de justice sociale sur lesquels ils tombent à chaque fois.

Quelles sont les principales menaces pour les organisations féministes en cas de victoire du RN ?

Comme on l’a vu dans plusieurs pays où l’extrême droite est arrivée au pouvoir. Ils coupent les subventions des associations féministes, après les avoir listées. Ensuite le droit à l’IVG est souvent rediscuté, il y a un gros enjeu dessus. Les plannings familiaux ou équivalents sont également menacés.

Dans une vidéo, Jordan Bardella a appelé les femmes à voter pour le Rassemblement national en prétendant que son parti était le plus à même de défendre leurs droits. Une intervention qui a fait beaucoup réagir…

Oui, on sait que c’est faux. On le sait parce que dans les faits, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen, le RN a toujours voté contre les droits des femmes, contre les enjeux liés à nos libertés. Pour donner des exemples, ils ont voté contre la mise en place de formation contre le harcèlement sexuel, au niveau européen. Ils ont voté contre une résolution européenne qui condamne l’interdiction quasi totale de l’avortement en Pologne.

Ils se sont également abstenus sur un texte européen au sujet de l’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes et sur l’introduction du droit à l’avortement dans la charte européenne des droits fondamentaux. Ils ont aussi affirmé qu’ils voulaient supprimer les subventions du planning familial.

Dès que l’extrême droite passe, c’est les droits des femmes, des personnes LGBT, encore plus lorsqu’ils viennent de minorités racisées, qui en prennent un coup

Marine Le Pen a suggéré de réduire le remboursement de l’avortement, car elle considère que l’avortement peut être un avortement de confort. Il y a des membres du RN qui cible les associations féministes et qui les qualifie de sectaires et radicaux. Ce qui est un véritable danger pour le droit des femmes. Comme on l’a vu en Italie, en Hongrie, en Pologne ou même au Brésil, dès que l’extrême droite passe, c’est les droits des femmes, des personnes LGBT, encore plus lorsqu’ils viennent de minorités racisées, qui en prennent un coup.

Jordan Bardella, déclare que voter pour le RN c’est voter pour la liberté de s’habiller comme on l’entend. En parallèle, il a déclaré avoir pour ambition d’interdire le voile dans les espaces publics. Qu’en pensez-vous ?

Dans son intervention, Jordan Bardella parle des femmes, mais pas de toutes les femmes. Il ne parle pas des femmes précaires, des femmes racisées, des femmes ouvrières, des femmes handicapées, des lesbiennes, des écologistes…

Les femmes les plus impactées seront celles qui se situent en bas de la pyramide sociale. Dans le sens où elles sont multi-discriminées, elles sont à l’intersection des luttes de classe, de genre et de race.

Il faut se rappeler que le FN/RN a été créé par des nazis, il y a donc un ancrage antisémite et raciste profond.

En fait, il parle de protéger les femmes exclusivement blanches et très privilégiées, à l’image de Marine Le Pen et Marion Maréchal Le Pen. Je pense que l’idée, qui a contribué à leur dédiabolisation, est de reprendre les luttes progressistes et de les retourner avec leurs arguments qui sont profondément racistes. Il faut se rappeler que le FN/RN a été créé par des nazis, il y a donc un ancrage antisémite et raciste profond. À chaque parole, il faut se le rappeler.

À chaque discours soi-disant progressiste de leur part, ils vont le mettre sous le prisme de l’antisémitisme et du racisme. Par exemple, on défend le fait que les femmes peuvent s’habiller comme elles veulent à part en Abaya ou avec le voile. Et celles qui sont toujours les premières cibles de l’extrême droite sont arabes, noirs et musulmanes, on le sait. C’est ce qui a participé à la dédiabolisation et à la montée de l’extrême droite en fléchant toute la haine sur cette partie de la population française.

Le Rassemblement a récemment repris la lutte contre la souffrance animale. Mais ceux qu’ils visent, ce sont les communautés juive et musulmane en proposant d’interdire le casher et le halal. Ils n’ont aucun mot sur le gavage d’oie pour le foie gras !

Jordan Bardella affirme que l’immigration a un impact sur la sécurité des femmes. Qu’en pensez-vous ?

C’est aussi un point qu’il faut débunker. Ils reprennent souvent un seul exemple sorti de son contexte et prétendent que la majorité des agressions serait le fait de personnes étrangères. En réalité, dans l’écrasante majorité des cas, les violences sexistes et sexuelles sont commis par une personne proche de la victime. Ces violences contre les femmes n’ont pas de couleur et elles traversent toutes les classes sociales.

Comment lutter à échelle individuelle contre la montée de l’extrême droite en France ?

En ce moment, il faut en parler et s’entourer. La première chose que j’ai ressentie dimanche, c’était un mal-être. La première chose que j’ai faite, c’est appeler d’autres personnes activistes comme moi et partager ce mal-être. Comme quand l’avion se crashe, il faut se mettre le masque en premier et ensuite aux autres personnes.

Donc la première chose, c’est préserver sa santé mentale comme on peut et bien s’entourer. Ensuite, concrètement, on peut mobiliser nos proches. Il y a un très gros taux d’abstention, l’idée est d’en parler sur nos fils Whatsapp, de prendre des procurations. Mobiliser ses proches, leur envoyer un petit message le jour même, quitte à les accompagner.

Il faut se mobiliser sur les réseaux sociaux et garder en tête que l’extrême droite a un pouvoir médiatique fou

On sait que ça tombe pendant les vacances, donc il faudrait faciliter les procurations qui sont une nécessité vitale. Il faut aussi se mobiliser sur les réseaux sociaux et garder en tête que l’extrême droite a un pouvoir médiatique fou.

Et il ne faut pas lâcher nos efforts, même après les élections. Parce que, que ce soit la gauche ou le RN qui passe, il faudra continuer de combattre cette montée du fascisme. Comme le dise beaucoup de féministes, je préfère parler de mes luttes à quelqu’un de gauche que quelqu’un de l’extrême droite. Il est important aussi de se mobiliser de manière active, de rejoindre des groupes de mobilisation, des collectifs.

Ça peut se faire par le biais de rassemblements, comme ce week-end avec la marche organisée par Alerte féministe. Face à cette montée du fascisme, et en tant que femme racisée, consciente de ces enjeux, on n’a plus d’autre choix que d’entrer en résistance.

Propos recueillis par Sarah Bouchamama

Crédit photo : Ilay Maraina

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