« À situation exceptionnelle, communication exceptionnelle. Si t’as envie d’être avec nous, viens. Et si tu veux, mais que tu ne peux pas, tu nous manqueras. Dans tous les cas, on vote (pour le Nouveau Front Populaire) » Quelques heures avant le début du festival, les organisateurs annoncent la couleur via un communiqué sur Instagram.

Annulé l’année dernière suite aux révoltes urbaines déclenchées par la mort de Nahel, ce qui devait être la toute première édition de Yardland s’est finalement déroulée cette année. Dans un contexte particulier encore une fois. Ce dimanche, les Français sont appelés aux urnes pour élire les députés de leurs circonscriptions qui les représenteront à l’Assemblée nationale.

Face à la montée de l’extrême droite aux européennes et au premier tour des législatives, tout le festival s’est mobilisé : artistes, associations jusqu’aux stands de vêtements où le message « Fashion mais pas facho, votez NFP » est affiché.

Sur scène, des artistes engagés contre l’extrême droite

Sur scène, les appels à voter et les paroles anti Rassemblement national se multiplient. Entre deux sons trap qui déchaînent la foule sur des pogos, Kaaris lance un « J’emmerde le FN ». Shay, elle, conclut sa prestation bien léchée par « N’oubliez pas d’aller voter ». Un rappel que le rappeur Tif n’a pas hésité à faire juste après son morceau “Nothing Personal” en hommage à la Palestine : « Allez voter massivement le 7 s’il vous plaît ».

Réuni à l’occasion de Yardland, le groupe 13 Block a profité de performer son célèbre “Fuck le 17” pour terminer le concert par un “Fuck le RN” avant d’enchaîner sur un couplet engagé improvisé. Kalash, lui aussi, a plusieurs fois ponctué sa prestation carnavalesque par des “Fuck le RN for life”. Mais c’est sans compter sur la rappeuse Davinhor qui, après avoir déclamé « On peut tous cohabiter ensemble », s’est mise à reprendre “Marine” de Diams, cette fameuse lettre à Marine Le Pen devenue l’hymne de l’opposition à l’extrême droite. En chœur, le public reprend les paroles : « Marine, on ne sera jamais amies parce que ma mère est française, mais qu’je ne suis pas née ici ».

Pour Davinhor, cet engagement politique est nécessaire et indissociable de sa condition. « C’est très important pour moi en tant que femme, en tant que femme noire, en tant que rappeuse. Parce que je pars déjà avec beaucoup de handicaps qui ne me permettent pas d’exploiter mon art comme je le veux. On me ramène toujours à ma condition. » La rappeuse qui a fui avec sa famille le Congo en guerre en 2000 rappelle qu’elle aime la France, son pays d’accueil et qu’elle ne le quittera pas, peu importe les résultats des législatives.

On sait pourquoi on est là, on connaît notre histoire

« On doit s’affirmer, on doit être soudés et on doit montrer qu’on ne nous a pas donné cette possibilité-là d’être artiste pour rien », explique-t-elle avec assurance. Sur ses réseaux sociaux, elle prend souvent position politiquement, appelant à contrer l’extrême droite en votant à gauche. Un selfie de soutien avec le fondateur de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a d’ailleurs fait l’objet de plus d’un million de repost sur Instagram.

Face à la situation, l’artiste appelle à s’unir et à ne pas craindre l’extrême droite. « J’ai confiance en la jeunesse. Et aujourd’hui, les personnes immigrées expatriées comme moi, on sait ce qu’on veut. On sait pourquoi on est là, on connaît notre histoire. Et cette histoire, elle nous pousse à nous battre dans nos vocations, dans ce qu’on aime, dans ce qu’on veut faire pour notre famille et je pense qu’on peut tous vivre ensemble », finit-elle par dire, pleine d’espoir.

Des messages politiques bienvenus pour le public

Dans le public, le message est bien passé. Noah, Clotilde, Yvanna et Steve font partie du même groupe d’amis. Venus tout droit d’Orléans pour participer au festival, ils sont tous à jour sur leurs procurations. « J’ai pris ça à cœur et j’ai fait les démarches parce que je trouve que c’est important et nécessaire », précise Steve. À ses côtés, Noah renchérit. « C’est les valeurs de nos parents, c’est tout ce qu’ils ont défendu pendant 20 ans, donc maintenant, c’est nous la relève. Et j’espère que tout le monde a fait sa procuration ou va voter demain. »

Pour Steve qui se sent personnellement touché par l’extrême-droitisation de la société, les prises de position des rappeurs et rappeuses à Yardland sont bienvenues et même indispensables. « Le rap, c’est quelque chose d’engagé et cet engagement manquait justement aux artistes de notre génération, aux artistes émergents en tout cas. Donc c’est très cool de retrouver ça dans un événement qui s’impose à Paris et qui a une notoriété assez importante », applaudit-il.

Vu où on en est aujourd’hui, il faut prendre clairement position

La plupart des festivaliers sur place saluent la décision des organisateurs d’avoir fait de ce rendez-vous culturel un moment politique qui célèbre les cultures populaires. C’est le cas de Thanina venue avec son amie Kaina. « J’ai apprécié le communiqué qu’il y a eu ce matin. Ça disait bien “Votez Nouveau Front Populaire” et non pas “Votez contre les extrêmes” par exemple. Beaucoup ne veulent pas se mouiller, mais vu où on en est aujourd’hui, il faut prendre clairement position. »

« Ici, tout le monde se rassemble politiquement autour de la rue »

Les deux copines refusent de rester silencieuses et estiment qu’il est d’autant plus important de s’exprimer lorsqu’on a une audience et une influence pour le faire. « C’est important d’élever les voix sur les consciences collectives. On donne de moins en moins de crédit à la musique urbaine parce qu’on dit que c’est une musique de rue. Finalement, on voit bien ici que tout le monde se rassemble politiquement autour de la rue », analyse Kaina.

Ça fait du bien de se détendre avant d’aller aux urnes

Dans la foule amassée pour suivre le show de Shay, la chanteuse Nayra, venue incognito, chante les paroles par cœur. Elle aussi se réjouit d’assister à un festival proche de ses valeurs. « On est réunis aujourd’hui autour d’une musique qui nous ressemble, par des gens qui nous ressemblent. Il y a des femmes, des personnes racisées, d’autres avec des styles complètement différents ou issues de minorités de genre. C’est beau dans la symbolique parce que ça nous permet aussi de relâcher la pression vu l’atmosphère politique actuelle. Ça fait du bien de se détendre avant d’aller aux urnes. »

Originaire d’une circonscription de Saint-Denis où la gauche a remporté les législatives dès le premier tour, l’artiste n’a pas besoin de se rendre au bureau de vote demain. Mais elle appelle tout le monde à voter pour le Nouveau Front Populaire. « C’est le seul moyen de faire barrage au RN et c’est le seul programme valable dans tout ce qui est proposé aujourd’hui. »

L’extrême droite au pouvoir : un danger pour les cultures populaires…

Dans leur communiqué, les organisateurs de Yardland s’inquiètent d’une possible majorité Rassemblement national à l’Assemblée. Cette éventualité risquerait de peser sur les activités liées aux cultures populaires qu’ils défendent. « Si le RN arrive au pouvoir, plus rien ne garantit l’existence de tout ce qui nous tient à cœur. La culture, c’est la première chose que le fascisme attaque. Et quand elle est inclusive et portée par autant de Noirs et d’Arabes, on peut déjà se dire que ça va être compliqué de donner suite à quoi que ce soit », détaille le post Instagram.

Un sentiment que partage Antoine, présent au festival pour présenter son association Tsuvo studio. Le jeune homme de 26 ans a eu l’idée de créer un studio de musique aménagé dans une caravane. Avec ce studio itinérant, il parcourt les quartiers d’Ile-de-France et de France pour organiser des ateliers d’initiation à la musique auprès des jeunes dans un but de démocratisation. « L’idée, c’est que les jeunes viennent, participent à la création d’un morceau de A à Z, fassent leur prod avec un animateur, écrivent un texte. Puis, ils viennent enregistrer dans la caravane pour repartir à la fin avec leur morceau », expose-t-il.

… Et les associations culturelles

À travers ce projet, Arthur se sert de la musique comme d’un outil social pour créer du lien dans les quartiers. Des espaces de partage, d’échange, de rassemblement et de discussion qui sont d’autant plus importants en cette période politique trouble. Le fondateur de Tsuvo studio appelle donc à se lever pour sauver le milieu de la culture.

Lui-même intermittent du spectacle, son statut risque d’être menacé en cas de victoire du Rassemblement national. « C’est une aberration totale parce que tout le monde de la culture en pâtira. Puis le projet bénéficie d’un certain nombre de subventions, on est financé par la politique de la ville notamment. Et on sait très bien que ces financements publics vont être amenés à disparaître si le RN arrive au pouvoir », craint-il avant d’ajouter : « Mobilisez-vous, allez voter demain pour le Nouveau Front Populaire ! »

Un message politiquement engagé qui résonne comme tant d’autres pour ce début de festival. À 23h30, fin des concerts, avant que les lumières ne s’éteignent, des mots apparaissent sur l’écran de la scène principale où Kalash vient de clôturer son carnaval. Ce sont les paroles de son morceau “Après l’automne” qui disent « J’emmerde Jean-Marie depuis la naissance ainsi que sa fille » suivi d’un simple, mais efficace « Allez voter demain ».

Lilia Aoudia 

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