Dans le football ultra-marchandisé embrassé par le PSG, les prix des places de match deviennent inaccessibles pour une large partie du public. Face à la déterritorialisation des clubs, qui ne cesse de s’accroître, et à l’embourgeoisement des stades, les amoureux du PSG s’inquiètent. Mais quand on aime, on ne compte pas.

Depuis l’arrivée du Qatar Sports Investments (QSI), le Paris Saint-Germain est entré dans une nouvelle dimension sportive, politique et économique. L’ambivalence, position inhérente à la culture ultra, touche les Parisiens qui côtoient le haut du panier de leur sport favori. Trophées à la pelle et émotions continentales garanties. « Je sais que c’est osé de dire que le foot business me dégoûte », reconnaît Nicolas* fervent supporter et abonné.

Dans cette tribune dite populaire qui demeure la plus accessible économiquement, l’abonnement est fixé à 450 euros environ cette saison, rencontres européennes comprises. Une somme très élevée, mais qui revient à un prix relativement raisonnable de moins de 25 euros par rencontre. Composée de 6 000 places, il s’agit de l’unique tribune du stade active. Elle est animée par le Collectif Ultras Paris (CUP) qui regroupe plusieurs associations distinctes et dont le nombre de membres est compris entre deux et trois mille personnes.

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Pour un supporter impliqué, s’abonner représente un véritable parcours du combattant tant les places sont chères. Membre actif du virage Auteuil depuis 2016, Amine précise que « l’attente peut se compter en années à Auteuil ». Une rareté qui renforce son sentiment d’appartenir « à la grande famille du Parc des Princes. » L’abonnement est maintenant dématérialisé, ce qui enlève la fierté et la possibilité aux plus jeunes de collectionner les cartes comme les plus anciens. Ce précieux sésame, Nicolas le détient depuis cinq saisons. « C’est une prise de tête en moins. Avant, je passais plusieurs heures par semaine sur les forums et les réseaux sociaux pour trouver une place », explique-t-il.

Toutes et tous n’ont pas eu cette chance, à l’image d’Arthur. De retour en Ile-de-France depuis deux ans, après avoir grandi dans les Deux-Sèvres, le natif de Paris a été freiné par les prix. Ces derniers sont en décalage avec les tarifs en vigueur pendant la période historique du virage Auteuil (1991-2010). Avant d’être sous l’égide du Qatar, l’abonnement était de 180 euros pour les affiches de championnat, soit une dizaine d’euros pour un match. Avec ceux de coupes nationales, la somme pouvait atteindre la somme de 240 euros.

Flambée à la billetterie

La participation du PSG à chaque campagne de Ligue des champions depuis 2012-2013 marque un tournant au niveau de la billetterie. « Au début, ça m’avait choqué, mais au fil du temps, on relativise. Pour un virage ultra, le prix idéal serait de 300 euros, mais c’est illusoire », confie Bastien*, un ancien habitué du virage Auteuil qu’il a connu à partir de 2008.

Parmi les dépenses, il faut ajouter les matchs à l’extérieur. « Je peux faire entre douze et quinze déplacements par an », annonce Amine. Un investissement supplémentaire qui demande une hiérarchisation et dépend des possibilités personnelles, professionnelles et forcément financières de chaque personne.

« Ce critère est prépondérant. J’essaye d’en faire un par mois minimum. En 2024, j’étais à Lens et Strasbourg, ce sont les moments que je préfère », signale Nicolas. L’Essonnien était présent lors du dernier déplacement à Montpellier le dimanche 17 mars dernier. Les deux fans de longue date avouent que le supportérisme se place largement en tête de leurs dépenses non essentielles. « Pour ma vie, cela devient essentiel », sourit Nicolas.

Depuis la saison 2019-2020, la Ligue de Football Professionnelle impose un prix unique de dix euros en secteur visiteurs. Preuve de cette avancée, impulsée par les associations de supporters, les parcages français n’ont jamais été aussi remplis. Le PSG se classe troisième de Ligue 1, derrière Lens et le rival marseillais, avec 818 supporters en moyenne par déplacement.

Certains choisissent même de faire plus de matchs à l’extérieur. « Le Parc, ce n’est pas ma tasse de thé. Au niveau des animations, les tifos sont incroyables, mais je trouve l’ambiance très médiocre. En parcage, on s’amuse plus », explique Bastien. Au plus fort de son activité, son budget alloué aux déplacements était de 200 euros par mois.

Halte aux touristes

Retour à domicile où les prix ont atteint des sommes indécentes en raison des arrivées de stars mondiales, le point d’orgue étant celle de Lionel Messi en 2021. Des publics attirés par les individualités et non par le club investissent massivement les travées du Parc des Princes. « Les touristes argentins se sont installés à Auteuil. Ils venaient uniquement pour Messi, sans intérêt pour l’ambiance », se souvient Amine qui refuse d’aller dans les virages lorsqu’il fait du Groundhopping.

Sans régulation, les places disponibles sur les plateformes de revente comme TicketPlace étaient hors de prix. « Il n’y avait pas de limite ! Un abonné savait qu’il trouverait un acheteur, peu importe le prix  », précise Nicolas. Cet été, d’un commun accord entre la direction et le Collectif Ultras Paris, une charte a été mise en place pour réguler le système au sein du virage Auteuil. Désormais, la grille tarifaire est répartie selon quatre échelons d’importance des rencontres : 25, 50, 75 et 100 euros. Précisons qu’une commission est versée au club à chaque transaction.

Un système qui limite les dérives, salué par tous les acteurs, mais des failles persistent. « On peut facilement le contourner en revendant sur Facebook ou d’autres canaux. Je vois énormément de places en vente sur Twitter. Le système à prix d’or continue », observe Nicolas. Passionné par le mouvement ultra, Arthur se rend en tribune Auteuil occasionnellement. « Je passe par des revendeurs et je mets 50 euros minimum presque à chaque fois », souffle-t-il. Pour accéder à TicketPlace, la notion d’historique d’achat de plusieurs places permet de limiter la présence de touristes. Avec l’afflux de fans sensibles aux stars et aux produits dérivés, ainsi que du visiteur désintéressé en recherche de spectacle, la sociologie du public du Parc des Princes s’est transformée.

On perd notre identité en mettant les plus fidèles et ceux qui n’ont pas les moyens de côté

« Il y a deux types de touristes. Je suis allé en week-end à Milan parce que j’avais un programme de matchs à aller voir. La visite de la ville était secondaire. Ici, la plupart viennent d’abord visiter Paris et après le stade qui devient un lieu à cocher comme le Louvre ou la tour Eiffel », remarque Nicolas. Pour retrouver un semblant de supportérisme populaire, Arthur plaide pour une limitation des prix élargie à toute l’enceinte. « L’expérience du touriste que j’ai moi-même été en Argentine serait meilleure ! On perd notre identité en mettant les plus fidèles et ceux qui n’ont pas les moyens de côté. »

La stratégie du club dénoncée

Le processus de gentrification des stades avec un remplacement des supporters par des spectateurs est un phénomène global comme mentionné par Émilienne Poumirol, sénatrice socialiste de la Haute-Garonne, durant un colloque consacré au supportérisme organisé au Sénat, le 11 mars. « Auteuil doit rester une tribune d’habitués, de parisiens et de banlieusards. On aimerait que cela soit le cas partout, mais dans les autres tribunes, le véritable supporter du PSG est rarement présent dans les gradins », raconte Nicolas.

Il est parfois même remplacé par des individus aux intentions farfelues. C’est ce qu’il s’est passé lors du ¼ de finale de Coupe de France face à Nice mercredi 13 mars. Ce soir-là, le résultat sportif est éclipsé par le canular des youtubeurs, Iroy et Théo Audace. Ces derniers ont organisé un simulacre de tifo composé de feuilles aux couleurs de Marseille sur lequel on a pu distinguer un “M” au sein de la tribune Boulogne. L’image de supporters parisiens brandissant les couleurs de leur rival historique a fait son effet. Stupéfaction chez les uns, moquerie chez les autres. Ce prank est aussi vu comme un symbole des dysfonctionnements structurels du club.

En dehors d’Auteuil, l’ambiance est morte. Toute activité est réprimandée

« En dehors d’Auteuil, l’ambiance est morte. Toute activité est réprimandée. Si quelqu’un se lève et chante, un stadier lui demande de s’asseoir », dénonce Martin, au sujet d’une politique sécuritaire extrêmement répressive envers toutes les actions contestataires depuis 2011.

Faute de place à Auteuil, l’ingénieur en environnement est abonné contre son gré en tribune Paris depuis deux ans où il paie 1 000 euros l’abonnement en latérale. En supplément, celui qui supporte le club depuis l’époque de la cour de récré est membre du CUP, l’adhésion étant ouverte à tous contre une cotisation annuelle de 20 euros. Cette adhésion permet aux supporters comme Martin de donner de la voix pour d’autres sections du club puisque les ultras soutiennent également l’équipe féminine et celle de handball.

Originaire du 13ᵉ arrondissement, il a forcément vu le virage à 180 degrés pris par le club de son quartier. Cette saison, les rencontres du Paris FC, en Ligue 2 masculine et de D1 féminine au stade Charléty sont gratuites. Si on ne compte pas son argent dépensé par amour du PSG, au PFC les comptes sont bons avec un record d’affluence pour un match de Ligue 2 battu le 2 mars dernier contre Saint-Etienne (plus de 17 000 spectateurs).

L’avance du PSG est très large, que ce soit en popularité, histoire ou palmarès. En cette fin de saison, les yeux sont rivés vers la coupe aux grandes oreilles, le Paris SG étant parmi les huit derniers prétendants en Ligue des champions. Un succès dans cette compétition, pour l’instant synonyme de rêve utopique, scellerait la réponse des supporters parisiens à la question : l’argent, fait-il le bonheur…

Embarek Foufa

Photo ©Auteuil1991

*les prénoms ont été modifiés.

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