Le lieu du rendez-vous donné par le Revers de la médaille n’est pas anodin. Les berges du canal Saint-Denis, à Aubervilliers. Sous le pont de Stains, une dizaine de gros blocs de béton surmontés de pics ont été installés après l’expulsion d’une centaine de personnes le 18 juillet dernier. 

« Il y a des gens dont le travail est de réfléchir à créer des objets les plus inhospitaliers possibles pour le corps humain, pour qu’on ne puisse pas s’y coucher et y dormir. Ce cache-misère olympique est vraiment affreux », peste Paul Alauzy, coordinateur de la mission exil à Médecins du monde, en pointant du doigt l’énorme drap bleu qui recouvre le pont et cache les tags.

« C’est aux couleurs des JO et il y a un dauphin dessus », décrit-il. « Voilà, à Paris 2024, on n’aime pas les pauvres, mais on adore les dauphins. C’est vraiment la vitrine du nettoyage social. On doit dégager parce que ça ne rend pas bien d’avoir de la misère et des tentes sur les photos », ironise le bénévole.

Sur les berges du canal de Saint-Denis, un dispositif anti-SDF a été installé. ©LiliaAoudia

« Il faut montrer une certaine image de Paris et donc éloigner la misère du centre-ville »

Avec son équipe, il avait l’habitude d’intervenir ici depuis 2020, lorsque des campements ont été évacués de Paris pendant la période du Covid. Pour les personnes sans logement, cette zone est stratégique. À quinze minutes se trouve la Porte de la Villette où l’association “Une Chorba pour tous” organise des distributions de nourriture et le Secours catholique assure un accueil de jour. Pas très loin, on trouve aussi le centre de soins de Médecins du monde.

Des services essentiels pour garantir les besoins vitaux des personnes sans abri. « Notre souhait, ce n’est pas que les personnes restent à la rue évidemment. Mais plus on les envoie loin, dans des lieux qui sont insécurisés et éloignés, plus l’accès à leurs besoins fondamentaux est compromis », justifie Paul Alauzy. Sur place, Francesca, coordinatrice de l’antenne Utopia 56 Paris confirme. Elle dénonce les tentatives d’expulsions en province alors que la plupart des personnes sans logement ont des démarches administratives ou des suivis médicaux déjà engagés à Paris. Certains ont des enfants incrits à l’école aussi.

« Il faut montrer une certaine image de Paris et donc éloigner la misère du centre-ville. Ça crée beaucoup de désespoir, beaucoup d’épuisement pour les personnes sans abri qui sont expulsées de manière encore plus récurrente. On compte aussi beaucoup plus de dénonciations de violations des droits humains, de harcèlement et de violences policières », décrit Francesa.

Pour exprimer leur mécontentement et dénoncer la face cachée de ces “JO de la honte”, les activistes du Revers de la médaille co-organisent une contre cérémonie d’ouverture à 24 heures de la vraie.

Paul Alauzy, coordinateur de la mission exil à Médecins du monde. ©LiliaAoudia

Les Jeux olympiques, machine à inégalités

Pour ce qui est du nettoyage social, Paris ne fait pas exception dans la longue liste des villes qui ont accueilli les Jeux olympiques. Jules Boykoff a travaillé dans plusieurs villes olympiques avant et pendant les Jeux : Londres en 2012, Rio de Janeiro en 2016. Chercheur américain spécialisé sur la politique des JO, il parle aujourd’hui d’un problème olympique.

« Les Jeux sont entourés d’un paradoxe. D’une part, il s’agit du plus grand événement sportif qui rassemble les plus grands athlètes. D’autre part, c’est une machine à inégalités. Ils prennent les inégalités qui existent dans la société et les amplifient », analyse-t-il. Il déroule alors le nombre de personnes déplacées pour chaque édition. 800 000 dans le cadre des Jeux de Séoul. Environ 1 000 pour Londres. Près de 77 000 pour Rio. « Derrière ce chiffre, il y a 77 000 histoires individuelles », précise-t-il. « C’est vraiment important d’entendre les témoignages des personnes qui ont vécu cette situation parce que les Jeux olympiques ont tendance à être un moyen de déplacer et de ruiner les logements sociaux, les logements de la classe ouvrière », insiste Jules Boykoff.

À Paris, le collectif recense plus de 12 500 personnes expulsées dans le cadre de l’organisation des JO 2024. Et des histoires individuelles, on en a aussi. Alseny, 16 ans, est originaire de Guinée-Conakry. Il a été placé et vit en ce moment dans un hôtel. Il ne supporte plus de faire des aller-retour entre les gymnases et la rue, surtout dans cette période olympique où la répression policière est renforcée.

Namawa, jeune mère isolée, témoigne de sa crainte des forces de l’ordre. ©LiliaAoudia

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« Il y a tellement de policiers actuellement, tellement de contrôles. On n’a pas de titre de transport, ni d’attestation d’hébergement. Si on se promène comme ça et qu’un contrôleur nous tombe dessus, on risque une OQTF. J’ai peur pour moi et pour mes amis qui vivent dans la rue », témoigne l’adolescent.

À ses côtés, son ami Abou renchérit. « Moi, je me demande pourquoi nous chasser comme des animaux. Nous sommes des êtres humains comme eux et nous respirons comme eux. Le gouvernement français ne joue pas son rôle et ne connaît pas ses propres responsabilités. » Namawa, sans papiers, craint, elle aussi, de recevoir une obligation de quitter le territoire français. Actuellement hébergée dans un hôtel à Saint-Cloud, elle craint de se retrouver sans domicile à l’issue des Jeux olympiques.

Il y a environ un an, elle a quitté sa Côte d’Ivoire natale pour rejoindre la France. Mais l’avenir pour elle ici est incertain. Et cela l’inquiète d’autant plus qu’elle est mère d’un enfant d’un an et demi. « Les expulsions, c’est fatiguant. Puis, on a peur de tout. Quand la police est là, ils nous méprisent. Ils n’ont aucune pitié pour nous. Donc souvent, quand on les voit, on part, on essaye de les éviter pour ne pas avoir de problèmes avec eux », raconte-t-elle.

Une contre-cérémonie d’ouverture à République

À 18 heures, la place de la République fourmille. En face de la statue, une petite scène est installée, entourée de stands d’associations et de collectifs qui dénoncent les dégâts écologiques, sociaux et démocratiques des Jeux. Parmi eux, Saccage 2024 tient à rappeler que « les Jeux olympiques ne sont pas une fête populaire ». Les activistes du collectif organisent une permanence pour aider les personnes qui auraient reçu des OQTF, des amendes ou qui auraient des problèmes juridiques en lien avec les Jeux.

Ils dénoncent toutes les formes d’exclusion qui se cachent derrière, « du démantèlement de camps de réfugiés et de squats à la présence de l’équipe d’un État génocidaire ». Au-delà, des expulsions, certains organismes, co-organisateurs de la contre cérémonie avec Le revers de la médaille, ancrent leur action dans un cadre international. Ici, en dénonçant la présence d’athlètes israéliens aux Jeux olympiques et paralympiques.

« Les accepter revient à continuer à faire croire que le sport est complètement dépolitisé et c’est vraiment cracher sur toutes les victimes du génocide. On sait que les athlètes russes et biélorusses concourent sous bannière neutre. C’est un minimum qu’on pouvait attendre », défend Charlotte, activiste à Saccage 2024.

« Les Jeux Olympiques, c’est le cheval de Troie de la gentrification »

Autre cause défendue par les participants : l’écologie. Le collectif PEPS pour une écologie populaire et sociale s’est engagé dans un certain nombre de luttes, comme celle des jardins d’Aubervilliers, en partie détruits pour construire une piscine olympique et un solarium. Merlin en est le porte-parole. C’est aussi lui qui anime la contre cérémonie sur scène où de nombreuses prises de parole se succèdent.

« Les Jeux Olympiques, c’est le cheval de Troie de la gentrification. Ça va permettre de légitimer et de financer plein de projets d’aménagement qui servent des habitants hypothétiques, riches et qui vont faire grimper les prix tout en dégageant les classes populaires d’un espace », développe-t-il. Le militant dénonce le racisme environnemental derrière les Jeux olympiques. Il prend l’exemple de l’école Pleyel-Anatol France devant laquelle un échangeur routier a été construit pour faciliter les déplacements des athlètes vers le village olympique.

« On s’en fout de polluer même si c’est près d’un groupe scolaire d’enfants parce qu’on est en Seine-Saint-Denis », s’emporte-t-il. Il aborde également la construction de la tour métallique des juges à Tahiti. Ce projet a fait l’objet de vives mobilisations, car son installation menace la barrière de corail de Teahupoo. « C’est parce que les JO sont une vitrine qu’il faut dénoncer ses failles pour changer de système et changer les rapports de domination qui y sont bien représentés », conclut Merlin. Il espère un référendum pour les Jeux d’hiver 2030 qui se dérouleront dans les Alpes. « On peut éviter de construire des stations de ski qui ne servent à rien, on peut éviter de saccager nos montagnes, et on peut mettre un stop à la course en avant. »

Continuer à sensibiliser sur les dégâts sociaux, économiques et environnementaux des JO

Pour les collectifs mobilisés, la lutte est loin d’être finie. Elle dépasse même le cadre de Paris 2024. Les militants du revers de la médaille estiment avoir réussi à ralentir la machine, mais n’attendent plus rien de cette édition. « Avec Le revers de la médaille, on est juste un collectif d’une centaine d’associations. On n’est pas assez forts contre la machine étatique qui est lubrifiée par l’huile olympique », regrette Paul Alauzy de Médecins du monde. Mais avec son équipe, ils ne comptent rien lâcher. Ils seront en veille tous les jours, sur le terrain tous les soirs pour continuer les maraudes et documenter la vie des gens sans abri.

« On sait maintenant qu’on fait partie d’un mouvement social international autour des Jeux. Et j’espère devenir avec notre collectif le pire cauchemar des futurs comités olympiques », affirme-t-il, un grand sourire aux lèvres. « On va tous leur écrire dès que des Jeux seront organisés quelque part. On va envoyer nos rapports et nos revendications à des défenseurs des droits humains partout dans le monde pour qu’ils reprennent ce flambeau et qu’on transforme les Jeux. Et dans quelques années, j’ose espérer que la question des personnes à la rue sera prise en charge. »

Lilia Aoudia

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