« On a éteint notre imagination avec ce système », dénonce Samy, élève du collège Georges Clemenceau, dans le 18ᵉ (Paris). Le film-documentaire d’Hélène Milano “Château rouge” suit ces collégiens qui en 3ᵉ voit se dessiner plus nettement leur futur. Nous suivons ainsi plusieurs élèves comme Bilel, Manel, Mamadou, Léna ou encore Abdoulaye.
Cette année charnière est celle des premiers choix d’orientation pour leur avenir professionnel. À travers ce film, Hélène Milano cherche à montrer les entraves qu’impose le système scolaire dans l’esprit des élèves des quartiers populaires les empêchant de s’épanouir. La réalisatrice n’en est pas à son premier essai, elle avait déjà signé Les Roses Noires (2011) et Les charbons Ardents (2019) avec des garçons issus d’un lycée professionnel. Interview.
Quel est le point de départ de votre film documentaire ?
J’ai d’abord rencontré l’équipe éducative du collège Georges Clemenceau dans le 18ᵉ arrondissement de Paris. Au début, je voulais raconter ce territoire de rencontre et parler de l’accompagnement des adultes avec les jeunes et la manière dont ils traversent la période de l’adolescence avec eux. Finalement, en travaillant avec les élèves de 3ᵉ, une question s’est imposée : celle de l’émancipation.
Je voulais donner à entendre ces jeunes qui sont souvent stéréotypés et caricaturés
Il était important de créer un espace de paroles pour eux. Je voulais donner à entendre ces jeunes qui sont souvent stéréotypés et caricaturés afin qu’ils puissent faire entendre leur vision du monde. Ils ont beaucoup de choses à dire sur le monde dans lequel nous vivons et je suis très impressionnée par leur maturité et leur sensibilité face au système scolaire.
Votre film documentaire tourne donc autour de ces élèves. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Je voulais capter le moment de l’adolescence. C’est la période où l’enfance se perd petit à petit dans le monde réel. L’adolescence, je la trouve fascinante. C’était aussi important de montrer ce moment-là du point de vue institutionnel, avec cette injonction à se déterminer à un moment où on est à peine à la découverte de soi-même.
J’avais vraiment envie de montrer ce moment où l’on force les enfants à sortir de l’enfance
Je voulais aussi mettre en lumière cette violence systémique que subissent également les adultes qui sont sous pression pour arriver à des résultats d’orientation. Leur métier est pourtant d’amener les enfants à trouver une forme d’épanouissement dans ce qu’ils font. J’avais vraiment envie de montrer ce moment où l’on force les enfants à sortir de l’enfance. Il y a une vraie dramaturgie naturelle qui en découle rien qu’avec cette échéance du brevet qui arrive à grands pas.
Dans ce film, vous offrez un véritable espace de confidences à ces élèves pour qu’ils puissent s’exprimer librement. Pourquoi était-ce important pour vous ?
On a pas mal travaillé ensemble, on se retrouvait tous les mardis autour de textes, de chorégraphies et d’improvisations. C’était un temps d’échange et de transmission. J’ai tricoté une confiance avec eux jusqu’au moment où j’ai observé qu’ils avaient des choses à dire sur ce qu’ils vivaient, sur le système tel qu’ils le ressentent. Il fallait que je leur donne cet espace de parole quoi qu’il en coûte.
Cette fragilité et cette authenticité qu’on ressent dans le film touchent le public
J’étais impressionnée par tout ce qu’ils avaient pu analyser et observer et qui n’avait jamais été formulé auparavant. Il y avait selon moi une urgence de dire, une nécessité de les entendre. Et je le vois encore aujourd’hui avec les premières projections qu’on a eues avec d’autres jeunes qui ont vu le film. Cette fragilité et cette authenticité qu’on ressent dans le film touchent le public et permettent d’ouvrir la discussion grâce à l’ouverture de la parole de ces jeunes de 3ᵉ.
Château Rouge est aussi un documentaire qui critique le système scolaire actuel. Quels sont vos griefs ?
Premièrement, ce que je reproche à ce système, c’est ce déterminisme scolaire qui règne. On voit dans le documentaire l’engagement quotidien du personnel éducatif qui est à l’œuvre pour accompagner au mieux les élèves et qui se bat contre cette forme de déterminisme qui est un des empêchements à l’apprentissage. Je trouve cela inadmissible que ces enfants ne peuvent pas atteindre les métiers qu’ils souhaitent faire. De plus, les trajectoires de vie de chacun ne sont pas assez prises en compte.
On est encore loin d’avoir une vraie égalité des chances
Les enfants sont aussi fragilisés par leur parcours qui sont pour certains remplis de nœuds. On ne leur laisse pas assez de temps. On est encore loin d’avoir une vraie égalité des chances. Même s’ils trouveront leur chemin, ils devront s’affranchir de plus d’obstacles que des enfants de classes aisées. Je pense qu’il est temps que l’école mette en place un système qui puisse donner aux jeunes enfants le chemin le plus ouvert possible par rapport à leurs désirs. Les enfants vivent leur orientation comme une fatalité et non un choix.
D’après votre regard de réalisatrice, quelles seraient les solutions pour pallier les problèmes du système ?
De mon point de vue, je pense qu’il faut agir sur la question de la légitimité. Dans le film, Léna une élève brillante, souhaitait devenir avocate. Sauf qu’elle estimait ne pas pouvoir accéder à ce rêve-là, alors qu’elle en avait les moyens. Elle a fini par s’auto-censurer et elle s’est dirigée vers les métiers de l’accueil. Après, je pense aussi qu’il y a beaucoup de métiers qu’ils ne connaissent pas et il faudrait décloisonner la découverte des métiers. Enfin la question de la confiance qui selon moi est essentielle. Mamadou, l’un des élèves du film, explique à un moment qu’il a tellement peu confiance en lui qu’il a la flemme de travailler. Selon moi, le système scolaire est trop normatif.
Propos recueillis par Sélim Krouchi