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« J’secoue mes locks, j’flex devant quarante mille personnes », rappe Koba LaD dans son morceau « Mortel ». Si tout le monde ne peut pas se reconnaître dans la deuxième partie du vers, de plus en plus de jeunes hommes noirs de quartiers populaires sont concernés par la première. Et pour cause : les dreadlocks sont devenues une coiffure prisée par ces messieurs. De la marge à la tendance, comment les locks ont-elles pu autant les conquérir ?

Le soft power américain à l’œuvre

Namani, coiffeuse spécialisée dans les locks depuis 15 ans, a ses clefs de compréhension. Pour elle, tout part du lien que les afro-américains entretiennent avec leurs racines africaines. « Je trouve que les Noirs américains se rapprochent de plus en plus de leurs racines, assument de plus en plus leur part d’africanité. Il y a une recherche de réappropriation », analyse l’experte.

Une analyse confortée par le succès de films comme Black Panther ou The Woman King, blockbusters hollywoodiens plébiscités pour leur représentation méliorative du continent africain. La tendance des locks chez les rappeurs noirs américains serait donc, là aussi, une forme d’affirmation identitaire.

Loin d’être une simple mode, cette coiffure est avant tout connue en tant qu’emblème des rastafaris jamaïcains. Célèbres pour leur philosophie, ils rejettent les dérives des sociétés occidentales et portent une grande admiration à l’Éthiopie et, par extension, à l’Afrique subsaharienne.

Un rapprochement entre la communauté afro-américaine et ses racines africaines expliquerait alors que de nombreux rappeurs noirs américains s’approprient la fameuse coiffure. Les rappeurs et les rastafaris ont en commun de porter des messages très politiques. Le rap puise ses origines dans la contestation d’un système qui opprime les minorités noires étatsuniennes.

En France, « c’est une question de style »

Pour ce qui est de la France, Namani estime que les rappeurs comme Gazo, Koba LaD ou Zola se sont plus simplement inspirés de leurs homologues américains. Ils auraient, à leur tour, inspiré ceux qui leur ressemblent : les jeunes hommes noirs de quartiers populaires.

Mais la dimension revendicatrice se serait perdue en traversant l’Atlantique : « Je pense que c’est une question de style, qu’ils [les rappeurs français, ndlr] s’inspirent juste des Etats-Unis. Et chez les jeunes, je n’ai pas l’impression qu’il y ait une résurgence d’afro-conscience. »

Une évolution du regard sociétal

Lorsqu’on lui demande ce qui l’a poussé à faire ses locks, Kenny donne raison à Namani : « J’aimais bien la coupe, et puis ça s’arrête là ». Si sa décision ne s’accompagne d’aucune revendication, l’étudiant de 21 ans reconnaît qu’il a débuté ses locks récemment car « avant, c’était beaucoup plus méprisé que maintenant. Aujourd’hui, on voit beaucoup plus de personnes locksées, même au travail, même dans des milieux prestigieux. Il y a quelques années c’était impossible ».

Il pense aussi que les rappeurs y sont pour beaucoup : « Beaucoup de rappeurs américains et français portent des locks. Avec l’apogée du rap, de plus en plus d’hommes se sont mis à en porter aussi et on a fini par voir que c’était juste une coiffure ».

De son côté, le jeune chanteur suresnois NegJ accorde une grande importance culturelle et spirituelle à ses locks. Mais il sait que ce n’est pas le cas de tout le monde : « Je me suis rapproché de la communauté rasta et en discutant on s’est rendu compte que beaucoup d’hommes locksés ne savent pas ce qu’il y a derrière la coiffure, ils aiment juste le style ».

Le rappeur suresnois, NegJ. ©JulienEtoke

Les cultures noires, de plus en plus connues et respectées

Selon lui, cette popularité vient du fait que les cultures noires seraient de plus en plus connues et respectées, notamment grâce aux films hollywoodiens : « On parle plus de nos coutumes et des traditions en lien avec notre apparence physique ». D’où le fait que les locks se répandent.

Jordan, jeune photographe originaire d’Aulnay-sous-Bois, partage cette idée : « L’éducation que nous recevons aujourd’hui via la famille, l’art et les livres d’Histoire permet, je pense, de faire circuler une meilleure image des locks. Petit à petit, nous qui en portons permettons aussi d’imposer cette coiffure dans les standards de la société ». 

Les hommes noirs ont moins eu à se dénaturer les cheveux que les femmes noires pour se sentir légitimes dans la société 

Analysant cette tendance sous le prisme du genre, Namani ajoute que si cette mode s’installe sans que ça ne cause trop de grabuge, c’est aussi parce que les hommes noirs ne subissent pas les mêmes injonctions sociétales que les femmes noires lorsqu’on parle chevelure. « Les hommes noirs ont moins eu à se dénaturer les cheveux que les femmes noires pour se sentir légitimes dans la société. »

Tout n’est pas parfait cependant, et NegJ le rappelle : « Je n’irais pas à un entretien d’embauche avec les cheveux lâchés. Donc c’est pas encore hyper bien accepté ».

Tous les chemins mènent à Rome

La démocratisation des locks illustrerait une plus grande acceptation et valorisation des cultures noires au sein de la société française, donc. Mais, devenue tendance, cette coiffure ne reflète plus son aspect originellement – et explicitement – contestataire. Est-ce un problème pour les locksés convaincus ?

La réponse est unanime : non. Si cette banalisation peut aider les hommes noirs, et toutes les personnes noires, à s’assumer toujours plus et à être acceptés dans la société, alors tout le monde est gagnant. « Je ne vois pas d’inconvénients à ce qu’elles [les locks, ndlr] soient autant prisées », affirme Jordan.

« J’espère que nous allons faire bouger les mentalités et que les locks pourront être considérées comme une coupe standard pour cheveux afros. J’espère aussi que les personnes locksées seront considérées comme tout aussi aptes à travailler que les autres, quel que soit le poste visé », poursuit-il.

C’est toujours intéressant une réappropriation. Peu importe le point de départ

Du côté de Namani, même opinion : « C’est toujours intéressant une réappropriation. Peu importe le point de départ, tant qu’on y arrive ». Avec un œil aiguisé sur les questions de genre, la coiffeuse pousse la réflexion : « Ces jeunes hommes-là, demain ils seront adultes et, grâce à leurs locks, ils accepteront peut-être mieux les femmes qui portent leurs cheveux naturels. On aura moins ce regard dévalorisant que certains hommes noirs portent sur les cheveux des femmes noires ».

Comme toute mode, la popularité des locks n’est probablement pas vouée à l’éternité. Mais il semblerait que son impact la dépasse, en longévité et en signifiance.  Et pour les amoureux des locks, c’est tout ce qui compte.

Sylsphée Bertili

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