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Amina, Djeneba et Zineb sont au collège. Elles ont l’âge de tous les possibles et partagent cette amitié qui semble insubmersible. Mais déjà, des fissures se dessinent. Amina vient des quartiers chics de Paris, tandis que ses deux amies vivent dans des HLM insalubres de la banlieue parisienne. Quand l’une d’entre elles est victime d’une agression, le groupe se fracture.

Le premier long métrage de Nora El Hourch sort en salle ce mercredi 6 mars. Nous l’avions rencontrée en marge d’une projection, lors de la 18ᵉ édition du Festival CinéBanlieue.  La réalisatrice franco-marocaine nous a accordé un entretien à cette occasion. Interview. 

De la genèse à l’avant-première, comment s’est passée la conception d’HLM Pussy ?

Le projet a duré huit ans. Ça a été long pour plusieurs raisons. Déjà, j’ai compris que c’était un luxe de pouvoir écrire, car il faut du temps, mais aussi de l’argent, ce que je n’avais pas. Je devais continuer à travailler à côté comme serveuse, pour vivre. Ça a pris du temps parce qu’il y a la vraie vie à côté.

Ce film a été très dur à financer. Pourtant, il traite de problématiques sociales dont on a besoin de parler. Ça me mettait hors de moi que l’on me refuse des subventions sous prétexte que c’était trop stéréotypé. Finalement, j’ai fait ce film avec 500 000 euros… C’est rien du tout.

Ensuite, tout est allé très vite : un mois de tournage, puis un mois de montage. Mais j’ai eu une équipe incroyable. Il n’y avait que des jeunes. En même temps, pour accepter d’être payé au SMIC (rires) !

Les trois actrices principales ont leur tempérament bien distinct. Comment leur personnage ont-ils été pensés ?

Elles représentent toutes une partie de moi, même si je me retrouve surtout dans le personnage d’Amina. Zineb est naïve et douce. Amina grandit avec des codes et des expressions de son milieu. Elle est sûre d’elle et déjà sensibilisée à certains sujets. Djeneba est la plus terre à terre. Elle comprend les enjeux de ce qui se trame.

Dans le conflit qui oppose le groupe de copines, on est amené à prendre parti pour chacune des filles, tout à tour. Mais au final, vous apportez de la nuance, personne n’est absolument dans le vrai. Quel message vouliez-vous passer ?

Dès qu’Amina (qui vient d’un milieu social favorisé, ndlr), comprend ce que vivent vraiment ses copines, elles commencent à avancer ensemble. Elle reconnaît qu’elle ne peut pas venir et imposer sa loi et sa façon de penser. Ça a été très dur, j’avais peur qu’on déteste le personnage d’Amina, qu’on ne le comprenne pas. C’est juste une gamine qui peut sembler un peu insupportable à force de vouloir imposer ses idées.

Mais c’est aussi parce qu’elle sent la frontière. Sa démarche est maladroite, mais c’est pour se faire aimer, pour exister, pour servir à quelque chose. De l’autre côté, ses copines n’ont pas les mêmes priorités, selon d’où elles viennent. Ce n’est pas qu’elles se désintéressent de certains combats, c’est juste qu’en fait, avant d’être des femmes, elles sont noires ou arabes, elles ont d’autres combats internes.

Beaucoup de moments sont consacrés à la sororité, à l’amitié et à la solidarité. Doivent-elles s’unir face à l’adversité ?

C’est un film sur l’amitié, à 15 ans, quand on se construit. C’est le moment où l’on essaye de sortir des schémas de pensée hérités de nos familles. C’est le basculement. Les trois héroïnes deviennent des femmes, dans cette génération post Me too. À travers elles, je voulais passer ce message d’espoir : je crois en cette nouvelle génération.

Je pense qu’elles vont pouvoir réparer cette société mise à mal. Et pour cela, il faut d’abord essayer de se comprendre, de voir nos différences. Il n’y a que comme ça qu’on peut se fédérer pour un même combat. C’est aussi un message d’unité. Je voulais semer des graines d’espoir. Rappeler qu’il est possible pour les futures générations de se lever et de protester.

Les personnages masculins du film sont soit en retrait, soit dérangeants ou problématiques. Était-ce un choix, de ne pas les mettre sous le feu des projecteurs ?

Par rapport à ça, j’ai voulu dès la première scène du film inverser les rôles. Celle-ci montre deux mecs qui parlent de bouffe, de bagarre. C’est très stéréotypé. Les filles (les trois actrices principales, ndlr) ne sont qu’en voix-off, en arrière-plan. Au début, on est dans un univers de mecs, et les femmes sont anecdotiques.

Puis d’un coup, les filles se lèvent, s’expriment et prennent toute la place. Et dès ce moment, elles ne quittent plus l’écran. C’est leur histoire que je vais raconter. Toute cette première scène annonce la suite. Ce n’est pas un film comme beaucoup d’autres, où les hommes tiennent les rennes, tandis que les femmes sont en arrière-plan. C’est tout le contraire.

L’une des trois filles est victime d’une agression, un baiser forcé. On vous a reproché le fait que ce n’était pas un acte assez impactant pour ce sujet. Pourquoi ce choix scénaristique ?

Quand j’ai proposé mon scénario, on m’a dit qu’un bisou contraint, ce n’était pas assez pour déclencher tout un film. Comment on peut dire ça à notre époque ! Même si Zack (le personnage auteur de l’agression, ndlr) n’avait rien fait d’autre que bloquer l’entrée de la porte, ça aurait été un problème. Dès le moment où la personne le ressent comme quelque chose qui l’étouffe, c’est trop. Durant ces scènes, on est dans la tête de la victime, et on comprend que c’est trop, même si c’est “juste” un bisou.

Je voulais aussi qu’à la fin, elle ait la force, toute seule, de repousser son agresseur. Et ça lui demande une force surhumaine. Le but, c’était de parler du consentement, de cette zone grise, donc ça ne servait à rien d’être trop dans la démonstration.

Dans le film, Amina vit une crise identitaire avec sa culture. Elle est franco-marocaine, comme vous. Et elle a du mal à savoir où se situer. Cela fait-il écho à votre expérience personnelle ?

J’ai vécu dans deux cultures, et on m’a souvent dit que c’était une chance. Sauf qu’on est constamment obligé de choisir. Quand je suis avec des amis de la France blanche, je suis l’arabe. Avec mes potes arabes, je suis française. On vit sans cesse avec une double identité, on ne sait jamais qui l’on doit être. Je me surprends parfois à faire le caméléon.

Ça pourrait être une richesse, mais la société rend ça très compliqué à comprendre et à gérer. Tu es obligée de prouver des deux côtés, tu ne te sens jamais 100 % quelqu’un. Je voulais absolument parler de ça dans ce film, car c’est quelque chose qui m’anime, c’est une quête identitaire que j’ai depuis longtemps.

À qui adressez-vous ce film ?

On s’est beaucoup posé la question de la cible qu’on allait toucher. Mais finalement, ce qui est magique, c’est qu’une grand-mère de 80 ans autant qu’un garçon de 12 ans peuvent se sentir concernés par les sujets du film. Il est très universel dans sa forme. Je me rends compte que ça parle à tout le monde, et de manière différente. Et parfois, à des festivals, il y a des gamines qui me disent que mon film les a aidées. Et je me dis que tant que ça les aide, c’est parfait.

Propos recueillis par Radidja Cieslak

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