Après quatre ans de dur labeur, la réalisatrice Keira Maameri présentera ce samedi à Paris son quatrième long-métrage auto-produit Nos Plumes, documentaire retraçant le parcours de plusieurs auteurs français contemporains tels que Faïza Guène, El Diablo, Berthet One, Rachid Santaki et Rachid Djaïdani. Portrait.
« L’autoproduction, c’est bon. J’ai donné quatre films à l’humanité, je peux maintenant entrer dans la normalité ». Ainsi s’exprime Keira Maameri, documentariste qui investit ses revenus dans ses films, filme avec le cœur, monte avec sa « soeur » de cinéma Hélène Amétis de l’association Derniers de la classe Productions, puis sollicite elle-même télévisions, festivals et autres lieux pour ses diffusions.
Il aura donc fallu quatre ans pour que son dernier documentaire Nos Plumes soit produit sans aucune subvention, qu’elle approche les auteurs, gagne leur confiance, tente de séduire des maisons d’éditions (qui ont toutes décliné la proposition), filme puis post-produise ces portraits intimistes d’écrivains contemporains. Car le temps, Keira Maameri ne le compte pas : « Mes films se font sur la longueur ».
Face à sa caméra, Faïza Guène (Kiffe Kiffe demain, Du rêve pour les oufs…), Berthet One (L’évasion, Vive la Liberthet), Rachid Santaki (La Petite Cité dans la prairie, Les anges s’habillent en caillera…), El Diablo (Les Lascars, La rage de vaincre…) et Rachid Djaïdani (Boumkoeur, Mon nerf…) racontent leur parcours, leur amour pour la littérature, leur succès et le rapport aux étiquettes (« banlieue », « urbain »…) qu’on essaye de leur coller.
« On ne les voit jamais en tant qu’auteurs, ils sont toujours ramenés à la banlieue », affirme Maameri qui souhaitait, avec ce projet, se pencher sur la littérature et se détacher de l’étiquette « réalisatrice hip-hop » qu’on lui accolait. Si ses précédents films se déroulaient dans ce milieu, c’est aux personnes qui y gravitent qu’elle s’intéressait pour aborder la mort (A nos absents, 2001), l’égalité hommes/femmes (On s’accroche à nos rêves, 2005) ou l’Islam (Don’t Panik, 2011). Horripilée par le traitement médiatique des banlieues et de l’Islam (« il y a un gouffre entre ce que c’est et ce qu’on nous donne à voir »), la réalisatrice est surtout déçue par le fait que soit entretenu en France « un non-désir et une non-curiosité » de découvrir l’Autre.
« Il y a tout plein de gens qui te limitent »
Née à Maameria en Algérie (« la ville de ceux qui portent mon nom ») durant les années 1980, Keira Maameri est la troisième d’une famille de sept enfants. Arrivée en France à l’âge d’un an avec son père, cariste, et sa mère, dame de cantine, elle vit une enfance « normale » emplie de livres (« la bibliothèque était en face de chez moi ») et de films (« le dimanche soir je me levais pour voir La Dernière séance à la télé »). Dans la ville « dortoir » de Longjumeau (91) où elle grandit, son avenir scolaire se joue à une rue : « le centre ville m’a donné un parcours atypique et un champ de possibilités ». Scolarisée dans la ville voisine, cette élève « attentive » avoue avoir aussi été « une vraie feignasse » qui n’aimait pas faire ses devoirs.
Lorsque sonne le moment fatal des choix d’études, Keira Maameri subit, comme tous les camarades de sa classe sociale, les affres de la désorientation. A 12 ans, rêvant d’être juge pour enfants, elle s’entend dire : « Non vous ne pourrez pas le faire ». Au lycée, pendant ses études littéraires, son envie d’être décoratrice d’intérieur, est balayé : « Oh mais vous ne pouvez pas, il faut être riche… ». Keira Maameri ne dit rien et encaisse : « Il y a tout plein de gens qui te limitent. Toi, parce que tu es qui tu es, tu ne peux pas faire ce que tu veux ».
Découvrant que la fac de cinéma Paris 8 à Saint-Denis (93) offre une option pratique, elle fait un sitting devant l’administration où l’on refuse de l’inscrire. « Je connais les étudiants, vous ne viendrez jamais, vous habitez trop loin », énonce le Président de l’université, signant finalement son autorisation. En réponse, Keira Maameri décroche un Master et traverse tous les jours les trois départements (91-75-93) qui la séparent de la fac, même les week-ends. Après avoir travaillé dans la publicité (« pour rien au monde je n’y retournerai »), ce sont les ateliers en milieu scolaire qui financent ses projets.
Assez vastes, ses goûts cinématographiques vont de la Corée à la Turquie, des films d’horreurs japonais à la comédie Bal Poussière de l’Ivoirien Henri Duparc, mais aussi au cinéma américain et à John Cassavettes. Moins emballée par un cinéma français certes « de très bonne qualité technique », Keira Maameri le trouve « à l’image de ceux qui le produisent », bien moins divers que la Belgique voisine : « tant que les producteurs et les diffuseurs ne l’auront pas compris, on restera engoncé dans les comédies de couple avec un certain portefeuille ».
Considérant ne pas « filmer la banlieue », Keira Maameri réfute les étiquettes. « Je n’ai pas cette frontière dans mon esprit. Je suis un être humain sur terre ». Si l’ensemble de son œuvre interroge la place que l’on se fait « quand on est une minorité au sein d’une majorité » (femmes dans un milieu d’hommes, musulmans dans un pays historiquement catholique, banlieusards dans un milieu parisien…), la beauté de son geste réside dans le fait de donner la parole » à ceux qui ne l’ont pas, sur des sujets sur lesquels on ne les attend pas ».
Claire DIAO
Projection de Nos Plumes de Keira Maameri : samedi 10 septembre à 19h au Cinéma La Clef 34 rue Daubenton 75005 Paris dans le cadre du Festival international du film de la Diaspora (FIFDA). En présence de Keira Maameri, Faïza Guène, Rachid Santaki, Berthet One et Rachid Djaïdani