Il fallait que quelqu’un s’y mette, et qui d’autre que Manuel Coudray aka Manu Key pouvait nous proposer cet ouvrage racontant l’histoire d’un collectif de rap légendaire pour lequel il fut si décisif. Enfin l’histoire de la Mafia K’1 Fry pouvait être couchée sur papier, avec le point de vue personnel de celui qui en a été le dénominateur le plus fort.
Les liens sacrés a été dès son annonce une grande attente pour moi, enfant de la fin des années 90 début des années 2000. J’ai, comme beaucoup, tout pris dans la face, les Princes de la ville du groupe 113, les albums successifs de Rohff, l’album Le combat continue du groupe Ideal J, ou La cerise sur le ghetto, l’album commun du collectif du Val-de-Marne.
La Mafia K’1 Fry c’est une déferlante nationale de domination dans le paysage radiophonique français sur plus d’une décennie. C’est aussi et surtout un style reconnaissable au vocabulaire débordant d’image, à la variété des artistes, aux sonorités totalement à part, grâce à la patte majestueuse de Dj Mehdi et aux visuels agressifs mais terre à terre absolument incomparables à ce qui se faisait outre-Atlantique.
C’est cette idée de faire équipe qui me parlait le plus dans cette histoire.
La Mafia K’1 Fry parlait aux quartiers, aux provinces avec cette posture rude comme son époque mais fraternelle avec cette mentalité d’union dans tous les domaines et les projets où les artistes du collectif se retrouvaient sur un ou plusieurs morceaux. C’est cette idée de faire équipe qui me parlait le plus dans cette histoire.
Le clip légendaire du titre « Pour ceux » sorti en 2003 et qui bousculera à jamais l’esthétique des clips de rap français.
Dans ce foisonnement de propositions artistiques, mon climax de cette époque se situe autour de la sortie de La cerise sur le ghetto avec le visionnage de l’inoubliable clip Pour ceux, réalisé par Kourtrajmé. Dans ce florilège de souvenirs que j’ai avec cet ouragan du rap des années 2000 Manu Key n’est pas loin.
Son livre Les liens sacrés s’ouvre dans les tourments de souvenirs pénibles de l’auteur qui se confrontent, pour mieux présenter le personnage. Nous respirons avec lui le Val-de-Marne du début des années 1990, nous collons aux basques de Manu l’Orlysien, débrouillard sportif et surtout dingue de Hip-Hop. Précurseur, avec le groupe Posse Ideal puis Different Theep, d’un rap urbain à l’allure moins parisienne que ses aînés, Manu Key évoque son début de carrière balbutiant entre fraudes de RER, rencontres marquantes, épreuves de la vie et surprises artistiques.
Manu Key nous raconte avec pudeur le détail des leçons qu’il tire de chaque album auquel il donnait son énergie, sans calculer.
De la première discussion avec le Kery James pré-adolescent débordant de curiosité, aux nuits blanches à chasser les samples avec Dj Mehdi qui bidouillait déjà des sonorités dans une armoire familiale, Manu Key nous raconte avec pudeur le détail des leçons qu’il tire de chaque album auquel il donnait son énergie, sans calculer.
L’ancien rappeur devenu coach de basket professionnel nous offre un inventaire de moments importants autour d’albums classiques du rap français : des prémices d’un Rohff grand public à la révolution sonore qu’a constitué la collaboration entre Dj Mehdi et le 113.
L’homme de l’ombre, rappeur réalisateur, coach, éternel grand frère, Manu Key qui a récemment rendu disponible l’ensemble de sa discographie, nous rappelle une époque où l’artistique était insignifiant sans contact réel, sans les déplacements plus ou moins longs pour chercher la sonorité du moment. La carrière d’un artiste de l’époque de Manu Key se construisait par étape au gré des hasards de la vie, des moments d’urgence qui permettaient le bouillonnement des idées.
C’est un homme touchant, attachant et fidèle à sa musique que nous redécouvrons.
L’ouvrage est une plongée dans l’intimité propre d’un homme face à ses défis et ses idées, nous laissant apprécier ses capacités au dessus de la moyenne pour sentir les talents émergents de son territoire. On se régale des multiples bricoles entreprises autour d’un disque, on y comprend la complexité logistique d’une partie du rap français des années 90 qui galère dans l’ombre des Solaar, IAM ou NTM.
Le livre nous permet aussi de percevoir les failles d’un artiste, confronté aux aléas humains d’une longue carrière, au prestige aussi grand que la fatigue mentale qu’elle peut engendrer. C’est un homme touchant, attachant et fidèle à sa musique que nous redécouvrons.
Le livre Les liens sacrés se raconte presque comme une longue histoire sur un banc usé mais qui résiste grâce à la fraternité de la rue. L’inestimable, celle qui nous inspire, qui nous limite, qui nous engage vers une destinée différente de ce que l’ogre sociétal prévoit.
Manu Key était dans ce rap français balbutiant, un passeur, facilitateur de talent dans l’immense jungle industrielle de la musique qu’il fallait aborder avec improvisation, créativité. Manu Key a su être dans toute sa vie artistique le ciment qui faisait tenir l’édifice, l’apport altruiste ultime qui continue de sublimer l’inspiration.
Saïd Harbaoui