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Il y a quelques semaines, la bande dessinée « Spirou et la Gorgone bleue » sortie en 2023 a été retirée de la vente à cause de ses représentations animalières stéréotypées et racistes des personnes noires. Mais il aura fallu attendre un an et une mobilisation sur les réseaux sociaux pour que cela arrive. Un problème qui n’est pas isolé.

Hashley Auguste, franco-haïtienne et assistante sociale de profession, est également autrice et entrepreneuse. Elle est à l’origine de Little Nappy, un univers créé pour que les enfants aient des héros et des héroïnes qui leur ressemblent, loin des clichés et stéréotypes racistes. Elle a d’ailleurs récemment co-signé une tribune contre les représentations racistes et stéréotypées dans la littérature jeunesse avec des maisons d’édition, des autrices, auteurs et militant.e.s anti-racistes. Interview.

Vous avez signé la tribune : « Pourquoi en 2024, la littérature jeunesse véhicule-t-elle encore des stéréotypes racistes ? », est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?

C’est venu à la suite d’un énième scandale où l’on a encore vu des faits de racisme dans une bande dessinée. Je me suis dit qu’il y avait des enfants qui allaient lire cette BD alors qu’à l’école, c’est déjà horrible parfois… Je reçois des témoignages tous les jours de parents qui me disent : « à l’école on dit ça à mon fils », « on dit ça à ma fille ». Il suffit qu’un enfant noir tombe sur la BD et il va se dire « ok donc je ressemble à un singe ? »  L’enfant blanc va lui dire « hahaha c’est toi ! »

On n’est pas assez visibles et justement, c’est le nerf de la guerre 

Ce genre de BD participe au harcèlement et n’aide pas du tout. Aujourd’hui, cette BD n’est plus en vente et c’est super. Mais je trouve qu’à l’inverse, dans les médias, on ne parle pas assez du fait qu’il y a des alternatives et des représentations positives d’enfants noirs. Il y a de plus en plus de petits créateurs et créatrices comme moi qui nous levons et faisons des choses. Mais on n’est pas assez visibles et justement, c’est le nerf de la guerre.

Comment faites-vous pour contrer les stéréotypes racistes et aider les enfants à mieux s’accepter ?

En 2015, j’ai créé une page Instagram qui s’appelait Black Happy Hair pour partager tout ce que j’apprenais concernant les cheveux crépus. On m’envoyait beaucoup de témoignages, et les questions qui revenaient souvent concernaient les plus petits. « Pour les enfants, comment on fait ? », « Mes enfants sont métis… », « Ma fille à l’école n’en peut plus… »

J’ai commencé à m’y intéresser et regarder ce qui se faisait en termes de livres, de poupées, de jouets, etc. J’ai vite compris qu’il n’y avait aucune représentation d’enfants noirs avec des cheveux crépus qui véhiculent des messages positifs concernant son physique, sa beauté, sa personne, sa double culture. Il y a Kirikou, mais bon… Je n’ai rien contre lui, j’aime beaucoup, mais c’est un enfant qui est dans un village et qui n’est pas en Europe. Je ne m’identifie pas à Kirikou. J’ai grandi en France, je vais à l’école et je suis habillée, ce n’est pas la même vie. Je me suis dit qu’il manquait quelque chose. Il y avait un manque d’estime.

On intériorise beaucoup de choses, notamment le fait qu’il faut changer la nature de sa peau

À contrario, les enfants caucasiens ont mille et un modèles avec lesquels grandir, s’épanouir, s’identifier, pour qu’ils prennent confiance en eux. En grandissant, cela crée énormément de complexes. On intériorise beaucoup de choses, notamment le fait qu’il faut changer la nature de sa peau en l’éclaircissant, se mettre des extensions de cheveux, qu’on a des limites, des barrières…

En 2018, j’ai écrit un livre, Little Nappy, sur une super-héroïne noire avec ses cheveux crépus qui nous raconte ses aventures. C’est un personnage pour enfants qui parle entre autres d’acceptation de soi, de ses différences, de la tolérance et de la diversité.

J’avais envoyé le premier livre à plusieurs maisons d’édition, mais j’ai reçu beaucoup de refus au motif que « ça n’intéressera pas les gens », ou je n’avais pas de réponse. Finalement, j’ai auto-édité trois tomes et fait d’autres projets sur la même thématique.

Vous avez créé tout un univers enfant sur l’estime de soi, avec Little Nappy que peut-on retrouver ?

Quand j’ai commencé, je voulais parler positivement de cette héroïne, et qu’elle soit partout où il y a des enfants de 2 à 12 ans. De l’écran avec le dessin animé, au bac à jouets, en passant par la bibliothèque avec les livres.

Rapprocher les familles en poussant à la réflexion après lecture 

Maintenant, l’univers Little Nappy contient des livres sur les cheveux, l’école, l’amitié, la famille, les origines, mais aussi des têtes à coiffer avec cheveux texturés, un dessin animé, etc. Le but est toujours de valoriser, de positiver les enfants, et de rapprocher les familles en poussant à la réflexion après lecture.

Jusqu’au 6 janvier 2025, j’ai une boutique éphémère au centre commercial Belle Épine à Thiais dans le Val-de-Marne. C’est le centre commercial dans lequel j’allais quand j’étais petite, donc je suis encore plus contente. Je travaille avec des coiffeuses afin de proposer en plus de tout, un salon de tresses pour les enfants aux cheveux bouclés, frisés et crépus.

Pour moi, ça a du sens d’intervenir dans des salons de coiffure pour faire des ateliers sur les cheveux. Des salons qui ouvrent exclusivement pour les enfants et qui sont destinés à un public aux cheveux texturés, cela n’était pas très commun avant donc c’est super.

Dans ma boutique, il y a également un espace pour faire des ateliers d’estime de soi en lien avec mes livres. D’ailleurs, c’est ce que je fais avec les enfants ponctuellement dans l’année. J’interviens dans les écoles sur ce sujet, notamment à l’étranger lorsque des particuliers, entreprises ou agences font appel à moi. J’ai été dans des écoles primaires et des lycées à New York et Seattle avec une agence qui voulait promouvoir la littérature française aux États-Unis et en Espagne.

Cette année, je me suis rendue en Guadeloupe pour des ateliers autour de la double culture et l’estime de soi dans des classes de collège et lycée via une association qui promeut la culture afro-caribéenne. Mais pas en France hexagonale. J’aimerais beaucoup, je suis très ouverte à l’idée, mais c’est plus compliqué. On m’a déjà dit non par manque de budget, ou non : « on ne fait pas ce genre de choses ». En revanche, j’ai été dans des entreprises, pour des ateliers lecture ou estime de soi avec parents et enfants. C’est déjà un début.

Propos recueillis par Christiane Oyewo

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