Le Prix Fiction de l’Urban Film Festival est une première dans la carrière de Mehdi Idir. D’abord parce que Le bout du tunnel est son premier court-métrage de fiction mêlant « le fond et la forme » comme il le souhaitait, ensuite parce que c’est la première fois qu’il est récompensé : « C’est la meilleure des récompenses. Je ne savais même pas qu’il y avait des récompenses ce jour-là, les gens de mon équipe auraient aimé venir».
Tourné en trois jours en noir et blanc et caméra subjective dans la prison de Nanterre (« l’administration pénitentiaire nous a beaucoup aidé alors que nous étions 25, avions fait entrer un calibre, un bébé et simulé une évasion »), Le bout du tunnel est un « clip amélioré » basé sur l’histoire vraie de Laurent Jacqua, prisonnier entré en détention en 1984 et libéré en 2011. « Grands Corps Malade lui a demandé s’il pouvait écrire un morceau sur son histoire. J’ai tanné le label pendant deux ans pour pouvoir le réaliser ».
Né en 1979 à Saint-Denis (93), cette ville « proche de Paris et moins chère où sont enterrés les rois de France » où il vit toujours, Mehdi Idir est l’aîné d’une fratrie de deux enfants, né d’une mère secrétaire et d’un père chauffeur-livreur français. Descendant de grands-parents kabyles ayant combattu pour la France et travaillé dans ses usines Renault, Mehdi Idir grandit dans la cité des Francs-Moisins et connaît une enfance à la fois « cool et chelou » : « j’ai très tôt su que mon enfance était différente de celle des autres ».
Son père « à la kiss » porte des Weston, l’emmène au concert de James Brown et loue des films de voyous au vidéo-club du coin (« je séchais ou rentrais vite de l’école pour pouvoir revoir les VHS avant qu’il ne les rende»). Sa mère est à cheval sur l’éducation (« elle a eu son DUT alors qu’elle était enceinte et a toujours énormément travaillé»). Mehdi Idir, lui, est un élève « je m’en foutiste » travaillant juste ce qu’il faut pour avoir la moyenne. En parallèle, il fait de la danse Break avec la compagnie Aktuel Force à la MJC de Saint-Denis.
Après un Bac ES décroché en deux fois, Mehdi Idir s’inscrit en DEUG Communication à l’Université Paris 3 et ne s’y rend que 17 fois « pour draguer une fille qui ressemblait à Julia Roberts ». La Mission Locale de Saint-Denis proposant des formations, il s’initie au montage vidéo et, récupérant une caméra DV, filme ses premiers battles de danse.
« C’est là que j’ai eu la révélation »
En 2001, suivant avec un ami les Wanted Posse sacrés Champions du Monde de danse hip-hop, Mehdi Idir réalise une bande-démo. Le président de TF1 Vidéo adore le concept et reçoit dans son bureau ces deux danseurs ayant cumulé 40 000 téléchargements sur le site Style2ouf.com. Avançant qu’ils vont « assurer » même s’ils sont autodidactes, les deux compères gagnent sa confiance et réalisent un DVD, Wanted Posse, la vidéo officielle, qui s’écoule à 11 000 exemplaires. « C’est là que j’ai eu la révélation ».
En 2007, Mehdi Idir réalise Paris By Light, une vidéo sur le light painting avec l’artiste Marko93. « L’équipe de YouTube nous a mis sur sa page d’accueil et en un mois, nous sommes passés de 30 000 à 700 000 vues ». La vidéo lui ouvre les portes de la télévision. Travaillant pour Canal + (Clique), Comedy ! (La grande scène) et NRJ12 (La nuit nous appartient), Mehdi Idir réalise également des publicités. Et des clips pour Grand Corps Malade, rencontré à l’occasion de Talents Cachés, un concept réunissant des artistes de la culture urbaine qui découlera, quelques années plus tard, sur Ça peut chémar, diffusé par Canal +.
Pour lui qui apprécie Le cave se rebiffe, Retour vers le futur, Les affranchis, La bamba et Les princes de la ville, les films français d’aujourd’hui sont basés, « à 70%, sur la vie de bourgeois quarantenaires de la Rive Gauche dans lesquels je ne me reconnais pas ». Considérant malgré tout que le cinéma français est « un peu en train de changer », Mehdi Idir aime des films comme Polisse, La Haine, Un prophète et admire le travail de Jean-Pierre Jeunet.
La banlieue bénéficie selon lui d’un traitement « catastrophique » : « Il y a énormément d’initiatives dans les quartiers mais les médias s’en foutent ». Pourtant, le paysage médiatique est en train de changer : « des Mehdi et Badrou ou des Mouloud Achour, ce n’est plus si rare que ça aujourd’hui».
Alors pour filmer la banlieue, Mehdi Idir préfère montrer, « sans clichés », « des histoires de gens de banlieue sans drogues et voitures brûlées» parce que c’est un lieu « comme n’importe quel autre » : « dans les villages, les gens galèrent autant qu’en banlieue». Il prépare actuellement son premier long-métrage, Patients, adapté du roman de (et co-réalisé avec) Grand Corps Malade.
Claire Diao