A l’occasion du festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec, le Bondy Blog a vu 10949 Femmes, de Nassima Guessoum. Dans ce long-métrage documentaire, la réalisatrice est allée à Alger à la rencontre de Nassima Hablal, héroïne oubliée de la révolution algérienne. Parfois émue, parfois ironique, elle raconte son histoire et son combat pour l’indépendance de l’Algérie.
« Je voulais libérer mon pays du joug colonialiste ». C’est ainsi que Nassima Hablal résume son combat, mené dans les années 1950 lors de la révolution algérienne. Elle est alors âgée d‘une trentaine d’années et compte parmi les 10 949 moudjahidate, les combattantes de la guerre d’Algérie recensées comme telles par l’Organisation Nationale des Moudjahidine. Entre 2006 et 2013, la réalisatrice Nassima Guessoum l’a rencontrée régulièrement à Alger pour recueillir son témoignage, au point d’établir une relation de confiance et d’amitié.
« La révolution passait avant tout » : le récit d’un combat
Secrétaire au gouvernement général, elle milite au sein du Parti du Peuple Algérien (PPA) et s’engage au Front de Libération Nationale (FLN) en 1954. Elle mène alors une action discrète et distribue des tracts imprimés chez elle. « A l’époque, nous étions […] dominés par la France », raconte-t-elle, une pointe de douleur dans la voix. Elle évoque alors les grands noms de la révolution, dont Nassima Guessoum filme les portraits au musée de la ville. « J’étais une révolutionnaire et la révolution passait avant tout », résume l’ancienne militante.
Le 21 février 1957, Nassima Hablal est arrêtée à cause de ses activités militantes. Elle est alors torturée par les paras du général Jacques Massu puis condamnée à cinq ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’État et emprisonnée en France. « On faisait la loi, nous, en prison », relate-t-elle, avec fierté, suscitant l’amusement de la réalisatrice. Si elle a supporté l’incarcération qu’elle considère comme « une expérience », elle n’a jamais accepté « qu’on tue ceux qui avaient fait la révolution », explique-t-elle, attristée et émue. Après avoir raconté son histoire, Nassima Hablal nous emmène à la rencontre de Baya, une ancienne sage-femme qui a combattu à ses côtés. Elle aussi raconte son combat de moudjahidate et souffre encore d’avoir été « torturée et violée » par les colons. Elle offre une version plus sombre, teintée d’une certaine rancune, de cette période de l’Histoire.
Femme avant d’être combattante
Plus tard dans le documentaire, alors qu’elle vient de perdre son fils Youcef, Nassima raconte elle aussi les tortures, jusqu’alors passées sous silence, qu’elle a subies. Soudain, le ton change et la légèreté laisse place à la tristesse. « Depuis l’indépendance, j’ai voulu oublier, oublier ce passé, ces souffrances ». Mais il y a des mots trop douloureux pour que l’ancienne combattante les prononce elle-même. C’est donc la réalisatrice qui lit en off le récit poignant, rédigé par la révolutionnaire alors qu’elle était emprisonnée, entre deux journées de torture, dans lequel elle raconte les supplices subis. La réalisatrice donne ensuite la parole à Nelly Forget, qui partageait la cellule de Nassima Hablal et admirait déjà sa « grande liberté d’esprit ».
Récit historique, le documentaire de Nassima Guessoum prend aussi la forme d’un portrait : celui d’une femme étonnante, qui, après avoir affronté le deuil et la souffrance, demeure enjouée, drôle et coquette. Révolutionnaire, combattante, jeune fille, mère, vieille dame un peu sourde, Nassima offre des visages divers et variés. Dès les premières minutes du film, l’héroïne chante dans sa cuisine avec légèreté. « J’aurais dû être chanteuse », s’amuse-t-elle. Tout au long du documentaire, elle partage plaisanteries ironiques, chants poétiques, recettes de cuisine et anecdotes savoureuses. Cette gaîté naturelle et indéfectible, Nassima l’exprime aussi par ses choix vestimentaires. Sur chaque plan, elle porte un foulard et une tunique de couleur différente. Tailleur noir, voile rose, robe blanche : la moudjahidate demeure une femme avant tout. Une femme qui dispose une fleur rose dans ses cheveux et se maquille avec attention avant de sortir.
Aux côtés de Baya, elle raconte ses histoires d’amour et ses peines de cœur. Elle se souvient de sa passion pour Mohamed, qui fut condamné à mort à 19 ans. Mais, le grand amour de sa vie, celui qu’elle n’oubliera jamais, c’est son fils, Youcef, dont on apprend dans les dernières minutes du documentaire qu’il est décédé deux ans après le tournage du film. Nassima déclare alors qu’elle ne veut « aller nulle part, si ce n’est au ciel », pour le voir.
L’Algérie magnifiée
Le cœur de l’ancienne moudjahidate bat aussi avec force pour l’Algérie, pays raconté et sublimé tout au long du documentaire. Le film repose sur une alternance entre les interviews de Nassima chez elle et ses déplacements à Alger. L’appartement simple et épuré de l’héroïne contraste avec la beauté et la variété du paysage. La réalisatrice film fréquemment la nature luxuriante et les arbres fruitiers qui donnent toute leur saveur au pays. A travers l’objectif de Nassima Guessoum, les terres de Kateb Yacine se transforment en symbole de liberté. Les barreaux aux fenêtres des maisons contrastent avec les envolées des oiseaux dans un ciel merveilleusement azur. Un bleu clair et lumineux, qui tranche avec l’indigo intense et profond d’une Méditerranée infinie.
C’est avec cet arrière-plan géographique que Nassima Hablal raconte l’Histoire, en même temps qu’elle évoque son histoire. Parfois léger, parfois tragique, ce récit conduit le spectateur à s’interroger sur les notions de liberté, de résistance et d’engagement. Ce documentaire met un visage sur la révolution algérienne. Il raconte la mémoire, les souvenirs et leur transmission d’une génération à la suivante.
Maéva LAHMI
Crédits photo : Nassima Ghessoum