« Qui prétend faire du rap sans prendre position ? », est une phrase culte du rap français, lancée par Arsenik en 1998 puis reprise par Kery James, Youssoupha, ou Keny Arkana. Depuis les années 90 avec les grands classiques comme « Police » du groupe Suprême NTM, « Sacrifice de poulet » de Minister Amer, dans ses textes ou dans ses clips, le rap n’a jamais perdu cette essence politique et continue de dénoncer les violences de l’Etat.

A travers une liste non exhaustive de morceaux de rap, retraçons depuis 2015, 10 ans après la mort de Zyed et Bouna à Clichy sous Bois et les révoltes urbaines historiques qui s’en sont suivis, l’évolution de l’engagement des rappeurs et des rappeuses dans la lutte contre les violences policières, et bien au-delà, la lutte contre le racisme et même contre le sexisme.

Les références aux crimes policiers et aux révoltes urbaines

En 2015, en hommage des 10 ans de leur mort, Kery James sortait le morceau « Zyed et Bouna » tourné en studio, où il disait déjà « 10 ans après tu peux faire le constat, très peu de choses ont changé (Zyed et Bouna) rabzas et renois à leurs yeux on est toujours des étrangers (Zyed et Bouna) J’ai abandonné l’idée qu’un jour ils me perçoivent comme un français (Zyed et Bouna). Mais j’abandonne pas l’idée que l’Etat français me doit le respect ».

La mort d’Adama Traoré, en 2016 à la gendarmerie de Persan, médiatisée par sa sœur Assa Traoré est une affaire qui a aussi laissé sa trace dans le rap français. En 2016, le rappeur du Havre, Alivor, a repris « Arrêt du cœur » de Kalash Criminel et Kaaris, en référence à la mort par étouffement d’Adama Traoré : « Beaucoup d’larmes pour Adama Traoré, de la douleur. Arnaque, arnaque, arnaque jusqu’à l’autopsie. On connait leurs mélodies. // Si ils me crèvent est ce qu’ils diront que j’suis cardiaque ? C’est les keufs ou nos cœurs qui font des attaques ? »

En 2017, une nouvelle agression de la police marque les quartiers populaires, son art et le mouvement contre les violences policières : l’arrestation et le viol de Theo Luhaka, à Aulnay-sous-Bois. Quelques jours après l’agression de Theo, le rappeur D.Ace réagit dans un tweet qui précèdera un clip : « Je suis Adama, je suis Théo, je suis aussi Zyed et Bouna ». 

En 2019, ce n’est pas dans leur texte mais dans leur clip autobiographique « Deux frères », que le groupe PNL choisit de montrer des affrontements entre jeunes des quartiers populaires et forces de l’ordre, nous rappelant les révoltes urbaines de 2005.

De la censure à l’appel à la mobilisation collective

La censure est monnaie courante dans le rap mais n’a jamais arrêté la contestation. Pour « injure », « apologie à la haine », ou encore « outrage », les polémiques et les poursuites pleuvent sur les rappeur-s-es dénonçant les violences policières.

C’est ce qui est arrivé au rappeur Jo Le Pheno, qui a été poursuivi en justice après son morceau « Bavure » sorti en 2016. Issu du XXe arrondissement de Paris, lieu où a été tué par la police Lamine Dieng en 2007, le rappeur commence son clip par l’image d’une fresque en son hommage et enchaîne : « Où sont les condés ? On va les dompter ! Combien décédés ? On peut plus compter ! Les émeutiers sont al, ils attendent le signal ! ».

Loin de faire taire le rappeur, en 2017, quelques mois avant son procès il sort le clip de « Bavure 2.0 », tourné en manifestation. Il répond aux accusations dans son refrain : « J’incite personne à la haine moi, j’incite personne à tuer qui que ce soit, et j’incite personne à se laisser faire. / Tous les jours des bavures policières, tout le tieks sous contrôle judiciaire, je suis l’ennemi de Cazeneuve et du commissaire. »

En ce mois de juin 2020, marqué par les fortes mobilisations contre les violences policières, il sort « Bavure 3.0 » : « En 2016 ils ont plainté, en 2020 ça va barder ! » Dans ce dernier clip, tout le monde porte un t-shirt aux noms des collectifs contre les violences policières, on entend un sample des paroles de Camélia Jordana, puis Amal Bentounsi, fondatrice du collectif Urgence notre police assassine apparaît sur les paroles : « Urgence (urgence) la police assassine. Regarde ce qu’ils ont fait à Zyed et Bouna, Adama et Lamine. C’est quand que ça se termine, la liste est longue mon ami. » Le rappeur déjà engagé en 2016, prône maintenant l’organisation collective et l’auto-défense en présentant l’application Urgence Violences Policières. 

Les femmes figures de la lutte, mises en avant dans la culture populaire

Dans le dernier clip de Jo le Pheno, on entend Camélia Jordana, et l’on aperçoit la militante Amal Bentounsi, figure du mouvement contre les violences policières en France depuis la mort de son frère Amine en 2012. D’Amal Bentounsi, à Assa Traoré, en passant par Ramata Dieng, ce sont des figures féminines qui portent ces combats contre les violences d’Etat durant des années, et la culture musicale des quartiers populaires leur fait honneur.

En 2018, Kery James sort le clip intitulé « Amal » pour Amal Bentounsi, où il rappe pendant 7 minutes son histoire, celle de son frère, et son combat pour la vérité et la justice. Il précise à l’ouverture de son clip qu’à travers l’histoire d’Amal il raconte « l’histoire de toutes ces femmes, pas vraiment ordinaires, qui font face à l’adversité avec courage et dignité ». D’où le choix de mettre exclusivement des femmes dans le clip, et que la rappeuse Chilla clôture le morceau avec le classique « Banlieusard » du rappeur.

En 2019, c’est sur le Planète rap de K.Point que l’on entend pour la première fois le titre « Assa » de la chanteuse Mallaury, en hommage à la militante Assa Traoré : « D’autres auraient déjà baissé les bras, ce n’est pas ton cas Assa. Je te sais guidée par la foi. Tu es sur la bonne voix Assa. Je voudrais autant de courage qu’Assa. Tête haute, bras levée, tu mènes le combat. »

Comme Kery James avec Amal Bentounsi, Mallaury décide de faire d’Assa Traoré une figure emblématique pour rendre hommage à toutes les femmes en lutte. Mais dans son clip, la chanteuse va plus loin en la portant aussi en étendard de la lutte féministe et appelle toutes les femmes à être « déterminées comme Assa ». Le clip est un hymne à la révolte contre toutes les violences sociales. Elle dénonce les violences de genre, lorsque nous voyons des femmes victimes de violences conjugales, et de harcèlement sexuel au travail qui ripostent contre leurs agresseurs au rythme de « La révolte comme solution à ça ! »

Dans son clip « Interlude » sorti il y a quelques jours, le rappeur marseillais, Soso Maness nous offre aussi une image crue et direct des violences policières dans les quartiers populaires. Filmé dans la peau d’un policier, nous suivons la journée d’une équipe de la BAC Nord de Marseille, entre contrôles discriminatoires, violences physiques et perquisitions illégales. Image rare, il choisit de montrer dans la dernière image de son clip le racket et l’agression sexuelle d’une travailleuse du sexe par la police.

De la dénonciation des violences policières, à la mobilisation, ces rappeurs et rappeuses montrent la réalité du harcèlement quotidien de la police, et les violences physiques et psychiques que vivent femmes et hommes vivant dans les quartiers populaires et/ou travaillants dans la rue. En dénonçant les violences policières, iels nous invitent à voir d’autres facettes des violences sociales.

Anissa RAMI

 

 

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