« Je vais te tuer ! Je vais te retrouver ! Je vais t’attendre en bas de chez toi ! ». Fin janvier 2015, Marine Turchi est menacée de mort par un proche de Marine Le Pen alors qu’elle enquête sur « Jeanne », le micro-parti de soutien à la présidente du Front national (FN). Cet épisode n’est qu’un des déboires de la journaliste de Mediapart avec le parti politique d’extrême droite et ses militants, comme elle le raconte devant les lecteurs et reporters du Bondy Blog venus assister à sa Masterclass, samedi 7 avril. « L’extrême droite a tendance à pas mal fouiller ma vie. Par exemple, ils ont balancé la date de naissance de mes parents et leur lieu de naissance sur Twitter », indique-t-elle.
Avant de rejoindre la rédaction de Mediapart en tant que journaliste politique, en 2007, dès le lancement du site d’information, Marine Turchi fait ses classes à Sciences-Po Lille et l’École Supérieure de Journalisme de Lille (ESJ). « Je viens d’un village de 1000 habitants et je suis allée faire mes études loin de chez moi, à Lille. J’ai toujours voulu être journaliste, je ne sais pas comment expliquer cela, confie-t-elle. J’ai aussi toujours eu un attrait pour la politique et notamment le Front national. Petite, je regardais beaucoup d’émissions politiques et quand j’étais à Sciences-Po, j’étais déjà très intéressée par la sociologie politique et ce qui motive le vote d’extrême droite ».
Interrogée à ce sujet, la journaliste de 35 ans explique qu’il y a plusieurs dimensions dans le vote frontiste : « La crise économique et sociale et tout ce qui en a suivi depuis 2008 a eu un gros impact. Mais ce qui constitue le ciment du vote d’extrême droite, ce sont les questions d’immigration, le rejet de l’autre, l’idée que si on n’a pas de travail c’est la faute de l’étranger, de celui qui est différent ». Et d’ajouter : « Le Front national fait le pont entre le chômage et les immigrés ou les gens d’origine immigrée. On est passé d’un discours stigmatisant les juifs et les arabes à un discours stigmatisant les musulmans ».
Diffusion du discours anti-médias du FN
Forte de son expérience et de sa couverture du FN depuis dix ans, Marine Turchi livre son analyse de la stratégie médiatique du mouvement politique dirigé par Marine Le Pen : « C’est un parti qui a un rapport vraiment singulier, difficile, immature, avec les journalistes. Ils sont dans une relation où ils ont besoin des médias, Marine Le Pen et Florian Philippot étaient ceux qui saturaient les matinales télés et radios il y a encore quelques mois, et en même temps ils étaient ceux qui ont eu très tôt un discours de défiance à l’égard des médias ».
« Depuis 2012, Mediapart est interdit de tous les événements du FN. Marine Le Pen essaye de nous ostraciser avec l’idée de créer un face-à-face pour décrédibiliser nos informations, poursuit Marine Turchi. Quand une info ne lui plaît pas, Marine Le Pen cible le journaliste de manière nominative. Et il y a le discours du Front national qui consiste à dire que les journalistes sont des militants, des bolchéviques ». Comment réagir face à ces critiques ? Pour Marine Turchi, trois solutions : continuer à faire du journalisme, mener des enquêtes en collaboration avec d’autres médias et être transparent sur son travail avec les lecteurs.
La rhétorique et le discours anti-médias du FN, eux, se sont diffusés, au cours des années, à d’autres partis politiques. « À partir du moment où il y a des responsables politiques qui, sur scène, tapent sur les médias, galvanisent les foules, les journalistes deviennent des cibles. C’est encore plus le cas durant les moments de tension comme les campagnes présidentielles », analyse la journaliste politique qui a été en charge de suivre la droite et l’extrême droite.
« Notre travail consiste à mettre en lumière des personnages qui sont dans l’ombre quand c’est d’intérêt public »
Marine Turchi a changé son fusil d’épaule l’été dernier en rejoignant le pôle enquête de Mediapart. La trentenaire, qui a co-écrit le livre Marine est au courant de tout, couvre toujours le Front national mais aussi les violences sexuelles. « Notre travail consiste à mettre en lumière des personnages qui sont dans l’ombre quand c’est d’intérêt public. C’est difficile d’intéresser le lecteur sur des personnages que personne ne connait. Si l’affaire Fillon a énormément pris l’an dernier, c’est parce que c’est très simple à expliquer : on trouvait l’entourage de François Fillon puis il y a eu les costumes. Dans les affaires du FN, c’est plus compliqué : il y a des histoires de micros-partis, des personnages dans l’ombre, des conseillers officieux. Ce sont des personnages qui n’existent pas publiquement », résume Marine Turchi qui estime que dans les pays anglo-saxons, les politiques mis en cause dans des affaires de corruption démissionnent plus rapidement qu’en France.
Quant aux enquêtes sur les violences sexuelles, Mediapart a mis l’accent sur cette thématique depuis les affaires DSK et Baupin. « En interne, à la veille de la publication de l’affaire Baupin, Edwy Plenel nous a dit que c’était aussi important que l’affaire Cahuzac car ça révèle les mécanismes de domination dans notre société, les mécanismes de pouvoir. Après ça, on a eu un afflux de témoignages sur des comportements inappropriés », révèle Marine Turchi. La journaliste rapporte qu’avec le mouvement « Balance ton porc », la parole s’est libérée. « Pour moi, ce ne sont pas les victimes qui ne parlent pas aujourd’hui. Ce sont les témoins, ceux qui ont été mis dans la confidence ou ceux qui ont vu des comportements et qui n’ont pas dit pour plein de raisons », estime-t-elle.
Pour les violences sexuelles, comme pour les autres sujets, les enquêtes nécessitent du temps. Marine Turchi explique, par exemple, que pour son enquête sur Tariq Ramadan, il lui a fallu trois semaines pour vérifier des éléments, récolter des documents et des témoignages. « C’était le temps nécessaire afin de recouper les informations. On ne peut pas se contenter d’une seule source. (…) Ceux qui accusent Mediapart de ne pas traiter des sujets ne nous lisent vraisemblablement pas ! La meilleure réponse reste de continuer à faire du journalisme ».
Kozi PASTAKIA
Crédit photo : Rouguyata Sall
(Re)voir l’intégralité de la #MasterclassBB avec Marine Turchi :
🔴 C’est parti pour la masterclass de Marine Turchi, journaliste enquêtes à Mediapart !
Publiée par Bondy Blog sur samedi 7 avril 2018