« Je ne voulais pas être journaliste quand j’étais petit« , clame d’entrée de jeu Romaric Godin, devant la vingtaine de personnes venues l’écouter et se réchauffer dans les locaux du Bondy Blog, samedi 27 janvier. Durant son enfance passée à Étampes, dans l’Essonne, il n’avait pas tellement idée de ce qu’il voulait faire. Mais après son bac, Romaric Godin s’est tourné vers une prépa littéraire puis vers Sciences Po. « À l’époque, il y avait encore des passerelles pour ceux qui avaient mention très bien au bac. Ce qui permettait de ne pas passer le concours de Sciences Po », se remémore-t-il.
Insatisfait de son passage dans cette grande école, il retourne dans des études littéraires, avec une maîtrise à Paris VII Diderot, puis le CAPES afin de devenir professeur de lettres. Durant un an et demi, il officie dans l’Éducation nationale. D’abord en Normandie puis à Drancy pendant six mois. Mais cette expérience ne lui plaît pas tellement. « Je n’avais pas le sentiment d’être à ma place », analyse-t-il rétrospectivement. Au tournant du troisième millénaire, Romaric Godin enchaîne alors les petits boulots, dont un poste de journaliste pour un site boursier, dans le contexte de la bulle Internet, sans avoir aucune expérience dans le métier. « Un CDI factice », lâche-t-il, en raison de l’éclatement de la bulle Internet qui a mis fin à cette aventure. Puis en 2002, à l’âge de 29 ans, il repère une annonce pour un poste de journaliste en CDD à La Tribune. Il est sélectionné, « par une magie qu’[il] ne [s’] explique pas encore aujourd’hui », provoquant des rires dans le public.
Quinze ans à La Tribune
S’ensuit une histoire qui va durer quinze ans dans le journal La Tribune, qui est alors le deuxième quotidien économique, derrière Les Échos. Un journal à l’ancienne, où les échanges entre jeunes et anciens journalistes sont quotidiens, dans une ambiance « particulière » où se mêlent la rudesse du métier de journaliste et la richesse humaine. « Une fois à La Tribune, j’ai compris que le métier était fait pour moi » s’enthousiasme Romaric Godin, en se souvenant de ses premiers pas dans cette rédaction. Une rédaction dans laquelle il a évolué, passant du poste de journaliste pour le site web à celui de rédacteur en chef adjoint, en passant par le service bourse du journal. « J’observais des millionnaires qui rêvaient d’être milliardaires », décrit-il. Il a également été correspondant du journal à Francfort, en Allemagne, durant trois ans (2008-2011). « Un moment passionnant où j’ai pu élargir mon champ de vision », note-t-il, avec des papiers sur la macroéconomie, la microéconomie, la politique, la banque, ou la finance. Et ce, d’autant plus qu’il s’installa à Francfort le 13 septembre 2008, soit deux jours avant la faillite de la banque Lehmann Brothers, déclenchant la plus grave crise du capitalisme depuis 1929.
Ces quinze années passées au journal La Tribune n’ont pas été un long fleuve tranquille. « On a dû connaitre cinq changements de directeur de la rédaction et je ne compte plus les nouvelles formules », se souvient le journaliste. Sans compter les changements d’actionnaires du journal. Dans les années 2000, La Tribune appartenait au groupe LVMH de Bernard Arnault, première fortune de France. Et en 2007, ce dernier vend La Tribune à Alain Weill, alors actionnaire de BFMTV ou de RMC, pour racheter Les Échos. « J’ai une épicerie. Je rachète l’épicerie d’en face. Je décide qui va être mon concurrent principal et je lui laisse l’épicerie dans un état parfait pour qu’il puisse survivre parce que j’aime la concurrence », ironise le journaliste.
En 2010, le même Alain Weill revend La Tribune à Valérie Decamp, ancienne directrice générale du journal, alors en situation de perte financière menant à la faillite avec la disparition du quotidien papier en 2012. « C’était une période très difficile. On est passé de 80 à 20 journalistes« , se remémore Romaric Godin. Une disparition qui a fait perdre des lecteurs, mais aussi l’influence du journal auprès des instances dirigeantes. « Il n’y a que le papier qui comptait à l’époque », souligne le journaliste. Le repreneur du journal, Jean-Christophe Tortora, le transforme en site Internet. Les journalistes print devaient s’adapter. Pas Romaric Godin, en raison de ses expériences antérieures dans le journalisme web. En l’absence de modèle économique pérenne – le site publiait gratuitement des articles et le financement par la publicité était de moins en moins important au fil du temps – un choix devait être fait. Soit passer au payant, à l’instar de Mediapart, soit se financer via du hors-média, avec l’exemple de conférences. La deuxième solution a été adoptée mais n’a pas réglé la situation puisqu’en fin d’année 2016, l’actionnaire de La Tribune cherche un repreneur et début 2017, Franck Julien, par ailleurs patron d’Atalian, une société dans le nettoyage industriel, rachète le média. Conséquence directe sur la ligne éditoriale : le service macroéconomie est supprimé. Soit cinq journalistes, dont Romaric Godin, alors rédacteur en chef adjoint. Ce dernier quitte La Tribune en avril 2017. Un mois plus tard, il débarque chez Mediapart, où il continue son travail d’analyse au niveau des politiques économiques dans l’Union européenne, mais aussi en France.
« L’économie fait partie d’un tout »
Formation en lettres, pas d’école de journalisme ni d’études en économie, c’est « sur le tas » que Romaric Godin fait ses armes. L’apprentissage se fait d’abord grâce aux échanges avec des collègues à La Tribune. « L’économie fait partie d’un tout », analyse le journaliste, un tout qui comprend les réalités historiques, sociales, culturelles, de facteurs humains menant à percevoir une psychologie collective, de lectures diverses et de propos de gens sur place à travers des reportages. D’où la conviction, pour Romaric Godin, que l’économie est une science humaine et non une science dure.
Cet apprentissage sur le tas le rend sensible à la question de la diversité sociale des journalistes, pouvant être problématique sur les questions économiques. Le journaliste constate combien la vision néo-libérale, pourtant très idéologique, est présentée comme « la vérité absolue » dans les mass media. Questionné sur l’indépendance des journalistes, Romaric Godin souligne qu’il n’est pas contre l’idée que des milliardaires possèdent des journaux, « tant que c’est transparent » précise-t-il. Ce qui l’importe, c’est la nécessité d’une diversité de points de vue pour permettre un débat démocratique et un choix de société en connaissance de cause.
Suivi de la crise grecque
Ce qui fait la renommée de Romaric Godin, c’est son suivi de la crise grecque depuis 2009. Il est alors correspondant à Francfort et mesure les réactions en Allemagne sur la situation de la Grèce. Pour le journaliste ayant grandi avec « l’idée que tous les peuples européens sont frères », il constate combien cette vision a volé en éclats avec la crise grecque. Il prend pour exemples un édito du tabloïd Bild en mars 2011 rempli de préjugés envers les Grecs, au moment de la visite de Papandréou à Berlin, ou encore un article paru dans le journal Die Welt fin juin 2015 déclarant que « les Grecs sont un facteur de chaos permanent en Europe pour des raisons ethniques ». Face à cette hystérique collective en Allemagne, marquée par une dérive sensationnaliste de la presse outre-Rhin, Romaric Godin remarque que les préjugés limites xénophobes envers la Grèce en Allemagne étaient partagés dans la presse française. « Si on avait eu des éditorialistes expliquant à n’importe quel peuple au monde ce qu’ils avaient expliqué sur les Grecs, ce serait un scandale absolu. Mais là, ça passait comme une lettre à la Poste », s’indigne-t-il, avec du recul.
L’ampleur de la crise grecque et les changements politiques que ça a produit forçait Romaric Godin à publier presque chaque jour. L’immédiateté a conduit le journaliste à faire des erreurs de jugement, comme lors des jours précédant le référendum en Grèce, début juillet 2015. « On avait des déclarations de Tsípras qui pouvaient laisser croire qu’il pouvait aller dans un rapport de force avec les créanciers. Et à un moment, j’ai cru ce qu’il racontait. Il y a quelques papiers, franchement, j’aurais pu me passer de les faire, parce que j’étais dans le suivi quotidien de cette crise », avoue-t-il dans un mea culpa. Il garde une dent envers des confrères qui, en 2018, affirment que l’austérité en Grèce ne marche pas, que cette dernière a besoin d’une réduction de sa dette et que trois ans auparavant, ils écrivaient le contraire, égratignant des propositions pouvant être faites de la part du pouvoir grec, et en particulier du ministre des Finances de l’époque, Yánis Varoufákis.
« Le capitalisme se détruit lui-même en réalité »
Au-delà de la crise grecque, le journaliste économique souligne le virage autoritaire assumé dans plusieurs pays de l’Union européenne, notamment avec la crise des migrants, et que ça ne rentre pas en opposition avec le libéralisme économique défendu sur le Vieux continent. « Il y a un mouvement, dans le libéralisme, qui se conjugue très bien avec la xénophobie et la méfiance envers les migrants », observe le journaliste, en prenant pour exemple la recrudescence des violences en Allemagne parallèle à la montée du parti d’extrême-droite AfD dont l’origine est une défense du libéralisme allemand et un refus de solidarité envers la Grèce. De même qu’il pointe la politique migratoire française qui se veut accueillante à l’égard d’immigrés riches venant de Londres, dans un cadre post-Brexit, mais répressive quand il s’agit d’immigrés pauvres extra-européens.
« Aujourd’hui, on se réjouit d’une croissance de 2% alors que quand j’étais jeune journaliste, si la France faisait 2%, tout le monde faisait la gueule et considérait que c’était une croissance molle », analyse-t-il. Une croissance qui pose problème car elle est basée sur la politique de liquidités menée par la Banque centrale européenne puis sur les inégalités, en raison de réformes structurelles qui sont tournées vers le profit, qui font une pression sur les salaires. Cette croissance débouche sur une faible création d’emplois, des emplois souvent précaires et dans des secteurs d’activité où la productivité est faible. Cette crise pose aussi problème par rapport au changement climatique et Romaric Godin estime que le capitalisme actuel va atteindre ses limites car « il se détruit lui-même en réalité ». Reste à savoir comment articuler bien-être individuel et collectif avec le respect de l’environnement. Une tâche à laquelle il faudra y réfléchir ensemble pour une issue positive.
Jonathan BAUDOIN
Crédit photo : Rouguyata Sall