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Luc Bronner, journaliste au Monde, est en charge des banlieues, secteur peu convoité par la profession, depuis bientôt cinq ans. Son histoire avec les « quartiers » commence dans une violence hors du commun quand il prend son poste le 2 novembre 2005, lors de la première semaine des révoltes urbaines.

Profitant de la liberté que lui accorde bien volontiers sa rédaction, il se concentre sur d’Aulnay-sous-Bois, 90 000 habitants, ville pépère d’un côté, ville crispée de l’autre. Il choisit un pâté d’immeuble de la citée à problèmes des 3000, difficile. Il s’imprègne du quotidien de ses habitants, les accompagne, s’ennuie avec eux, palabre, accepte les silences, les écoute. Bref, il plonge dans leur vie. Il multiplie les sources, crée un réseau d’interlocuteurs afin d’appréhender au mieux son sujet. « Cela suppose de passer énormément de temps avec les gens : jeunes, élus locaux, commerçants », dit-il.

Luc Bronner reconnaît que traiter les banlieues comme une rubrique à part concourt à leur ghettoïsation. « Moi-même, en tant que journaliste au Monde, je participe à ce que les habitants des banlieues perçoivent comme une stigmatisation de leur lieu de vie. A chaque incident, il y a une flambée médiatique. Cela dit, il faut traiter les violences urbaines car c’est une réalité. Mécaniquement, s’il n’y a pas quelqu’un pour raconter les banlieues, on les oublie. Mais si on ne les traite que lorsqu’il s’y produit des incidents, on a alors un traitement de style faits divers, et ce n’est pas suffisant. »

Couvrir les banlieue ou un tout autre sujet selon un a priori positif ou négatif ne fait pas partie de la conception qu’il a de sa profession. « Je ne conçois pas que mon rédacteur en chef me dise d’aller chercher un sujet positif après avoir tapé sur la banlieue », explique le Prix Albert Londres 2007

Luc Bronner garde rappelle que les journalistes n’ont pas pour rôle de coller au discours gouvernemental (« plan Marshall », « pôles d’excellence », etc.) ni associatif. Il fait le tri entre ce qui relève de la communication et les réalités. « Depuis 2005, le nombre de voitures brûlées n’a pas baissé. L’Etat essaie de nous faire croire que les banlieues sont plus calmes qu’auparavant. On est passé d’un extrême à un autre : on ne voit plus les voitures brûlées en banlieue. La situation de la délinquance et de la sécurité est pire depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Mes articles, basés sur des enquêtes, démontrent le contraire du discours du gouvernement sur ces questions. »

Luc Bronner est-il « blacklisté » (momentanément boycotté) par le ministère de l’intérieur ? Il a tendance à le croire car depuis quelque temps, ses demandes d’informations un peu pointues adressées à la Place Beauvau ne reçoivent pas de suite. « Ça gêne terriblement le gouvernement lorsque vous racontez le quotidien tout sauf rose de la police, des UTEQ, les Unités territoriales de quartier », explique-t-il.

Récemment, son journal à publié une double page écrite par lui sur un réseau de trafiquants de cannabis à Nanterre. Un peu comme un enquêteur du fisc, il a épluché 4000 procès verbaux de police (avant le blacklistage supposé), compte-rendu d’écoutes téléphoniques compris, des semaines de travail pour narrer le quotidien des trafiquants. Un luxe, aujourd’hui, dans la presse écrite. Il a ainsi découvert que le trafic s’apparentait à une petite PME avec un chef, du management, des employés.

Dans cette affaire, le chef du trafic, âgé de 25 ans comme la plupart de ses « homologues » en France, a décidé d’« exploser » publiquement la tête d’un vendeur de son réseau, qui avait la fâcheuse habitude de barboter une partie du fruit de ses ventes. Les petits, désirant à tout prix briller aux yeux du chef, n’ont pas hésité à le ruer de coups de battes de baseball.

Luc Bronner voit dans cette histoire une violence extrême bien sur, mais aussi un démenti aux déclarations du gouvernement qui, selon lui, veut faire accroire l’idée que les trafiquants roulent tous en merco. « Le cannabis, c’est le marché noir du 21e siècle, cela témoigne d’une misère épouvantable et on change complètement de regard sur le sujet », constate Luc Bronner. Avec cette enquête, Luc Bronner met le doigt, une fois de plus, sur la misère matérielle, intellectuelle, sociale dans laquelle sont plongés et maintenus, les quartiers populaires. Quatre jeunes sur 10 y vivent sous le seuil de pauvreté. « Mon travail, c’est de rappeler de façon quasi obsessionnelle que les quartiers sont dans un état social épouvantable. »

Le journaliste du Monde s’inscrit en faux contre l’idée selon laquelle des journalistes noirs ou maghrébins seraient mieux à même de traiter les banlieues – il n’en parle jamais au singulier – que des journalistes blancs : « Moi qui viens d’un quartier rural, j’y arrive. C’est purement un travail de journaliste, qui suppose qu’on se construise un réseau et que l’on croise les sources. »

En ce sens et avec un peu d’ironie, il « tacle » gentiment l’« immersion » de TF1 à Villiers-le-Bel. « J’ai beaucoup aimé l’émission d’Harry Roselmack et j’ai été très content de voir qu’il n’y arriverait pas : au bout de trois jours, il s’est fait mettre dehors de la cité où il résidait et a dû dormir à l’hôtel. Cette émission a prouvé que seul un travail journalistique dans la durée permet de traiter au mieux les banlieues. Cela dit, il y avait de bonnes choses dans le reportage de Roselmack, comme cette mise en lumière des souffrances psychologiques des garçons qui n’en peuvent plus de devoir toujours assurer vis-à-vis du groupe. »

On comprend que si Luc Bronner tient le coup, c’est beaucoup en raison des moments « de rire et d’humanité » qu’il ne retrouve pas ailleurs que dans les banlieues.

Stéphanie Varet

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