Durant la campagne de 2014, des sandwichs au cachir étaient offerts afin de d’attirer les algériens (déjà désabusés) à des meetings de Bouteflika (déjà très fatigué). Alors aujourd’hui, lors des manifestations, nombreux sont ceux qui dénoncent les « mangeurs de cachir ».
''don't CACHIR me'' #حراك_1_مارس #لا_للعهدة_الخامسة #Algérie pic.twitter.com/wyW6DDNk4G
— Aidyyyl 🙂 (@meDidaaL) March 1, 2019
Publiée par Le Hic sur Lundi 4 mars 2019
Mais au BB, il nous importe de dénoncer les stigmatisations et de détruire les préjugés. Alors disons-le clairement, le cachir n’est pas un aliment anti-démocratique. Certes, ce n’est pas le produit le plus équilibré qui soit (on parle quand même de « viande séparée mécaniquement ») mais il a sa place dans de nombreux frigos maghrébins et cela quelle que soit la période du mois. Même en cas de coup dur, un frigo d’arabe digne de ce nom n’est jamais réellement vide. Il contient toujours un peu de cachir entamé gisant à côté d’une moitié d’oignon et une bouteille d’eau tellement abîmée en son milieu qu’on se demande si elle n’a pas aussi servi pour les ablutions.
Le cachir, certains disent « cacher » mais c’est un autre débat, est un saucisson d’origine algérienne. Il est fait à base de bœuf ou de volaille (de ce que l’on veut bien nous dire en vrai), a une couleur rouge-rose (rouge foncé quand il s’oxygène si vous le conservez mal) et sa texture se rapproche beaucoup de celle d’une gomme. Il peut être nature, aux olives vertes ou piquant mais toujours emballé dans du plastique rouge vif, lui aussi pas très bien identifié. Si vous voulez une idée, le cacher est moulé dans la même combinaison que Britney Spears dans le clip de la chanson Oops, I did it again. Mais comme on dit, peu importe l’emballage pourvu qu’on ait la graisse…
Le cachir a sa place lors de toutes sortes d’événements. On le retrouve dans les sandwichs lors de sorties scolaires, entre les mains du patriarche qui s’en coupe de bonnes tranches au bord d’une autoroute quelque part entre ici et le Maghreb au moment des vacances d’été. Et on peut dire, sans exagérer, qu’il est le pendant carné du thon à la catalane. Dans certaines familles, il est même servi, découpé en petits dés, sur la sacro-sainte salade composée, systématiquement servie en entrée des repas de gala. Des individus que nous ne souhaitons pas identifier l’ont même déjà tenté en raclette. Bref, le cachir sait s’adapter à toutes les situations.
Et puis, le cachir a le goût de la transgression (comprendre le porc). En manger, quelque part, c’est se sentir un peu plus français. Quoi de plus français que de dire « coupe-moi une tranche de saucisson » ? Au contraire, il est immangeable pour certains car justement, ressemblant trop à du porc. (Ne serait-ce pas là un signe de radicalisation ?) Il faut croire que le cachir est l’ami des petits creux et des grands vides idéologiques.
Depuis quelques années, l’offre de charcuterie halal s’est étoffée : salami, saucisson sec, lardons, roulade de veau-volaille… faisant perdre au bon vieux cachir de nos parents et de notre enfance un peu de sa superbe. Déjà ringardisé, il faudrait aujourd’hui que nous acceptions que ce souvenir d’enfance précaire soit considéré comme un allié du régime algérien actuel ? Nous ne ferons pas ça car c’est injuste. C’est injuste car le seul point commun entre un cachir et le pouvoir en Algérie, c’est que les deux se conservent – trop – longtemps.
Latifa OULKHOUIR