La salle Jean Dame est comble. Près de 300 personnes sont venues dans le 2ème arrondissement de Paris pour assister à l’avant-première du documentaire sur le sort du prisonnier franco-palestinien.
Salah Hamouri a passé près de sept ans dans les prisons israéliennes. Il a été soupçonné d’appartenir au FPLP (Front populaire de libération de la Palestine) et d’avoir eu l’intention d’assassiner le rabbin Ovadia Yossef, un chef du Shass (parti ultra-orthodoxe israélien) en 2005. Même s’il a toujours clamé son innocence, le jeune étudiant en sociologie de 19 ans aurait avoué devant le tribunal militaire, pour réduire sa peine de moitié à sept ans de prison.
Pour la réalisation de ce documentaire, le journaliste indépendant a opté pour le crowfunding, financement participatif, plutôt que de faire appel aux boîtes de production. Les participants sont sûrement dans la salle, les 245 Kissbankers ayant remporté une invitation pour leur contribution financière au projet. Nadir Dendoune a ainsi collecté 10 452 € pour financer matériel, montage, mixage, étalonnage ou encore achat d’archives à l’INA. Avec le financement participatif, il voulait « être libre dans la manière de faire son documentaire. Et la meilleure façon d’être libre, c’est d’être indépendant ». Le « Kiss Kiss Bank Bank » aura aussi permis de faire connaître le film avant qu’il ne sorte.
Ce documentaire, Nadir Dendoune voulait le réaliser parce qu’il n’a pas compris pourquoi l’affaire de ce citoyen français résidant à Jérusalem, a suscité peu d’intérêt chez ses confrères. Pour lui, « il n’y a pas de sujet tabou. J’ai voulu faire ce film pour qu’on puisse débattre sur cette affaire. C’est une invitation au débat ». Il s’est attelé pendant deux ans à l’investigation retranscrite dans ces trente minutes de documentaire, où il interroge les personnes concernées de près ou de loin par cette affaire, pour comprendre pourquoi le sort de Salah Hamouri n’a intéressé personne en France.
Lui-même n’avait jamais entendu parler du prisonnier, avant de tomber sur l’acteur François Cluzet au JT de France 2 en novembre 2009, qui s’insurge que personne n’en parle, alors que le franco-palestinien était emprisonné depuis quatre ans déjà. Et c’est ce passage télévisé qu’il a choisi pour démarrer son documentaire.
La projection est animée par Raphäl Yem, animateur de télévision et journaliste, qui introduit les deux invités du débat qui suivra le documentaire : Gwenaëlle Lenoir, grand reporter indépendante, et Dominique Vidal, journaliste, ancien rédacteur en chef adjoint du Monde Diplomatique.
On les retrouve ensuite à l’écran, parmi d’autres personnalités médiatiques et experts du Proche-Orient, à l’instar d’Alain Gresh (journaliste), Charles Enderlin (journaliste), Benjamin Barthe (journaliste correspondant au Monde) ou encore Patrick Le Hyaric (journaliste et député européen). Nadir Dendoune a aussi donné la parole à Richard Prasquier, alors président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France). La mère de Salah Hamouri et son avocate apparaissent également pour raconter le calvaire judiciaire et la détention du jeune prisonnier.
Tous déclinent au cours du documentaire les raisons pour lesquelles Salah Hamouri n’aurait pas reçu de soutien médiatique et politique au cours de son incarcération.
Du côté des hommes politiques, on y voit avec Gérard Longuet, ministre de la Défense en 2011, apprenant à l’époque l’existence de Salah Hamouri de la bouche d’un auditeur de France Inter. D’autres n’auraient pas voulu parler de cette affaire avec Nadir Dendoune. Notamment les ministres des affaires étrangères sous Nicolas Sarkozy : Bernard Kouchner puis Alain Juppé. Il a vainement tenté de les joindre par mail ou téléphone car il voulait s’entretenir avec les chefs de la diplomatie. Mais ils n’ont pas souhaité lui répondre sur le sujet, selon le journaliste.
« Quand on a une carte de presse, on peut parler de tout »
Gilad Shalit est un franco-israélien emprisonné par le Hamas pendant cinq ans, capturé alors qu’il était soldat dans l’armée israélienne. La médiatisation de l’emprisonnement du militaire Gilad Shalit est mise en face de l’invisibilité du civil Salah Hamouri. Gilad Shalit est aussi à l’origine de la libération de Salah Hamouri. Fin 2011, il a retrouvé la liberté en échange de la libération d’un millier de prisonniers palestiniens, dont Salah Hamouri, qui avait presque purgé sa peine.
Après la projection, les spectateurs sont invités à débattre avec le réalisateur, Gwenaëlle Lenoir et Dominique Vidal. Pour Nadir Dendoune, ce documentaire sert aussi à parler du malaise qu’il peut y avoir dans certains médias à parler de la Palestine. Pour lui, « quand on a une carte de presse, on peut parler de tout ». Les échanges se poursuivent sur les difficultés rencontrées par certains professionnels pour traiter le conflit israélo-palestinien, « le seul conflit au monde où on demande aux journalistes d’être équilibrés ».
Au milieu des interventions, un spectateur ne manque pas de rappeler l’actualité de Salah Hamouri : depuis le 27 mars, il est soumis à un ordre militaire qui lui interdit de circuler pendant six mois dans les territoires palestiniens occupés, au motif de « raisons de sécurité pour l’État et les citoyens d’Israël ». Il ne pourra vraisemblablement pas se rendre à Ramallah en juillet prochain, pour son examen final qui devait faire de lui un avocat.
Le documentaire sera diffusé le 28 mai en ouverture des 5èmes rencontres nationales des médias libres et du journalisme de résistance à Meymac en Corrèze. D’autres projections en cours de programmation devraient avoir lieu au sein de réseaux militants, à Nevers le 12 juin et à Bourg-en-Bresse le 7 novembre, la ville où Salah Hamouri est né.
Pour une diffusion plus large, Nadir Dendoune songe aussi aux chaînes de télévision ou peut-être un site internet. A suivre.
Rouguyata Sall
L’affaire Salah Hamouri : un documentaire retrace son histoire
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