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L’attaque massive du Hamas, le 7 octobre, a replacé le conflit israélo-palestinien sur le devant de l’actualité internationale. Plus de 1 400 morts, en majorité des civils, sont dénombrés côté israélien, et près de 200 otages restent détenus par le Hamas.

La riposte israélienne en cours sur la bande de Gaza est implacable. À ce stade, les autorités locales font état d’au moins 2 750 morts. « Le siège continu de Gaza affecte l’approvisionnement en eau, en nourriture, en médicaments (…) Il y a des indications quotidiennes de violations des lois de la guerre et du droit international des droits humains », alerte le Haut-commissariat de l’ONU.

Juriste en droit international et présidente de l’Observatoire des camps de réfugiés, Rima Hassan est une voix médiatique de la cause palestinienne en France. Cette dernière compte encore plusieurs membres de sa famille dans les camps de réfugiés palestiniens en Syrie. Actuellement en partance du Liban pour rejoindre sa famille en Syrie, elle témoigne des dernières actualités. Interview réalisée le samedi 14 octobre.

Médecins sans frontières, Human Rights Watch et d’autres organisations alertent sur la situation « catastrophique » à Gaza et appellent au respect du droit humanitaire international, est-ce que vous avez des éléments sur la situation actuelle à Gaza ?

Effectivement, des organisations humanitaires et des ONG internationales ont dénoncé le fait que la riposte de l’État d’Israël consiste à bombarder 2,2 millions de civils dans une enclave fermée. Human Rights Watch et Amnesty International ont également dénoncé le recours aux bombes au phosphore sur les civils, ce qui est complètement interdit par le droit international. Idem pour le bombardement d’école et de lieux de soins, que Médecin sans frontière a dénoncé suite aux demandes de l’État israélien de vider les hôpitaux en 24 heures.

Les Palestiniens de Gaza sont actuellement dans l’espace le plus densément peuplé au monde et dans lequel il n’y a aucune porte de sortie

Il est certain que la riposte de l’État d’Israël est totalement disproportionnée. Le Hamas a aussi bafoué ces règles, commettant des crimes de guerre en tuant des civils. Par contre, la réplique d’Israël n’est absolument pas adaptée. On est dans le cadre d’une punition qui est collective. Cela est précisément lié au fait qu’il n’y a pas de lieu sûr de mise à l’abri, ou de couloirs humanitaires pour permettre aux civils de fuir. Ils ne peuvent pas fuir. Les Palestiniens de Gaza sont actuellement dans l’espace le plus densément peuplé au monde et dans lequel il n’y a aucune porte de sortie, il faut le rappeler.

Dans le droit international humanitaire, la guerre est réglementée. Il y a tout un tas de contraintes auxquelles les belligérants sont normalement assujettis, comme l’interdiction de tuer des civils.

Depuis le samedi 7 octobre, le bilan des décès s’alourdit de façon vertigineuse. Comment vivez-vous la situation ?

Quand je vois des vidéos de ce qu’il se passe à Gaza, les massacres, les corps, c’est très dur à regarder, je me vois mourir avec eux. C’est plus qu’une famille pour moi le peuple palestinien, c’est mon seul et unique refuge.

Je suis très attristée par rapport aux événements récents, mais en même temps, je suis sereine. Je suis convaincue d’une chose : personne n’anéantira le peuple palestinien, ni les bombes, ni l’oubli, ni des décennies d’agression et de massacre. Le peuple palestinien a en lui ce que tous les peuples colonisés ont eu : un destin, une cause, une lutte qui nécessite tous les sacrifices pour réussir à atteindre une indépendance.

On est dans une période parmi les plus sombres et les plus dures de l’histoire palestinienne

Quand on a en mémoire ce qu’ont été les luttes d’indépendance, on sait que c’est un processus très sacrificiel, lourd et douloureux. Mais c’est un processus qui suit son cours. On est dans une période parmi les plus sombres et les plus dures de l’histoire palestinienne.

Malgré une dispersion sur plusieurs territoires et dans plusieurs pays, vous dites ressentir la grande solidarité du peuple palestinien…

En dépit de cette séparation physique, il y a une attention très vive à ce que vit le peuple palestinien dans son ensemble. Aujourd’hui, l’attention est sur Gaza, mais on voit des soulèvements depuis les camps de réfugiés palestiniens au Liban. Toute la population porte cette mémoire persistante de la Nakba (terme qui signifie “catastrophe” en arabe et qui désigne l’exil forcé de Palestiniens lors de la proclamation de l’État israélien, NDLR). Le début de la longue histoire de la dépossession des droits des Palestiniens.

Malgré la fragmentation du peuple palestinien, il y a une grande solidarité

Ces derniers jours, il y a eu plusieurs manifestations. Hier, j’ai été à une marche qui est partie depuis le camp de Mar Elias dans la banlieue de Beyrouth, puis nous avons marché jusqu’au cimetière des Martyrs. Ce qu’on voit et ce qu’on entend, ce sont des demandes d’ouverture des frontières, des appels à l’union de tous les Palestiniens qui viennent déjouer cette politique de fragmentation imposée par Israël depuis 1948.

Malgré la fragmentation du peuple palestinien, il y a une grande solidarité entre ceux qui vivent en territoires occupés en Cisjordanie, ceux qui vivent à Jérusalem-Est avec un statut de résident très précaire, ceux qui vivent à Gaza avec le blocus et les réfugiés palestiniens dans les pays alentours.

En France, depuis l’attaque du Hamas, le débat public est hystérisé. Vous faites vous-même état d’un cyber-harcèlement sur les réseaux sociaux. Comment l’expliquez-vous ?

En France, on a un problème avec la question palestinienne. Cela vient probablement du fait qu’on a oublié ce sujet pendant très longtemps. En août 2023, par exemple, quand Emmanuel Macron pose les orientations en matière de politique étrangère lors de sa Conférence annuelle aux ambassadrices et aux ambassadeurs, il ne dit pas un mot sur le conflit israélo-palestinien. Pas un seul mot.

Depuis l’attaque du 7 octobre, c’est un sujet qui a ressurgi de manière explosive dans les médias. Mais pour les personnes qui suivent l’actualité palestinienne, des événements tragiques se passent chaque semaine depuis des années, les attaques fréquentes des colons, les attaques sur Gaza, le blocus etc.

La question palestinienne a été pendant très longtemps sortie des champs politiques et médiatiques

Or cette question palestinienne a été pendant très longtemps sortie des champs politiques et médiatiques. Dans l’opinion publique, je pense qu’on n’arrive pas à situer les enjeux de la cause palestinienne. C’est une des raisons pour lesquelles je suis très active pour informer sur les réseaux sociaux. Les informations venant des territoires palestiniens sont complètement inaudibles.

Certains ont sciemment convoqué le narratif de la mémoire traumatique des attentats du Bataclan ou du 11 septembre, pour faire un raccourci avec les attaques du Hamas, sans aucune donnée de contextualisation politique ou historique du conflit. Donc forcément, d’un coup, les Français ouvrent leur télévision et voient une « attaque d’un groupe classé comme étant terroriste en Europe ». Ils assimilent automatiquement cette situation avec celles vécues en France et pensent que ce sont des attaques de haine pure sans revendication politique. On assiste à une confiscation du sujet principal qui est celui des revendications politiques de la population palestinienne.

Quels aspects du conflit mériteraient selon vous d’être médiatisés ?

L’enjeu serait de rappeler que l’identité nationale palestinienne qui est une identité multiconfessionnelle. L’enterrement de Shireen Abu Akleh en est le symbole le plus marquant. Cette femme chrétienne originaire de Jérusalem a dédié sa vie et sa carrière journalistique à documenter l’occupation et la colonisation israélienne. Elle était la première référente d’Al Jazeera pour dire ce qu’il se passait sur les territoires occupés quotidiennement. Elle a été un porte-voix pour nous, pour visibiliser cette cause.

Les nombreux Palestiniens présents qui ont porté son cercueil, l’ont emmenée jusqu’à un cimetière chrétien, puis ont prié pour elle, étaient musulmans pour la plupart. L’image que ça renvoyait était celle de Palestiniens de toutes confessions unies sous un seul drapeau, celui de la Palestine. Le cortège funèbre a finalement été chargé par la police israélienne. Et ces Palestiniens musulmans ont été matraqués pour avoir porté le drapeau palestinien.

Propos recueillis par Bouchra Berkane

Photo: manifestation dans le camp de Mar Elias (Liban), crédits photos Aline Deschamps

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