« Y’A BUT ! Y’A BUT ! » Difficile de voir si le ballon un peu dégonflé de Sloan et Urgen est bien rentré dans la cage sans filet de l’unique « terrain de foot » des Châtillons. Au loin, la tour des Argonautes et son bateau sur toit toisent le quartier de 7 000 habitants. À tour de rôle, les deux copains de 11 ans se relaient au poste de gardien. Ça papote, ça se taquine. L’esprit est bon enfant. Ces séances de tirs au but à deux, parfois à plus, sont devenues un rituel pour ces gamins. Un rituel anodin qui comporte pourtant beaucoup de risques : « Le terrain a des bosses et des trous. Il n’y a pas de pelouse, le sol est en goudron. Si on tombe, on se fait très mal. Je me suis déjà blessé au genou », raconte Sloan, ailier gauche dans le club de Reims Sires, en montrant une cicatrice, vestige d’une vieille chute.
Autre anomalie de ce city stade de fortune : il ne comporte qu’un seul but. « On aimerait tous pouvoir jouer sur un vrai terrain, avoir deux cages et faire des matchs normaux. Ici, impossible », poursuit Urgen, élève en classe de CM2 à l’école Barthou située dans le quartier de Wilson.
Un terrain de foot aux allures de champ de mines
Aux abords du city, assis sur des bancs délabrés et rouillés, une dizaine d’ados discutent en regardant d’un œil distrait les M’Bappé en herbe esquiver les bandes noires censées combler les trous du terrain. Eux aussi désespèrent de ne pas pouvoir pratiquer leur sport favori dans de bonnes conditions. « Parmi nous, il n’y en a pas un qui ne s’y est pas blessé. C’est dangereux. Mais comme on n’a pas d’autre terrain aux Châtillons, on est obligés de jouer ici, sinon on doit aller dans d’autres quartiers », rapporte Issaf, 17 ans, en classe de seconde.
Pour Djiby Sylla, c’est simple : « Il n’y a pas de city, donc pas d’histoire, tranche-t-il. Avec les jeunes adhérents de son association, le président de D-BLOC en a fait l’un de ses chevaux de bataille. « La dégradation ne date pas d’hier, le terrain commençait déjà à se détériorer avant 2002. Ça n’est vraiment plus possible ».
« Avec du piston, du réseau, des connaissances, on essaye de faire »
Grande figure du quartier, respecté et très apprécié par de nombreux adolescents croisés ici et là, Djiby Sylla a décidé de prendre les choses en main pour les jeunes de son territoire. « C’était il y a deux ans. On cherchait une salle où se réunir entre nous, notamment pour passer le Ramadan. On s’est tournés vers la mairie, on n’a rien eu. On a dû s’imposer pour se faire entendre, et surtout se débrouiller par nos propres moyens. Finalement, on a compris qu’en créant une structure associative, les choses iraient plus vite. On s’est dit ‘quitte à faire une association pour obtenir une salle, autant en profiter pour organiser des activités’. Avant, j’étais juste Djiby, jeune de quartier, Maintenant, c’est monsieur le président de D-BLOC ! J’ai gagné en légitimité ».
Pourquoi D-BLOC ? « C’est un jeu de mots. D-BLOC parce qu’on vient des blocs mais aussi parce qu’on veut débloquer le quartier ». Comment ? En développant des actions culturelles, sociales et même humanitaires, « par et pour les jeunes de 16 ans et plus », des quartiers de Reims, particulièrement les Châtillons. L’objectif : améliorer leur vie quotidienne, sociale et professionnelle mais également contribuer à la cohésion sociale au sein du quartier. « Djiby, il se bouge vraiment pour nous. Ce qui m’a poussé à rejoindre l’association, c’est que tout ce qui va être fait, c’est fait par nous et pour nous », précise Yves, adolescent en première STMG. « Ça fait bouger le quartier, enchaîne Abdel. Ça fait plaisir aux jeunes, ça nous occupe, car sans l’asso, c’est difficile de trouver des activités ».
« On porte plusieurs projets, notamment celui d’envoyer des jeunes construire des écoles et des puits à l’étranger. Mais pour ça il faut des fonds, et pour les obtenir on doit organiser des activités », avance Djiby Sylla. Car depuis sa création, D-BLOC ne bénéficie d’aucune aide publique, mise à part un coup de pouce du centre social « Le Phare », la maison de quartier. Djiby a envoyé des courriers à la mairie et au bailleur, restés lettre morte. Du coup, c’est la débrouille. « On organise des repas pour récolter des fonds, on reçoit des dons des grands du quartier. On a aussi installé une buvette dans les locaux de l’association. Avec du piston, du réseau, des connaissances, on essaye de faire ».
La fête de quartier, un moment de partages intergénérationnel
À seulement 28 ans, Djiby Sylla jongle entre son entreprise de transports et son engagement pour son territoire, les Châtillons, où il vit et travaille. « Avant ça, j’étais éducateur, je travaillais dans les collèges dits difficiles, à Braque et Joliot-Curie, et dans les foyers. J’ai fait mes classes ici, au quartier », explique-t-il, la tête sur les épaules.
Le président de D-BLOC prépare depuis plusieurs jours la fête de quartier, qui aura lieu samedi 2 juin à 14 heures sur la place des Argonautes. L’idée : faire rencontrer tous les habitants des Châtillons, jeunes et moins jeunes, pour passer du bon temps, discuter, échanger et récolter des fonds pour l’association. « On va tenir trois stands : un stand de tir aux buts, un stand de concours de jongles et sûrement un panier de basket, s’enthousiasme Karim. Avec l’argent récolté, on pourra faire du parapente et des barbecues au lac cet été, au lieu de galérer chez nous à jouer à la console ! » Rendez-vous est pris pour samedi !
Récit et photos de Leïla KHOUIEL