21 heures
Lundi. Premier jour à Reims et première soirée. La conférence de rédaction participative organisée à la Médiathèque de Croix-Rouge se termine. Nous voilà regonflés à bloc. Quelle chance de pouvoir échanger, discuter, rire aussi avec tous ces habitants venus à notre rencontre ! Quelle chance de pouvoir prendre le temps de partager ces moments !
Nos ventres gargouillant ont rendez-vous à Châtillons, à quelques kilomètres du centre-ville. Au cœur du quartier, un monument aiguise toutes les curiosités : la Tour des Argonautes et son bateau d’acier sur le toit ! À peine le temps d’admirer cet immeuble d’habitations de 17 étages (dont les vues aériennes sont dingues !) que Djiby Sylla, fondateur de l’association D-BLOC, nous attend devant la « Boucherie » (« Boubou » pour les intimes), un petit local coincé entre des appartements et des commerces. À sa tête, un personnage tout aussi surprenant que l’endroit : Ramzi Harbi, hurluberlu de l’entrepreneuriat social très inspirant et lanceur officiel de punchlines. « Ici, tout le monde peut entrer : les mamans, les voisins, ceux qui ne sont pas du quartier, les jeunes, les vieux… Il y a juste le mercredi qui est réservé aux petits ».
Dans l’ancienne boucherie, pas de bétail mais un atelier où dessin, textile et musique s’entrecroisent pour donner toute sa singularité au lieu, qui a été totalement réaménagé « par les jeunes du quartier » il y a de cela un an et se veut comme un laboratoire d’innovation sociale et immense méli-mélo où chacun y trouve ce qu’il veut. Au centre, trônent deux sublimes tables en bois sur lesquelles sont graffés les plans du quartier. « Là par exemple, ce sont toutes les caméras qu’il y a ». Et il y en a beaucoup. Sur les bords des tables, on lit le nom de villes accompagnées d’une indication de temps. « Ici, Alger/Reims, c’est 2h30 en avion ». Ça sent la peinture et le neuf. Une vieille machine à coudre est posée dans un coin. Une pièce avec de la mousse au mur laisse deviner son utilité. Ici les jeunes du quartier viennent customiser des vêtements, des sacs, des maillots, faire du son dans le studio d’enregistrement artisanal caché au fond, manger, discuter, se retrouver. Un lieu de vie en somme.
21h37
Fouad, un peu timide au début, nous lâche fièrement un freestyle. La mélodie commence, les paroles nous emportent dans son monde, ses rêves, sa réalité. Une minute de pure impro. Une manière à lui de nous souhaiter la bienvenue. Tout le monde l’applaudit et l’encourage. D’autres amis de Djiby et Ramzi se joignent à nous petit à petit. Passé les premières minutes de fausse pudeur, on s’installe autour des tables pour faire connaissance, se raconter nos vies, et se rendre compte des parallèles qui existent entre le quotidien en banlieue parisienne et celui dans ce quartier de Reims.
Sous nos yeux, de jeunes hommes entrent et sortent comme dans un moulin, papotent quelques minutes et repartent. Rupture du jeûne oblige, certains d’entre eux rentrent chez eux pour passer la soirée en famille quand d’autres ramènent les dernières courses de la supérette du coin. Tous ne font pas le Ramadan mais chacun met du cœur à l’ouvrage. La table se remplit rapidement de bricks, de pizzas fait maison par Abou (un délice !), de soupe, de mini-burger, de samossa et même de thé du Togo… Repas royal. Un vrai régal.
23h10
Ici, tout est du self-made. Les discussions cash et les rapports authentiques. Intrigué par le Bondy Blog et notre démarche, Ramzi s’est révélé tout aussi « piquant que la soupe » qu’il nous a servie. Car, des journalistes, comme une majorité de Français, il n’en a pas une bonne opinion. Les jeunes interrogés à ce sujet disent ne pas se sentir « représentés » dans et par les médias et jugent que leur quartier est trop souvent « déformé ou stigmatisé » par la presse.
Ramzi nous a poussés dans nos retranchements sur la raison d’être du Bondy Blog, tout comme nous l’avons interrogé sur son arrivée à Reims et, pour utiliser le jargon de la « start up nation » gentiment moquée, sur la disruption de la politique de la ville qu’il a amorcée. Ici, le trentenaire, crâne rasé, veut tout simplement transmettre une multitude de compétences, faire pousser des envies, de la motivation, de l’espoir à ces jeunes qui n’ont pas tellement d’horizons.
Ici, on initie par exemple les jeunes au flocage de tee-shirts, on les encourage dans chacun de leur projet quand ils en ont, on transforme un adolescent en champion de judo, on fait de l’intergénérationnel sans en avoir l’objectif. On ouvre tout simplement l’esprit des jeunes du quartier, pour qu’ils prennent conscience par eux-mêmes de tout ce dont ils sont capables.
Bientôt minuit
Djiby nous emmène quelques mètres plus loin, dans un local autogéré pour et par des jeunes, grâce à l’association D-BLOC, qui leur permet d’organiser des activités culturelles et sportives. « Ils tuent le temps comme ils peuvent ». Ils ne sont pas encore dix. Ça papote, ça rigole, ça se chambre gentiment. Au programme : ping-pong, jeux d’échec, poker…
La fatigue pointe le bout de son nez. Il est déjà l’heure de rentrer. Djiby se propose d’être notre chauffeur. Sur le trajet, il nous raconte ce reportage télé diffusé récemment sur la chaîne C8. « Ils nous ont fait passer pour des alcoolo et des voleurs de vélo. Du grand n’importe quoi hein ». Ce soir, on a surtout découvert une bulle hors du commun, une espèce de fab lab des quartiers, un tiers lieu où émergent des idées, des envies, des collaborations, des start up. On a surtout vu des personnes ouvertes à l’autre, à la discussion et au partage.
Leïla KHOUIEL, Ferial LATRECHE, Kozi PASTAKIA et Rouguyata SALL