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« La socialisation prend place dans la rue, parce qu’il n’y a pas forcément d’autres endroits », expose tranquillement Mickaël Chelal. Son livre, issue de ses recherches, “Grandir en cité”, a été publié en janvier dernier aux éditions Le bord de l’eau. Il réunit descriptions, récits, portraits et extraits de conversation avec les jeunes des Marnaudes, un quartier de Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Ce travail détaillé nous plonge dans l’intimité de la jeunesse du quartier. Entretien. 

C’est quoi la socialisation résidentielle ?

La socialisation résidentielle fait référence au quartier de résidence. Il y a deux dimensions. La socialisation par l’espace, c’est la manière dont l’espace forme les représentations du monde, les codes, les valeurs et les corps aussi par les relations sociales qui prennent place dans la rue. . L’autre versant, c’est la socialisation à l’espace. C’est notre façon d’occuper l’espace.

Pourquoi avoir choisi de te concentrer sur la socialisation résidentielle ?

Très souvent, médiatiquement entre autres, on criminalise l’occupation de l’espace public par les jeunes de cité. Alors qu’ils ne font que se poser et discuter. La fréquentation du quartier, c’est comme un spectre entre ceux qui fréquentent beaucoup l’espace public et ceux qui ne le fréquentent pas du tout.

C’est l’intensité d’occupation de l’espace qui va différer selon la situation sociale. La jeunesse des cités est très hétérogène. C’est un des résultats qui est hyper central dans la sociologie des quartiers populaires. Moi, je me suis penché sur la partie de la jeunesse des cités qui englobe toutes celles et ceux qui occupent l’espace public.

Il ne faut pas penser non plus qu’il n’y a pas du tout de mobilité en dehors de la cité

Pour une bonne partie de la jeunesse des cités, c’est un lieu hyper important de socialisation. Leur socialisation, elle se passe souvent par les groupes de pairs qui se retrouvent justement dans la rue. Ça bouge beaucoup, mais il ne faut pas penser non plus qu’il n’y a pas du tout de mobilité en dehors de la cité.

Qu’est-ce qui fait que les jeunes de quartier populaires fréquentent beaucoup l’espace public ?

Déjà, il y a l’origine sociale. On se situe dans une fraction de la jeunesse française qui appartient aux classes les plus pauvres. Dans les logements, il y a peu d’espace d’autonomie et d’intimité. Puisque les enfants n’ont pas ces espaces, ils vont les développer dans la rue.

Dès l’enfance, les jeunes vont construire un rapport de proximité avec l’espace public

Ensuite, il y a la socialisation familiale. Dès l’enfance, les jeunes vont construire un rapport de proximité avec l’espace public. C’est la socialisation à l’espace. Ce rapport peut différer selon les propriétés sociales de chaque famille. Mais par exemple, quand tu es enfant, on peut te laisser jouer au pied de l’immeuble. Ce qui construit petit à petit un rapport de familiarité avec la rue.

Enfin, l’aménagement urbain a été pensé explicitement pour l’usage de la rue. Il y avait vraiment une volonté de faire vivre la rue. Par exemple, l’aménagement des logements permet la surveillance des enfants jouant dans le square depuis le salon.

Les parkings sont volontairement rejetés en périphérie des squares pour pouvoir avoir une circulation piétonne. Et puis tu as d’autres facteurs, notamment l’homogénéité sociale, la ségrégation, etc. Tout ça mélangé fait que les habitants de quartier vont davantage occuper la rue que d’autres classes sociales.

Comment les enfants façonnent l’espace et l’ambiance du quartier ?

En sociologie des quartiers populaires, on s’intéresse très peu aux enfants. Pourtant, ils sont omniprésents dans les quartiers. D’une part parce qu’ils ont pas mal de temps libre. D’autre part, car les familles de classes populaires inscrivent moins leurs enfants dans des activités extrascolaires, contrairement aux classes supérieures, ils ont plus de temps libre qu’ils passent en partie dans la rue.

Les enfants façonnent l’ambiance du quartier

Le temps qui n’est pas pris par ces activités-là, ils le passent dans la rue. Les enfants façonnent l’ambiance du quartier. Tu les entends, tu les vois, ils mobilisent tout l’espace pour développer leurs jeux. Ils donnent une tonalité familiale au quartier.

Comment s’organisent les relations dans l’espace public ?

Souvent, on peut entendre que les quartiers sont des espaces dans lesquels la loi du plus fort règne, que la rue, c’est l’anarchie, une sorte de jungle urbaine. Derrière tout ça, il y a l’idée de désorganisation sociale.

Ce sont des quartiers qui sont, en tout cas pour la jeunesse, très structurés

En réalité, ce sont des quartiers qui sont, en tout cas pour la jeunesse, très structurés. Il y a des règles et des codes. La jeunesse qui se retrouve dans la rue s’organise principalement en deux catégories, les “petits” et les “grands” démarqués par leur âge et leur ancienneté. Cette division forme une organisation sociale qui se caractérise par une hiérarchie sociale où les grands ont un pouvoir de domination et d’autorité sur les petits.

Quels sont les rôles des grands dans la vie sociale d’un quartier ?

Les grands sont un rouage de la vie sociale des quartiers. C’est une population qui est importante pour les plus jeunes, même si parfois les rapports de génération peuvent être pesants. Ils ont une fonction de socialisation et de transmission.

Les grands transmettent des valeurs, notamment la valeur du respect qui est une valeur fondamentale

À travers les interactions du quotidien, ils vont socialiser les petits. Les grands transmettent des valeurs, notamment la valeur du respect qui est une valeur fondamentale. Ils transmettent également l’histoire du quartier, et plus largement l’histoire des classes populaires. Ensuite, ils ont une fonction de contrôle social.

Ils sont en contact avec les plus jeunes, ils vont regarder ce qu’ils font. Ils ont une fonction de protection et de défense du quartier. Les petits peuvent compter sur eux pour les protéger. Ces rapports de génération font partie de la vie collective du quartier. Lorsqu’on dit qu’il y a beaucoup de solidarité entre les jeunes de la cité, ces rapports de génération représentent une grande dimension de ces rapports.

Ils ont également un grand rôle de ressources. Ce sont eux qui ont le plus de capital social dans la cité. Les petits savent que malgré la verticalité des relations, ils peuvent se tourner vers eux pour toutes les questions de la vie. C’est vraiment une ressource pour l’orientation scolaire, la vie amoureuse, la vie sexuelle, trouver un emploi, avoir un conseil pour son CV… Parfois, les relations individualisées entre petits et grands, ont aussi des grandes conséquences sur le parcours des jeunes.

Comment les filles s’ancrent dans la vie sociale du quartier ?

Les filles sont invisibilisées dans le traitement sociologique et médiatique, mais aussi dans les représentations qu’on a des cités. Pourtant, si on prend la période de la jeunesse à partir de l’enfance, les filles sont bel et bien présentes dans l’espace public.

Le rapport à la rue et la socialisation à la rue ne sont pas les mêmes pour les garçons que pour les filles

Mais c’est à nuancer. Le rapport à la rue et la socialisation à la rue ne sont pas les mêmes pour les garçons que pour les filles. Les garçons développent un rapport à la rue qui est plus intense. Les filles sont amenées au premier âge de la vie à être moins mobiles. Elles peuvent bouger moins loin que les garçons.

Ce qui aura pour conséquence, en grandissant ensuite, d’avoir un capital social moindre dans la cité et d’être moins inscrite dans l’espace public. Néanmoins, elles peuvent développer d’autres espaces d’entre-soi et s’approprier un point précis dans le quartier. Les bandes de filles sont aussi plus petites que les garçons, ce qui facilite les invitations dans le domicile. Puis à l’adolescence, les filles vont être plus mobiles en dehors de la cité.

Propos recueillis par Clémence Schilder

Crédits photo : ©bywilko

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