Surveiller et dissoudre. La dissolution des Soulèvements de la Terre a été prononcée en Conseil des ministres, mercredi dernier. Le ministre de l’Intérieur a qualifié leurs actions d’« écoterrorisme » après la mobilisation contre un projet de mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres).
Si le terme employé par Gérald Darmanin a fait polémique, ce n’est pas la première fois que des dispositifs anti-terroristes sont déployés contre des associations écologistes. Déjà en 2015, après les attentats, l’état d’urgence avait été mobilisé pour assigner à résidence des militants écologistes lors de la COP21.
Avocate en droit social, Clara Gandin travaille également sur « les discriminations pratiquées par l’État, que ce soit de la part des forces de sécurité ou contre les associations. Particulièrement, les associations qui luttent en défense des droits des musulmans et des minorités racisées. »
Pour l’avocate, la criminalisation des militants écologistes n’est autre que « la déclinaison de lois liberticides et discriminatoires » qui visent les musulmans et les militants de la défense des droits des musulmans. Interview.
La dissolution des Soulèvements de la Terre a été annoncée en Conseil des ministres le 21 juin. Comment vous l’appréhendez ?
Cette dissolution, c’est exactement ce que l’on craignait à l’époque de l’examen de la « loi séparatisme ». Elle s’inscrit dans la continuité de la politique menée contre les associations de défense des droits des musulmans, depuis le début des années 2010.
Aujourd’hui, on se retrouve avec une dissolution qui est motivée par la participation de membres des Soulèvements de la Terre à des manifestations et des actions de défense du climat, de l’environnement, des écosystèmes. Le motif qui est mobilisé n’est pas seulement l’action violente, c’est l’incitation à l’action violente.
On a déjà vu qu’il n’y a pas besoin de violence pour tomber sous le coup d’une dissolution. Ici, le principe est qu’« appeler à des actions de contestation qui se sont (…) traduites par des agissements violents » est un motif de dissolution. C’est en contradiction complète avec les libertés qui sont garanties par notre Constitution.
Vous relevez une continuité dans la politique menée par le gouvernement contre des associations musulmanes ou de lutte contre l’islamophobie. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La criminalisation des militants et des organisations écologistes, la confection du concept d’« éco-terrorisme »… C’est la déclinaison de lois liberticides et discriminatoires qui, sous-couvert de lutter contre le terrorisme islamiste, ont toujours servi à stigmatiser, maltraiter et réduire au silence les musulmans et les militants de la défense des droits des musulmans.
Cet arsenal législatif sert à réprimer toute forme de contestation
L’atteinte à la liberté religieuse des musulmans va d’ailleurs plus loin. On la retrouve dans tous les pans de la société : du travail à l’école et à l’espace public avec des propositions de loi qui visent à interdire le port du foulard à l’université par exemple. Invisibiliser les musulmans semble être l’un des objectifs des lois portées par le gouvernement.
Aujourd’hui, cet arsenal législatif sert à réprimer toute forme de contestation, qu’elle soit opposée à la réforme des retraites, aux violences policières, à des projets destructeurs de l’environnement. Cette politique vise également les grévistes, comme on a pu le voir avec les réquisitions préfectorales des travailleurs des raffineries.
On observe donc un durcissement de cette politique ?
Les sanctions abusives prises contre les associations considérées comme faisant partie d’un « écosystème islamiste » remonte à loin. Un moment charnière dans la politique française, ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui justifient à la fois un discours public de stigmatisation contre les musulmans et des politiques sécuritaires de plus en plus liberticides.
Les attentats de 2013 et de 2015 ont conduit à une dégradation sans commune mesure avec ce qui se passait avant. Après cela, on se trouve dans un état d’urgence permanent, avec énormément de mesures graves de surveillance, de perquisitions, de gardes-à-vues, d’assignations à résidence qui ne prennent jamais fin.
Cet arsenal répressif s’est longtemps appliqué à des musulmans ordinaires qui ont été ciblés par la police comme potentiellement liés à des réseaux islamistes. C’est vraiment ciblé, intentionnel et c’est en ça que c’est discriminatoire.
Après l’assassinat de Samuel Paty, la situation s’est énormément dégradée avec la mise en place d’une politique dite « d’entrave systématique » où les autorités ciblent les mosquées, les écoles, les entreprises et les associations tenues par des musulmans.
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La « loi séparatisme » part de l’idée d’un continuum entre d’un côté un islam visible dans l’espace public, la défense des droits des musulmans et de l’autre côté la radicalité, le terrorisme, le djihadisme. Pour le pouvoir, cette théorie essentiellement discriminatoire, qui rejette l’expression des différences et les assimilent à des atteintes au vivre-ensemble, justifie ces lois liberticides.
La « loi séparatisme » joue un rôle particulier dans la période que l’on vit. Elle donne une base légale et permet la systématisation et la massification de mesures répressives à l’encontre des associations.
La « loi séparatisme » a fait du ministre de l’Intérieur le seul interprète de la notion de trouble à l’ordre public
On voit bien, que ce soit dans l’esprit ou l’application de la « loi séparatismes », que l’on ne vise pas seulement les « islamistes » mais tous ceux qui n’adhèrent pas à la conception de la République portée par le pouvoir et aux politiques qu’il met en œuvre.
C’est ce qu’il se passe aujourd’hui avec des associations écologistes. Désormais, on retrouve partout le reproche d’atteinte aux valeurs de la République. La « loi séparatisme » a fait du ministre de l’Intérieur le seul interprète de la notion de trouble à l’ordre public qui est foncièrement liberticide.
Les militants écologistes interpellés dans le cadre de l’enquête sur les dégradations de l’entreprise Lafarge l’ont été par la police de la sous-direction anti-terroriste. Pourriez-vous revenir sur ce que ce dispositif anti-terroriste implique ?
Il crée une ambiance de terreur et c’est bien le but poursuivi. Fin 2020, Macron dit « la peur doit changer de camp » en parlant des islamistes et met en œuvre une politique qui cible en réalité très largement les musulmans.
Aujourd’hui, mais ce n’est pas la première fois, ce sont les militants écologistes que l’État veut terroriser. L’arsenal répressif anti-terroriste est mobilisé de manière de plus en plus étendue contre toute forme de contestation du pouvoir. Cela s’accompagne de toutes les restrictions de droits qu’il implique : les gardes-à-vue à rallonge ou les interventions de brigades surarmées habituées des interpellations très violentes…
Face à la répression, on assiste à un début de convergence des mouvements de lutte
Il y a aussi une continuité avec les violences et abus commis par les forces de sécurité dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites ou la manifestation à Sainte-Soline. On pourrait aussi parler des manifestations des Gilets Jaunes, contre la loi « travail » et, historiquement, des violences commises par les forces de sécurité dans les quartiers populaires.
Pour finir sur une note positive, il faut noter que face à la répression, les associations s’organisent et que l’on assiste à un début de convergence des mouvements de lutte. Les Assises populaires pour nos libertés ou L.A. Coalition et des associations très diverses se réunissent et condamnent ces atteintes aux libertés associatives et aux libertés d’expression et de manifestation.
Propos recueillis par Eva Fontenelle