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Ce mardi 2 juillet, Moussa Sacko a été expulsé depuis Paris Orly vers Bamako au Mali. Résident en France depuis ses trois ans, il a habité à Montreuil toute sa vie, où il a sa famille, ses deux enfants, mais aussi son engagement au sein de l’association En Gare.

Le 28 juin dernier, une première tentative d’expulsion avait échoué grâce à la mobilisation des passagers du vol. Ce mardi, face à des pressions trop fortes de la police et au décollage irrégulier entrepris par le pilote alors que certains passagers étaient toujours debout, l’avion est parti. Le lendemain était organisé un rassemblement de soutien Place Jean Jaurès devant la mairie de Montreuil. L’occasion d’échanger avec Fedo, président de l’association En Gare et membre du collectif de soutien à Moussa. Interview.

Peux-tu présenter le En Gare de Montreuil ?

Le En Gare est une association qui existe depuis sept ans. On met en place un hébergement d’urgence et de l’éducation populaire à l’échelle de Montreuil. Le lieu a été réquisitionné il y a un an. C’est ce qu’on appelle un squat. Depuis la loi Kasbarian-Bergé (adoptée le 27 juillet 2023, NDLR), la question des squats a glissé dans le domaine du pénal. Les personnes qui se trouvaient à l’intérieur du bâtiment le jour de l’expulsion le 23 mai dernier ont ainsi été considérées comme délinquantes. C’est pour cette raison que Moussa s’est retrouvé en CRA (centre de rétention administrative, NDLR), et que douze autres personnes sans-papiers hébergées au En Gare ont reçu une OQTF (Obligation de quitter le territoire français, NDLR).

Comment a évolué la situation de Moussa avec sa rétention ?

Il avait déjà reçu une OQTF, il y a quelques années. En 2022, le tribunal administratif avait ordonné qu’une APS (Autorisation provisoire de séjour, NDLR) lui soit délivrée, mais la Préfecture ne s’est jamais exécutée. Une de ses préoccupations était précisément de régler sa situation administrative. C’est le 24 mai qu’il a été placé en CRA, après 24 heures de garde à vue. Il y a donc passé plus d’un mois. Les visites qui se font à la demande du retenu ont été presque quotidiennes. C’est ce qui lui a permis de tenir le coup moralement, avec des apports réguliers de nourriture, de livres, de cigarettes… Les conditions de rétention sont extrêmement précaires et difficiles. Le soutien local a été important.

Quel a été l’impact des lois Kasparian-Bergé et Darmanin adoptées lors du second quinquénat d’Emmanuel Macron sur la vie de Moussa ?

Tout est jumelé, c’est la particularité de cette situation. On assiste à la rencontre entre ces fameux textes concernant le logement et l’immigration. Si Moussa a été interpellé dans un lieu qui avait été réquisitionné, c’est à cause de la loi Kasparian-Bergé (visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, NDLR). Pour les autorités, l’OQTF, la rétention et l’expulsion sont légitimes mais j’aimerais interroger ce fonctionnement :  En connaissant la réalité des conditions d’accès au logement, comment est-on censé se réguler administrativement, sur le plan du séjour, de la nationalité ? Sans appui, sans soutien, sans APS ? Quelles sont les alternatives dans sa situation qui a fait de lui une cible de ces deux lois ?

Au En Gare, quels constats tirez-vous de son expulsion dans un contexte de montée de l’extrême-droite ?

C’était déjà assez compliqué avant… Il n’y a pas de perte d’espoir mais on se rend bien compte que ça va être de plus en plus difficile. Le combat ne va pas s’arrêter pour autant, surtout face à la répression qui s’abat sur nous. Pour l’instant, on arrête la réquisition de bâtiments. Ça pose trop de risques pour les personnes avec nous, notamment lorsqu’elles sont en situation irrégulière. On se sent responsables, même si elles sont prévenues des aléas. C’est dur, car bien que les parcours soient individuels, on leur promet une certaine dynamique collective, une entraide. Sans l’ancrage d’un lieu, ça devient tout de suite plus compliqué, rien qu’en termes de pratiques, de matériel. Mais on continue.

En quoi les expulsions hors des logements et des territoires ont elles aussi un rapport avec l’approche des Jeux Olympiques ?

En ce moment, on parle beaucoup des JO parce que c’est la temporalité actuelle. En réalité, expulser pour repousser au-delà du visible, c’est un phénomène que l’on observe tout aussi bien avec le Grand Paris ou la gentrification des villes limitrophes de la capitale. Chaque nouveau projet prépare le terrain pour la suite. C’est quelque chose que l’on travaille sur le fond et dans le long terme au En Gare.

Dans l’immédiat, l’enjeu pour les autorités est l’accueil des touristes, des équipes sportives, de la presse internationale… Ils veulent transmettre une certaine image de Paris qui n’est pas réelle. Au lieu de traiter et résoudre les problèmes sociaux, on cache ou on déplace leurs conséquences visibles. La justification est souvent dans la temporalité immédiate, mais les effets se pérennisent. La loi Sécurité Globale, les états d’urgence, tout ça c’est un continuum.

Quelles sont les revendications portées par le En Gare aujourd’hui ?

Notre demande initiale a toujours été l’obtention d’un local. Les élus locaux font les autruches. C’est comme ça qu’on a commencé à réquisitionner des bâtiments. Pour créer du lien social, il faut un lieu, un hébergement. C’est primordial. Au vu de la situation, notre deuxième revendication est la levée des 12 OQTF, délivrées à la suite de l’expulsion déloyale du 23 mai. Toute la procédure ne devrait pas avoir eu lieu. On demande aussi des relogements et un accompagnement administratif, surtout pour les personnes qui sont sur le territoire depuis des années.

Une cagnotte a été mise en place pour aider Moussa à Bamako, a-t-on des nouvelles de lui ?

Oui, il est bien arrivé à Bamako. Il a été accueilli par des membres de sa famille et même par des passagers du vol du 28 juin. Il va bien. Il dort, il mange, mais il faut qu’il se remette de la répression qu’il a subi, de la rétention. Il y a une dame qui était à bord de l’avion qui l’accompagne particulièrement. Elle est très indignée et l’aide avec ses démarches sur place. Une association d’expulsés l’a également pris en charge. Le but est de faire retentir cette histoire médiatiquement et d’envisager tous les recours possibles pour qu’il puisse revenir.

La situation des squats à Montreuil est très spéciale, il y a eu beaucoup d’expulsions cette dernière année. Reste-t-il un lieu encore ouvert pour lequel il faudrait sensibiliser et mobiliser des soutiens ?

Oui il y a eu trois expulsions de bâtiments réquisitionnés sur Montreuil : les Roseaux, la Baudrière et le En Gare. Le monde du squat est très connoté mais aussi très morcelé. Avec le En Gare et ces autres lieux, on avait néanmoins réussi à créer une jonction entre différents milieux. Maintenant, l’urgence doit se porter sur le squat Gambetta, le dernier de Montreuil qui résiste encore. Sur le papier, il est déjà expulsable, mais la résistance locale s’organise. La particularité de ce lieu est qu’il accueille une quarantaine de femmes immigrées avec des enfants en bas âge. Les collectifs sont partis voir le juge d’exécution des peines plusieurs fois, mais les familles sont directement menacées par une évacuation.

Propos recueillis par Louise Sanchez-Copeaux

 

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