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« Justice pour Nahel » sont les trois mots qui figurent un peu partout sur les murs de Nanterre. Une ville marquée par la mort de Nahel Merzouk, tué par un policier à bout portant le 27 juin 2023. Après ce drame, le réalisateur, Nicolas Sene, a entamé l’écriture d’une pièce, Nemetodorum, ancien nom de Nanterre qui signifie « bourg sacré ».

Lors de l’été 2024, il mène des auditions au cours desquelles il repère quatorze talents, tous Nanterriens. Il leur donne ainsi la possibilité de mettre des mots sur tout ce qu’ils ont pu ressentir depuis la mort de Nahel.

De la colère à la fierté d’être Nanterrien. Ils se sont nourris de toutes ces émotions lors des répétitions hebdomadaires pour offrir les 8 et 9 février derniers, sur la scène du théâtre des Amandiers, un spectacle poignant dont chaque spectateur, parmi les mille qui ont répondu présents, se souviendra. Entretien croisé. 

L’idée de la pièce t’est-elle venue avec la mort de Nahel et les émeutes qu’elle a engendrées, ou souhaitais-tu déjà écrire sur Nanterre ?

Nicolas Sene : J’ai toujours eu une sorte de vision, une idée de pièce de théâtre, mais ce n’était pas clair. La disparition de Nahel et les émeutes ont été les éléments déclencheurs. J’avais un angle d’attaque pour aborder l’écriture. On le sait, c’est un sujet sensible. L’objectif premier était de déconstruire tous les clichés sur Nanterre et sa population.

Nous n’avons rien oublié, mais le temps nous a permis, à tous, de poser des mots sur cette souffrance

Pendant les émeutes, de nombreux médias ont cherché à interviewer les habitants du quartier Pablo Picasso, là où vivait Nahel. Tout le monde a refusé, l’heure était à la tristesse, la souffrance et au deuil. Aujourd’hui, nous n’avons rien oublié, mais le temps nous a permis, à tous, de poser des mots sur cette souffrance et sur ce qu’elle nous a appris.

À l’origine, je suis réalisateur, j’ai conservé plus de cinquante minutes de rush des émeutes. J’avais ces images entre les mains et il fallait les utiliser. C’est donc avec le soutien du théâtre des Amandiers que l’on a montés Nemetodorum, une pièce dans laquelle on a inséré ces images.

Tu expliquais que c’était un sujet sensible, la famille de Nahel était-elle présente ?

Oui, sa maman a tout d’abord assisté à une répétition. C’était dur, à la fois pour elle et pour les acteurs qui étaient extrêmement émus à l’idée de jouer devant cette mère endeuillée. Elle a assisté à la première, durant laquelle l’atmosphère était remplie d’émotions.

L’inégalité de l’accès à la culture dans les milieux populaires a-t-elle été ta motivation pour réaliser ce projet sous forme de pièce de théâtre ?

C’est ça, c’est le mélange des mondes. Dans tous mes projets, je cherche à utiliser certains paradoxes pour permettre une rencontre entre les différents milieux. Le théâtre des Amandiers se trouve sur l’avenue Pablo Picasso, il nous appartient à tous et pourtant, trop peu s’y rendent.

Nemetodorum est le cocktail parfait pour amener les habitants des quartiers au théâtre

Mon objectif est d’ouvrir le champ des possibles aux jeunes des milieux populaires par le biais de l’art et de la culture. Nemetodorum est le cocktail parfait pour amener les habitants des quartiers au théâtre, et leur faire passer un moment inoubliable.

On a le sentiment que la pièce cherche à montrer que Nanterre est une ville qui continue de vivre, qui cherche à se relever et à se reconstruire ?

C’est exactement ça. Ils ont tué Nahel mais pas la ville. Tout le monde vous a vu, on vous rappellera toujours ce que vous avez fait, comme pour Zyed et Bouna et tant d’autres. Il faut que justice soit faite, pour sa maman, pour les milieux populaires, pour tous ces jeunes qui se sont vus en Nahel.

Par ce projet, on apporte une petite pierre à l’édifice, mais tout le travail reste encore à faire. Nanterre, une ville meurtrie, mais qui continue de vivre avec tous les projets, tous les talents qui y émergent. C’est un devoir que de la défendre coûte que coûte, on doit ça à Nahel.

Comment vois-tu l’avenir de la pièce ?

Le rêve de toute la troupe serait de jouer pour l’inauguration du théâtre des Amandiers en octobre. On aspire également à jouer, pourquoi pas, dans d’autres théâtres de quartiers populaires. Le but est de laisser une trace, d’accompagner le combat, de le faire vivre et de ne jamais l’oublier.

C’est du théâtre, mais pas de la fiction. Tout ça est bien réel. Les médias n’ont pas l’habitude de nous donner la parole et sinon, ils la trafiquent, on se fait piéger. C’est d’ailleurs ce qui a donné lieu à la parodie de CNEWS dans la pièce, on se rend bien compte que la frontière avec la réalité est très fine. Le message est et restera : écoutez-nous, on a plein de choses à dire et on sait bien les dire.

Après Nicolas Sene, certains acteurs ont répondu aux questions du Bondy Blog.  

Wassim, Aymen et Alassane, lorsqu’on a treize, quatorze et dix-sept ans, qu’est-ce qui motive à venir plusieurs fois par semaine aux répétitions ?

On a fait ça pour la bonne cause, pour Nahel, pour Nanterre. On savait qu’il fallait beaucoup s’investir pour avoir un résultat, et on l’a obtenu. Nous sommes fiers, très fiers. Avec toute la troupe, on voulait montrer que Nanterre n’est pas une ville violente, au contraire, elle sait s’exprimer à travers l’art et la culture.

Passer par le théâtre nous a permis de porter notre voix auprès ceux qui ne nous écoutent jamais

Passer par le théâtre nous a permis de porter notre voix auprès ceux qui ne nous écoutent jamais. On a chacun raconté notre histoire personnelle à travers l’humour, le rap, des petits monologues… Mais le récit qui prime, c’est celui de Nahel, celui de Nanterre.

Quelles sont vos aspirations pour le futur de la pièce ?

On aimerait bien emmener la pièce le plus loin possible, même faire une tournée, mais je mets au défi n’importe qui de me citer plus de trois théâtres présents dans les quartiers populaires. Les habitants ne sont pas assez sensibilisés à la culture, surtout celle du théâtre.

On a su proposer une pièce moderne, accessible à tous, dans laquelle chaque jeune de milieu populaire peut se reconnaître

On espère que des pièces comme Nemetodorum vont permettre de faire bouger les choses, qu’on attirera une nouvelle population dans les théâtres, surtout les jeunes. C’est vrai, quand on leur parle de théâtre, ils pensent directement à Louis XIV, mais c’est pas du tout ça ! Ce week-end, on a su proposer une pièce moderne, accessible à tous, dans laquelle chaque jeune de milieu populaire peut se reconnaître.

Propos recueillis par Syrine Djaziri

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