Une semaine après la mort de Nahel, les révoltes urbaines se sont apaisées dans toute la France. La ville de Grigny (Essonnes) a connu son lot de tensions, mais les infrastructures publiques n’ont pas été visées.

Mardi, Philippe Rio, maire PCF de Grigny, avoue s’être rendu « sans enthousiasme » à l’Élysée, à l’invitation du Président. Élu d’une ville rongée par la pauvreté, il voit le contexte social s’aggraver depuis les révoltes urbaines de 2005.

Fervent défenseur de la politique de la ville et des plans ANRU (Agence Nationale de la rénovation urbaine), le maire de Grigny revient pour le Bondy Blog sur les causes de la colère et les grands chantiers à entreprendre. Interview. 

Comment avez-vous vécu à Grigny les événements de la semaine qui vient de s’écouler, suite à la mort de Nahel ?

D’abord, il faut le répéter, la cause de ces émeutes, c’est la mort de Nahel. S’il n’y a pas Nahel, il n’y a pas d’émeutes. On vit sur des volcans ou l’inégalité, l’injustice et la misère sont criantes et s’accélèrent avec un racisme assez présent qui continue d’augmenter.

Il ne manquait que l’allumette, et elle est importante parce que derrière l’allumette, il y a une main. Très vite, il y a eu une sidération qui a fait monter la colère à des niveaux jamais atteints. Il y a évidemment les réseaux sociaux qui ont joué le rôle à la fois d’accélérateur et d’organisateur. En 2005, ça a mis une semaine à monter parce qu’on ne connaissait pas la vérité.

À Grigny, des révoltes urbaines ont essaimé plusieurs soirs. Mais, elles semblent avoir été plus calmes par rapport à d’autres villes. Aucune infrastructure publique n’a été prise pour cible ? Comment l’expliquer ?

Je ne sais pas, j’ai des hypothèses. Je regarde ailleurs, dans d’autres villes, dans les villes bien populaires, globalement, les équipements publics n’ont pas été les premières cibles. C’est la police qui l’a été. Je me dis qu’on a peut-être un peu de chances, mais je sais aussi que les habitants ont fait passer le message, “touche pas à mon école, touche pas à mon gymnase, touche pas à ma mairie”.

Le plus grand bouclier, ça a été les habitants. C’est quand même les seuls services publics qui fonctionnent encore un peu, même si l’on ne résout pas tout. Le service public, c’est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.

Lors de votre rencontre à l’Élysée, globalement, est-ce que les maires partageaient votre vision des événements ?

Alors déjà, il faut dire que certains maires ont eu très peur. Il y en a qui ont vécu des choses traumatisantes, qui n’ont pas vu la colère venir et qui sont encore sous le choc. Ensuite, il y a un clivage droite gauche qui s’est exprimé.

Si l’ordre n’est pas juste et proportionné, ça crée du désordre

Il y en avait qui disaient « l’ordre, l’ordre, l’ordre, l’ordre… », mais si l’ordre n’est pas juste et proportionné, ça crée du désordre. Ça fait 20 ans qu’on vit avec ce slogan politique qu’il faut plus d’ordre. La vérité, c’est qu’ils n’ont rien réglé avec cette parole-là.

Mais, je dirais que nous sommes tous arrivés à nous retrouver sur le fait qu’il fallait tout revoir de fond en comble. Que l’ordre ne suffirait pas, l’éducatif non plus, le social non plus. Les maires demandent plus d’éducatif, plus de justice, une meilleure police, plus de politique de la ville, d’ANRU, pleins de choses.

Est-ce que les réponses que vous a apportées le Président de la République étaient à la hauteur de vos demandes ?

En réalité, à la fin du discours la moitié de la salle était vide, je ne m’attendais à pas grand-chose donc je n’ai pas été déçu. Le Président a dit que ce n’est pas un problème de moyens, mais de méthode. Déjà, c’est un premier problème. On n’a pas crevé l’abcès sur de nombreux sujets.

La question de la doctrine policière n’a pas été abordée 

Il y a un clivage très fort sur la question de la police. La question de la doctrine policière, sur les problèmes dans la formation, dans le recrutement, sur la loi de 2017, on n’a pas abordé ces sujets.

On a le Président qui a dit “je n’ai pas la solution dans ma poche, vous avez une partie de la solution”, ce qui n’est pas faux. Il a parlé de “maladresse du plan Borloo » dans son discours, ce qui veut dire faute avouée, faute à moitié pardonnée. (En 2018, Jean-Louis Borloo, alors ministre de la Ville avait élaboré un plan d’action pour les banlieues, qui avait finalement été enterré par le président, Ndlr.)” 

Et il nous a donné des cahiers de vacances en nous disant “en termes d’éducation, on a tout fait, c’est en train de s’appliquer et en termes de justice, c’est en train de se mettre en route”… Tout le monde est sorti en tirant la tronche.

Comment vous voyez l’après ?

Le maire dans sa fonction doit gérer le quotidien et penser l’avenir. C’est-à-dire qu’il y a des choses qu’on a enclenchées et aujourd’hui, on doit résister. Par exemple, dans les médias il y a une petite musique qui monte et qui dit : “on fait des plans, mais ça ne marche jamais, est-ce qu’il ne faut pas arrêter la politique de la ville et l’ANRU ?” Il se trouve que chez les maires, tout à l’heure, de droite comme de gauche, disent que qu’il “n’y a que ça qui fonctionne.”

Moi, je rajoute que la politique de la ville et l’ANRU ne tuent pas des gens. Le problème, c’est qu’elles n’ont pas suffisamment de moyens et que tout ce qu’il y a autour ne suit pas. Oui la politique de la ville doit être améliorée, mais ne la rendez pas responsable de l’échec de l’école, de la justice ou de la doctrine policière, vous vous trompez de combat. C’est soutenir la thèse de l’extrême droite qui défend ces arguments.

L’urgence, c’est la politique de la ville et c’est de revoir la doctrine policière

Il y a deux écoles, une qui joue sur l’émotion et qui leur permet de faire avancer leur politique de haine. Il y a une bataille médiatique entre l’émotion et la raison, et on est quand même peu entendus. L’émotion nous amène vers le pré-fascisme, c’est clair.

Selon vous, quels sont les chantiers urgents à entreprendre ?

L’urgence, c’est la politique de la ville et c’est de revoir la doctrine policière. Et, vous savez, personne n’a abordé la question de la lutte contre la misère et la paupérisation. Dans ce pays, on n’a aucune réflexion sur comment lutter contre la misère.

La différence entre 2005 et 2023, c’est que dans nos quartiers populaires, les gens se sont paupérisés. 50 % des travailleurs à Grigny vivent sous le seuil de pauvreté (avec moins de 940 euros par mois, ndlr) On ne vit plus de son travail. On a des femmes seules avec enfants, qui travaillent le matin et le soir à l’autre bout de l’Île-de-France.

Dans nos quartiers, les souffrances sont silencieuses, mais quand on se met à crier, ça envoie de la décibel.

Pour la première fois, des gosses de Grigny m’ont demandé de la tune. C’est quoi ce pays qui laisse deux tiers de ses enfants vivre sous le seuil de pauvreté, c’est la honte. Arrêtez avec votre égalité des chances, c’est la honte. Il faut une égalité des droits.

Mais il y a des choses simples à mettre en place. Dans toutes les écoles maternelles, on a instauré des petits déjeuners le matin. Deux tiers des gamins mangeaient mal ou pas le matin. Ça change tout, ils sont concentrés pour les apprentissages, ça décharge les familles. Dans nos quartiers, les souffrances sont silencieuses, mais quand on se met à crier, ça envoie de la décibel.

Propos recueillis par Dounia Dimou et Névil Gagnepain 

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