Dans le contexte troublé de la distribution de la Ligue 1 de football, l’arrivée de DAZN n’a pas rassuré. Le nouveau diffuseur propose uniquement la Ligue 1 à un prix de 19,99 euros par mois… pour leur offre la moins chère. À titre de comparaison, Amazon Prime Video proposait les mêmes tarifs l’an dernier, mais avec tout le catalogue Amazon Prime en plus. Valentin Aznar, fondateur de 11ᵉ art, média spécialiste du ballon rond, nous en parle. Interview.
Quels problèmes posent le monopole de DAZN ?
Le principal problème du quasi-monopole (BeInSports diffuse quand même un match par journée) c’est le manque de visibilité du « produit » Ligue 1. Les prix très élevés imposés par DAZN sont prohibitifs pour le consommateur, qui ne peut plus s’offrir le luxe de s’abonner à la ligue 1. Face à la concurrence des plateformes de streaming (Netflix, Amazon) et des autres concurrents (Canal +, BeIn), le consommateur « lambda » doit s’imposer un arbitrage entre les différentes offres de divertissement.
Les prix imposés par DAZN jouent contre eux-mêmes. Ajouté à cela le boycott d’une partie des consommateurs de Ligue 1 suite à la gestion cataclysmique de la ligue de football professionnelle (LFP) et le produit s’en retrouve totalement invisibilisé. Même les résumés de matchs ne sont plus diffusés sur les réseaux sociaux en temps réel.
Il semblerait que le dernier Classico (match PSG-OM) n’ait été suivi que par environ 150 000 personnes sur DAZN, sans compter le streaming. En conséquences, le football français perd le peu de la valeur économique qui lui restait, ce qui pourrait avoir des incidences encore plus catastrophiques à moyen terme. Rappelons que le deal signé par DAZN comporte une clause lui permettant de rompre le contrat à l’été 2026,ce qui est fortement probable compte tenu des revenus. Un nouvel appel d’offre devrait alors être organisé, avec un montant très probablement très inférieur à celui d’aujourd’hui.
Cette invisibilisation de la Ligue 1 vient confirmer un désintérêt profond du consommateur pour le football en France
En plus d’invisibiliser le produit, ce dernier est aussi très nettement dégradé. DAZN a fait le choix de produire et de diffuser les matchs de ligue 1 avec un budget très restreint. Il y a des avants matchs très courts, tronqués par de nombreuses pages de publicité, aucune analyse à la mi-temps, une mise en avant perpétuelle de la Fanzone qui n’intéresse personne, des infographies minimalistes, une direction artistique rétrogradée… Bref, un produit dégradé !
Cette invisibilisation de la Ligue 1 vient confirmer un désintérêt profond du consommateur pour le football en France. Il y a plusieurs raisons à cela : le jeu défaillant proposé par l’équipe de France de Didier Deschamps, les multiples compétitions inutiles nouvellement créées qui viennent surcharger le calendrier. Mais aussi toutes les malversations qui tournent autour du football : multipropriété, affaires de mœurs, élections truquées…
Pourquoi DAZN tient tant à avoir le monopole de la ligue 1 alors que ce n’est pas rentable ?
C’est une bonne question, je n’y vois pas trop d’intérêt aujourd’hui. Initialement, l’offre de 400 millions d’euros de DAZN faite en mars 2024 portait sur l’intégralité des neuf matchs de Ligue 1. Une offre qui devait servir de produit d’appel pour investir de nouveaux marchés. Malheureusement, l’offre de dernière minute faite par DAZN et privilégiée, en sous-main, par Vincent Labrune, président de la LFP vient rebattre les cartes pour DAZN. D’autant plus que la chaîne ne sera jamais rentable à terme.
Sur l’appel d’offre précédent, 2021/2024, qui incluait la ligue 1 dans un catalogue beaucoup plus large (films, séries, service de livraison…), Amazon avait payé 250 millions d’euros pour l’équivalent de ce que diffuse DAZN aujourd’hui. Au bout de 3 ans, Amazon aurait perdu 130 millions d’euros sur 3 ans, alors que la chaîne comprenait près de 1,5 millions d’abonnés, soit trois fois plus que DAZN. En outre, les abonnements coûtaient 13 euros par mois sans engagement, soit trois fois moins que DAZN. DAZN sera forcément déficitaire et rompra très probablement son contrat à la fin de la saison 2025/2026, s’il ne fait pas défaut de paiement d’ici là.
L’augmentation des prix des abonnements est un facteur d’achat d’IPTV pour les fans de foot. À qui profitent les IPTV, hormis leurs vendeurs ?
Elles servent implicitement à certains politiques pour détourner le regard sur le fond du problème. Par exemple, dans une interview donnée juste avant sa réélection à la LFP, Vincent Labrune disait qu’il allait s’attaquer frontalement au piratage pour permettre à DAZN d’augmenter son nombre d’abonnés.
En plus de n’avoir que très peu de sens, cette combine permettait surtout de masquer un bilan catastrophique, autant dans la régulation des prix des abonnements que dans les négociations pour l’appel d’offre des droits TV.
Pour ce qui est de savoir à qui profite vraiment les IPTV, je vous laisse consulter les articles sur les liens entre l’IPTV et le crime organisé, So Foot avait publié un excellent article sur le sujet.
Lire aussi. IPTV illicite : malheur de la télé payante, bonheur des consommateurs
Le football est un sport populaire, pourtant voir des matchs devient presque un luxe, qu’est-ce que ça dit de l’évolution du foot ?
Cette absence de visibilité, mais surtout de régulation du football par les instances (UEFA, FIFA et fédérations) est le fruit d’une libéralisation financière à tout-va depuis plus de 30 ans dans le monde du football. Le business a pris le pas sur les fonctions éducatives et de loisir que représente le sport.
Êtes-vous optimiste quant à une baisse du prix des abonnements ?
La baisse des prix dépendra du prochain investisseur et de la stratégie qu’il souhaite mettre en place. Si, pour ce nouvel investisseur, la ligue 1 correspond à une ligne dans un catalogue beaucoup plus large, alors ce diffuseur pourra se permettre de réduire les prix. Si c’est le produit principal d’une nouvelle chaîne (comme DAZN ou médiapro), les prix ne pourront pas baisser à cause des objectifs de rentabilité. À moins que cette nouvelle chaîne ne soit créé par une entité qui a des intérêts autres, comme du softpower comme, au hasard, l’Arabie saoudite.
Est-ce que cette guerre des prix pourrait, sur le long terme, avoir des conséquences pour le monde du Football ?
La baisse du prix des abonnements pose une question plus large : quand et qui s’occupera de réguler le football ? Par réguler le football, j’entends là de discuter des prix des abonnements, mais aussi repenser les compétitions, le système des transferts, interdire les déviances financières comme la multipropriété, les jeux d’agents…
Le football arrive aujourd’hui à un tournant, il est essentiel de repenser toutes ces questions-là
Le football arrive aujourd’hui à un tournant. Il intéresse de moins en moins les gens. Il est essentiel de repenser toutes ces questions-là. Qui s’en chargera ? Les instances et fédérations qui sont déjà censées jouer ce rôle depuis longtemps et qu’elles ont petit à petit délaissé ? Les clubs, peut-être ? Certains tentent déjà de repenser le business model pour être moins dépendants des droits TV et créer de nouvelles recettes intrinsèques au club.
Pour ce qui est des diffuseurs, il faudrait que certains soient prêts à repartir de zéro afin de repenser tout le produit, ce qui implique perdre de l’argent plusieurs années consécutives. La super league pourrait jouer ce rôle, c’est d’ailleurs l’un des principaux arguments avancés par A22, la société qui propose ce nouveau format. Je précise que je ne suis pas pour la super league, mais qu’elle pourrait répondre à ces attentes.
Propos recueillis par Ali Rabihou