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Après son tour de la Seine-Saint-Denis raconté dans le documentaire Mon incroyable 93, le réalisateur Waël Sghaier part explorer l’Europe. Pas l’Europe des technocrates de la Commission ou du Parlement, mais bien celle des quartiers populaires. Pendant 52 minutes, on part à la rencontre d’acteur·ices qui s’organisent contre les problèmes du quotidien.

À Bruxelles, un collectif de mères s’organise pour défendre leurs enfants contre les violences policières et les contrôle au faciès. À Stockholm, des habitant·es utilisent l’art comme thérapie face au fléau des fusillades. En Espagne, un groupe se mobilise pour lutter contre la gentrification. Dans une série d’interviews et d’images touchantes, Banlie.ue met en lumière les luttes des habitants des quartiers populaires contre les injustices qu’ils subissent partout en Europe.

Comment t’est venue l’idée de voyager en Europe pour raconter les quartiers populaires ?

Il y a quelques années, j’étais beaucoup à Bruxelles. Là-bas, j’ai pu discuter avec des gens qui travaillent au Parlement. Ils disaient que le sujet européen était trop difficile à explorer quand on n’était pas dans les institutions. Or, je pense que ce n’est pas à travers les technocrates, mais à travers les habitant.e.s que l’on peut comprendre l’Europe. Ce documentaire, c’est un peu une revanche sur les technocrates du Parlement européen.

Ce film, c’est une revanche sur l’Europe des technocrates

J’ai aussi voulu sortir du cliché que les personnes de quartiers populaires s’en foutent de l’Union européenne. Le meilleur moyen pour moi, c’était de montrer les points communs entre ces territoires. Le taux d’abstention est particulièrement fort chez ces populations. Mais ne pas voter ne veut pas dire qu’on ne s’intéresse pas à la politique.

Tu abordes la question des violences policières en Belgique à travers la lutte du collectif des Madres. Quelle est l’image de la police dans les quartiers populaires d’Europe ?

Ce que j’ai vu, c’est que les problèmes liés à la police auraient pu faire l’objet d’un documentaire à part entière. C’est vraiment un commun à tous les pays. Par exemple, en Suède, la police envoie des hélicoptères dans les quartiers populaires pour faire de la prévention. J’ai pu discuter avec des psychologues qui ont diagnostiqué une grande anxiété chez certains habitants lorsqu’ils entendent des bruits d’hélices.  Au passage, j’ai déconstruit le cliché selon lequel la Suède serait un modèle.

Donc la police française est peut-être mal perçue, mais la répression policière en Europe, elle est partout. C’est un commun et c’est assez flagrant, que ce soit à Barcelone, Stockholm, à Athènes, ou en Slovaquie où elle est très violente.

Dans aucun autre pays, on retrouve un tel condensé de tous ces problèmes

Est-ce que visiter plusieurs villes étrangères t’a fait prendre conscience de certaines spécificités françaises ?

Ce qui m’a le plus interloqué, c’est que la France est un regroupement de tous les problèmes européens des quartiers populaires ! Rixes, police, urbanisme, ségrégation, gentrification… Dans aucun autre pays, on retrouve un tel condensé de tous ces problèmes. C’est pour ça que j’ai trouvé intéressant de voir comment les autres pays trouvaient des solutions.

Les quartiers populaires sont connectés à travers toute l’Europe.

Tu rencontres beaucoup de personnalités différentes, notamment des associatifs et des militants. Comment tu as casté tes interlocuteur-ices ?

J’ai beaucoup utilisé les réseaux sociaux au sens premier. Je suis passé par le réseau des personnes qui connaissent les quartiers populaires. Je me suis laissé porter par les gens qui me disaient : « Il faut que tu ailles là ou là ». De façon informelle, ces gens ont montré que les quartiers populaires sont connectés à travers toute l’Europe.

L’écoute était la clé de ce projet. Ces gens n’ont pas l’habitude d’être écoutés

J’ai essayé de définir une thématique par ville. Puis j’ai passé du temps en repérage, pour ne pas venir comme un journaliste qui n’a que deux jours. Je voulais montrer que j’avais le temps d’écouter les gens. L’écoute était la clé de la réussite de ce projet. Ces gens n’ont pas l’habitude d’être écoutés.

Selon toi, qu’est-ce qui fait l’identité de banlieusard européen ?

Il y a cette punchline qui dit : « On a la même passion, mais on n’a pas le même maillot ». Moi, j’ai envie de dire : « Dans les quartiers populaires européens, on ne parle pas la même langue, mais on a les mêmes problèmes ! ». Je pense qu’il y a une vraie identité des quartiers populaires en général. Qu’elle soit en Europe, en France, aux États-Unis, dans le Maghreb ou en Afrique subsaharienne. Quelqu’un qui a grandi dans les faubourgs de Valparaíso au Chili ou en Argentine, il va s’en sortir dans les quartiers de Barcelone. Pour moi, cette identité est mondiale. C’est la perception, les combats, les façons de voir le monde et d’échanger qui font cette identité.

Quelle était ton ambition avec ce projet ? Est-ce que tu savais déjà ce que tu voulais montrer dès le départ ?

Ce documentaire, c’est un peu mon Livre des solutions comme le film de Michel Gondry ! En France, on est très centrés sur nous-mêmes. À l’étranger, on nous voit comme des gens hautains qui se croient meilleurs que les autres. Je me suis dit qu’il fallait faire le pas de côté, et voir comment les autres trouvent des solutions.

Quels souvenirs t’ont le plus marqué dans cette aventure ?

À Stockholm, on m’a accueilli vraiment comme si je faisais partie de la communauté, ça m’a beaucoup marqué. Plus globalement, quand je disais aux gens que je venais en train, ils me regardaient comme un fou. Mais ça valait la peine de voir dans le regard que j’avais mérité leur parole parce que j’avais pris du temps pour venir jusqu’à eux, parce que j’avais pris le temps de les écouter.

Banlie.ue sera diffusé sur France 3 Île-de-France, ce jeudi 26 octobre à 23 heures.

Propos recueillis par Hadrien Akanati-Urbanet

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