[#PRÉSIDENTIELLE2017] Alors que la campagne de l’entre-deux-tours bat son plein, le Bondy Blog a voulu donner la parole à ces étrangers qui n’ont pas le droit de vote. Quel regard portent-ils sur cette élection ? Regrettent-ils de ne pas pouvoir se rendre aux urnes ? Que pensent-ils de la montée du Front national ? Reportage au marché de Montreuil.
Alain Réno*, cadre de santé de 44 ans, est un habitué du marché de Montreuil. Il aime se retrouver dans ce lieu convivial où des personnes de toutes les nationalités se côtoient pour discuter dans la convivialité. Alain peut voter mais regrette que certains de ses amis étrangers ne bénéficient pas de ce droit. « Ils paient leurs impôts en France, ils vivent ici. Pourquoi ne peuvent-ils pas s’exprimer sur la société qui les entoure ? s’interroge-t-il, un brin amer. S’ils y étaient autorisés, je suis sûr et certain qu’ils se déplaceraient pour chaque élection ».
Au marché de Montreuil, il faut se frayer un chemin tant le lieu est bondé. Les clients se bousculent autour des stands de fruits, fromages, cosmétiques et maroquinerie dans un joyeux brouhaha. Les commerçants haranguent la foule et mettent en avant des prix attrayants. Les odeurs d’olives, d’herbes aromatiques et de parfums orientaux emplissent les narines des passants. Evidemment, parmi les sujets de prédilection, il y a l’élection présidentielle française qui revient quasiment dans toutes les bouches.
« Quand on a le droit de vote, on l’utilise, on participe à tout. Nous, on rêverait de pouvoir le faire ! »
De l’autre côté du marché, des tracts « En Marche ! » traînent sur le sol, froissés sous les pas pressés des promeneurs. Devant son stand de maroquinerie, Kader Alane, un Algérien de 42 ans, fait partie de ces exclus de droit de vote. « Bien sûr que j’aimerais pouvoir participer. Je veux la paix, comme tout le monde », explique-t-il. Intéressé par la campagne présidentielle, il a écouté les discours des candidats mais déplorent qu' »ils ne soient pas dans la vraie vie, sur le terrain. Malgré tout, si j’avais eu la possibilité de voter, j’aurais rempli ce devoir sans hésiter ». À ses côtés, ses amis Cherak Hocine, 58 ans et Mansour Kader, 70 ans, tous deux venus d’Algérie, partagent ce souhait. « On se sent français, alors on aimerait avoir les mêmes droits que les Français ». Interrogés sur la progression de l’abstention, ces trois amis s’agacent. « Quand on a le droit de vote, on l’utilise, on participe à tout. Nous, on rêverait de pouvoir le faire ! »
Et ce droit, les étrangers le réclament d’autant plus qu’ils se sentent concernés par les programmes des candidats, particulièrement celui de Marine Le Pen. Un brin de muguet à la main, un sac de courses dans l’autre, Douma Si, une ancienne femme de ménage de 52 ans, souhaiterait « pouvoir faire barrage à l’extrême droite. Qu’on soit musulman, juif, qu’on soit français ou non, peu importe, on devrait pouvoir s’exprimer ! », s’insurge-t-elle.
« On parle de nous mais sans nous »
Quelques mètres plus loin, des affiches d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen ornent un mur. Sur un poteau, un tract « Non au FN et à ses idées racistes à Montreuil et partout ailleurs » atteste de l’opposition de la population locale à la candidate. Un panneau indiquant « bureau de vote N°4″ est suspendu devant une école. Assise sur une chaise, Niom Penh, arrivée du Vietnam trois ans plus tôt, n’y prête pas attention. « De toute manière, je ne peux pas voter, regrette-t-elle. C’est terrible, parce que l’on entend parler tous les jours de concurrence étrangère, d’immigration massive, etc, mais les concernés sont muselés. En fait, on parle de nous, mais sans nous ». Elle qui a suivi de près cette campagne rêverait de « glisser un bulletin Macron dans l’urne, simplement pour gêner le FN ».
Cette lassitude, Jihane Bouchnafa, 19 ans, élève de Terminale S sur le point de passer son bac, la ressent aussi. D’origine maghrébine, elle vit en France depuis deux ans et demi et se dit « intéressée par la politique de son pays d’adoption » mais « déçue de ne pouvoir y participer ». Pour elle, interdire aux étrangers de voter fait partie d’une logique électoraliste. « Je pense qu’ils seraient nombreux à voter pour les candidats de gauche », argue-t-elle. Pour autant, elle comprend « ceux qui choisissent de ne pas exercer leur droit » et ne ressent pas de colère.
Le droit de vote, « facteur d’intégration »
À l’inverse, Nassima Sali, conseillère d’orientation de 45 ans d’origine algérienne, arrivée en France quatre ans plus tôt, se dit « écœurée par cette injustice ». Pour elle, ne pas avoir le droit de vote « représente un obstacle à l’intégration. Si une personne peut participer à la vie locale, si elle peut agir et s’exprimer, alors elle se sentira plus acceptée ». Elle qui a vécu aux Pays-Bas se souvient de l’intégration des étrangers et des immigrés là-bas. « Dans les pays nordiques, c’est comme ça. Les étrangers sont parfaitement intégrés. Ici, ce n’est malheureusement pas le cas ».
En avançant un peu, dans une des allées du marché de Montreuil, un drapeau tricolore est discrètement suspendu au-dessus d’un stand de vaisselle. Une manière peut-être de signifier que s’ils n’ont pas les mêmes droits, s’ils ne sont pas français dans l’état civil, tous ici partagent le même sentiment d’appartenance à la France.
Maéva LAHMI
*Le témoin a préféré s’exprimer sous pseudonyme.