« Avec le Nouveau Front Populaire (NFP), on pensait que les choses allaient changer. Mais finalement, on voit que la photo de famille ne représente quasiment que des personnes blanches », se désole Rania Daki, cofondatrice du Front de la jeunesse populaire. Un collectif initié par des jeunes des quartiers populaires pour inciter les jeunes de France à voter pour la récente union des partis de gauche. « Il y a un enjeu à montrer que les personnes racisées, qui portent le foulard, issues des quartiers, etc, ont aussi la légitimité d’entrer en politique. »

Alors que l’égalité femmes hommes est en recul dans l’hémicycle, le manque de diversité est, lui aussi, à déplorer. Avec les 23 député·es ultramarins, Mediapart recense 51 personnes racisées élues qui siègent au sein de la nouvelle Assemblée nationale. 51 sur 577. Sans les député·es ultramarins, ce nombre tombe à 28. « C’est par ailleurs sept député·es en moins qu’en 2022 », soulève le média indépendant.

Parmi tous les partis appartenant à la gauche de l’échiquier politique, La France Insoumise (LFI) tire son épingle du jeu. On dénombre, dans ses rangs, neuf député·es issu·es de la diversité, sans compter les ultramarins racisé·s. A contrario, ils sont quatre chez Les Écologistes et les Socialistes, seule une personne au Parti communiste français et chez Génération·s. « Ce constat-là, on le fait quasiment à chaque élection, observe Pierre-Nicolas Baudot, auteur d’une thèse sur le Parti socialiste et la politisation de la question “immigrés”. « C’est une question qui se pose depuis les années 80 », remonte-t-il. Et depuis, peu de changement.

Aucune mesure concrète

En France, la prise en compte du caractère systémique de la question de la race reste tabou. « On observe peu d’instances mises en place de ce côté-là dans les partis », regrette Samir Hadj-Belgacem, maître de conférence en sociologie.

Sur la question des origines, en effet, il est beaucoup plus compliqué d’aborder la notion de parité en l’absence d’accord sur la signification précise de ce même terme. Pour rappel, en France, les statistiques ethniques sont interdites par la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978. « Si je prends le cas du PS, on n’a jamais mis Anne Hidalgo, qui est d’origine espagnole, dans les “personnes issues de la diversité”. Ceux dont on parle, ce sont les descendant·es de l’immigration coloniale ou postcoloniale », clarifie Pierre-Nicolas Baudot.

Or, selon lui, les politiques françaises n’auraient pas cette lecture de la notion de diversité. « C’est complètement indicible. On ne peut pas mettre des quotas comme pour la parité femmes-hommes. Et puis, ça renverrait à l’idée que ces élus-là seraient représentatifs des personnes d’ascendance étrangères, alors que dans le schéma français, ils sont censés être les représentants de tous les français. »

Des organisations opposées

Si on regarde le détail par parti, on observe des fonctionnements différents entre chaque formation politique pour ce qui concerne les investitures des candidat·es aux élections. « Le Parti Socialiste est très soumis à ses courants internes et aux barons locaux. Ce sont les fédérations qui décident. Le parti a donc très peu de marge de manœuvre sur les candidat·es qu’il sélectionne », indique Pierre-Nicolas Baudot. Résultat, moins le PS a de marge de manœuvre, moins il peut imposer des candidatures diversifiées.

À l’inverse, la France Insoumise (LFI), qui est le parti de gauche le mieux implanté dans les quartiers populaires, « fonctionne de manière verticale ». En d’autres termes, LFI peut imposer des candidatures sur l’échelle nationale. Une direction constatée dernièrement en Seine-Saint-Denis, où le parti a choisi d’investir Aly Diouara, fonctionnaire territorial à la mairie de Drancy, très engagé dans le milieu associatif, et Sabrina Ali-Benali, médecin urgentiste.

Face à eux, Raquel Garrido et Alexis Corbière, deux figures historiques du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. « Du jour au lendemain, des militants locaux, avec leur légitimité locale, ont émergé et ont été imposés, ce que le PS ne pourrait pas faire par exemple », précise le docteur en sciences politiques. Outrepasser le « selectorat » – ceux qui sélectionnent les investitures – serait donc l’une des solutions pour permettre l’élection de personnes issues de la diversité.

Un choix et un timing qui interroge Samir Hadj-Belgacem, auteur d’une thèse sur la représentation des quartiers populaires et l’engagement électoral : « On aurait pu les investir avant, dès 2022, en disant qu’ils avaient aussi une légitimité, s’impatiente le maître de conférence. Certains candidats se présentent pour des barons locaux, parce qu’ils ont été élus deux fois dans les quartiers populaires. »

De quoi orienter les intentions de vote, face à un profil imposé. « On se repose sur des personnes qu’on estime de confiance. Et il faut le dire, on fait moins confiance aux candidat·es qu’on ne connaît pas et aux candidat·es ​minoritaires », se résigne le spécialiste.

Des formations politiques repliées sur elles-mêmes

Alors, comment expliquer ce manque de diversité au sein de la gauche ? Selon Pierre-Nicolas Baudot, docteur en sciences politiques, des logiques de courts termes sont liées à ces élections législatives, et à sa dimension rapide. « Il y avait ce besoin de placer les gens qui sont les plus susceptibles de gagner. Souvent ce sont des élus sortants, des barons locaux, au détriment de catégories exogènes du jeu politique. À savoir les femmes, les personnes issues des quartiers populaires, ou les personnes à descendance étrangère », précise-t-il.

Les partis de gauche seraient des organisations repliées sur elles-mêmes. Le manque de diversité serait visible dès la phase de recrutement. « Ce sont des partis d’élu·es, de collaborateurs, qui ont peu de contacts avec le monde associatif. Si je prends le cas du PS, le parti a énormément recruté son personnel politique au Mouvement des Jeunes Socialistes, à l’UNEF et à Sciences Po… Des structures qui ne sont elles-mêmes pas du tout diversifiées », ajoute Pierre-Nicolas Baudot.

Dans d’autres cas, certains partis politiques n’investiraient pas de candidat·es issu·es de la diversité par crainte de « faire fuir un électorat blanc ». Un discours avancé par une partie de la gauche durant les années 80-90, encore prononcé aujourd’hui. « Je ne compte plus le nombre de fois où l’on m’a dit que des gens avaient été sortis des listes parce qu’on leur avait dit que leur candidature allait “faire gagner le Front National”, ou “gênerait” », confirme le spécialiste en histoire sociale des idées partisanes, après s’être entretenu avec plusieurs militant·es racisé·es, engagé·es sur cette question.

Professionnaliser la politique, sans personnes racisées

Le grand changement intervient en 2017 avec l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir. « C’est l’élection massive de gens qui ne sont pas des professionnels de la politique. Il y a ce constat de long terme, cette absence répétée qui est liée à des logiques de professionnalisation des champs politiques », analyse Pierre-Nicolas Baudot.

Une fois encore, les personnes non-blanches restent exclues de ces logiques de professionnalisation. Une non-considération éprouvée par de nombreux militant·es racisé·es d’après Pierre-Nicolas Baudot. « Plusieurs me disaient : “on était bons pour coller les affiches des partis, mais une fois qu’il fallait aller sur les affiches, c’était hors de question” », constate le politiste durant ses entretiens.

La plupart du temps, ce mépris serait directement lié à « une forme de racisme latent, banalisé ». Et ce, malgré une forte légitimité associative. « Ce sont des qualifications peu valorisées au sein des partis politiques de gauche. Ils font émerger des professionnels de la politique. S’il y a des personnes racisées parmi ces professionnels, ils et elles finiront par émerger aussi », nuance-t-il.

De faibles responsabilités, et des investitures ambiguës

Pour beaucoup de personnes issues de la diversité, gauche politique rime avec postes à faible responsabilité. « En 2022, on avait mis des suppléants souvent issus des minorités locales, que ce soit d’Afrique subsaharienne, du Maghreb, ou d’autres immigrations. Sauf qu’on le sait, les suppléants sont rarement sollicités, s’agace à l’autre bout du fil Samir Hadj-Belgacem. Le pouvoir, ce n’est pas seulement un poste d’élu de temps en temps. »

Et une fois qu’ils et elles ont réussi à se faire une place, « c’est essentiellement dans des circonscriptions qui ne sont pas gagnables ». Pour cause, dans certaines configurations, le clivage politique au sein des circonscriptions scelle le sort des candidat·es issu·es de la diversité. « Je pense à Adel Amara, Lyes Louffok dans le Val-de-Marne, à Yassine Benyettou dans les YvelinesCe sont des circonscriptions avec certaines villes qui votent très à droite, d’autres très à gauche », montre le sociologue, spécialiste des quartiers populaires.

L’ancrage local, lui aussi, a son importance. Début juillet, le collectif l’Assemblée des Quartiers appelait, par le biais d’une lettre publique, « à envoyer le maximum de candidat·es du Nouveau Front Populaire qui partagent nos idées dans l’Hémicycle ». Parmi eux, Amadou Ka natif de Creil dans l’Oise, Amal Bentounsi militante antiraciste, habitante de Meaux durant 37 ans, ou encore Karima Chouia, cadre de la fonction publique territoriale dans le Nord, hémoise depuis toujours.

« Laissez les candidats locaux faire campagne chez eux et vous, investissez vos propres militants avec vos ressources et vos moyens, plutôt que de parachuter [présentation de quelqu’un comme candidat à une élection dans une circonscription où il est inconnu] », appelle Samir Hadj-Belgacem, doctorant en sociologie.

Reconstruire la gauche

Alors, la question reste entière, comment faire ? Pour l’expert Samir Hadj-Belgacem, au-delà de la représentativité, « il y a un enjeu à entrer collectivement en politique ». Autre enjeu d’avenir, mieux défendre « les intérêts des premiers concernés ». À savoir, les habitants des quartiers populaires.

Leur forte mobilisation électorale lors de ces élections ne s’explique pas seulement par sens du devoir. Mais aussi, par nécessité, d’après : « Ce sont ceux qui ont fait le plus de barrage à l’arrivée au pouvoir des nationalistes. Mais le monde des partis est toujours dans une forme de paternalisme, de non-considération. Y compris à gauche, on entend que le rapport de force. »

Coralie Chovino

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