Tout avait déjà commencé lors de la victoire surprise de Benoit Hamon à la primaire socialiste en janvier 2017, le désignant alors comme candidat officiel du PS. A l’époque, la plupart des rares soutiens de Manuel Valls en Seine-Saint Denis avaient traîné des pieds pour mener campagne pour l’ancien ministre de l’Education. Claude Bartolone, ex-président de l’Assemblée nationale, ancien patron des socialistes du 93 et soutien de Manuel Valls durant la primaire, ira même jusqu’à déclarer au Monde avoir « du mal à se reconnaître » dans la campagne de Benoît Hamon. Une campagne principalement pilotée depuis la Seine-Saint-Denis avec ses caciques et soutiens de la première heure : son directeur de campagne, Mathieu Hanotin, sa porte-parole Aïssata Seck, le président du Conseil départemental, Stéphane Troussel. Le 1er juillet, Benoît Hamon annonce quitter le Parti socialiste pour créer son propre mouvement, M1717. Quelques mois plus tard, ce sont les sénatoriales, l’autre scrutin de l’année, qui vont accentuer la fracture au sein de la fédération.
Aïssata Seck, dissidente hamoniste, exclue du Parti socialiste
La candidature d’Aïssata Seck va mettre le feu aux poudres. L’adjointe à la maire de Bondy, soutien de Benoît Hamon, s’est positionnée pour rejoindre les rangs du Sénat. Problème : elle l’a fait en déposant sa propre liste face à celle de son parti menée par Gilbert Roger, sénateur socialiste sortant et ancien maire de Bondy. Aïssata Seck ne cache pas avoir voulu une liste à l’image de la Seine-Saint-Denis, diverse et colorée. Mais le couperet est tombé quelques jours à peine après l’officialisation de sa candidature : Aïssata Seck est exclue du Parti socialiste. Peu importe les combats de celle qui s’est battue aux côtés des 27 tirailleurs sénégalais pour leur naturalisation et qui furent reçus par le président François Hollande sous les ors de l’Elysée. « Cette exclusion ne change rien à mon engagement, affirme Aïssata Seck. Je reste et resterai une femme profondément de gauche et mon investissement ne faiblira pas, bien au contraire ». Ses soutiens critiquent un parti déconnecté, éloigné des préoccupations quotidiennes des habitants des quartiers populaires et ne tirant aucune leçon du passé. Mais en interne, sa candidature a aussi laissé des traces. « Vouloir un parlementaire issu de la diversité est tout à fait compréhensible. Beaucoup étaient plutôt d’ailleurs d’accord avec cela mais pas comme ça. Ce qui a gêné, c’est la méthode d’Aïssata. Elle aurait du associer plus de monde du parti dans sa démarche« , affirme un militant local souhaitant rester anonyme.
La liste socialiste menée par le sortant Gilbert Roger n’a pu conserver qu’un poste de sénateur sur les deux qu’elle détenait. L’élu ne cache pas sa colère. Sur son compte Facebook, l’unique sénateur socialiste de Seine-Saint-Denis n’hésite pas à qualifier ses (ex) camarades de « dissidents » et de « sorciers » ! Aujourd’hui, il demande « de la clarification » et des explications à celles et ceux qu’il tient comme responsables de son score et de la perte du deuxième poste de sénateur : Mathieu Hanotin, Stéphane Troussel ou encore la maire de Bondy, Sylvine Thomassin à qui Gilbert Roger a transmis les clés de la ville en octobre 2011 lors de son élection au Sénat. Même si l’échec des socialistes est bien plus complexe que le tableau présenté par l’ancien maire de Bondy. « Soit on est M1717 [ndlr, mouvement créé par Benoit Hamon] soit on est au Parti socialiste. Pas les deux. Il a manqué 22 voix à ma liste pour les sénatoriales pour décrocher un deuxième poste de sénateur. Or, la liste menée par Aïssata Seck en a obtenu 145 ! Je veux de la clarification de ceux qui font la promotion du M1717 et de Benoît HAMON au sein du PS 93″.
Mathieu Hanotin, nouvelle victime de la purge anti-Hamonistes
Le 4 octobre 2017, c‘est au tour de l’ancien directeur de campagne du candidat Hamon à la présidentielle, Mathieu Hanotin, d’être écarté. À l’unanimité moins une voix, 23 délégués départementaux ont voté une motion lui réclamant de quitter son poste de président du groupe PS au conseil départemental. En cause entre autres : son absence de soutien à la candidature de Gilbert Roger et sa proximité avec le mouvement de Benoît Hamon. « Il ressort de plusieurs déclarations que le président du groupe socialiste au Conseil départemental », Mathieu Hanotin, « a soutenu cette démarche dissidente », peut-on lire sur la motion en question que nous nous sommes procurés. Mais certains militants de la fédération socialiste du 93 nous confient ne pas se retrouver dans la formulation du texte. Depuis, Mathieu Hanotin a bien quitté la présidence du groupe socialiste au Conseil départemental sans pour autant avoir officiellement rejoint le mouvement de Benoît Hamon. Cette démission, c’est un geste « d’apaisement envers ceux qui me reprochent un manque de soutien aux dernières sénatoriales« , nous répond-il. Et de préciser « ne pas faire de la présidence du groupe socialiste au département l’alpha et l’oméga de son engagement politique« . Quasi simultanément, neuf Hamonistes de la région Ile-de-France ont été débarqués du Parti socialiste début octobre après qu’eux et Benoît Hamon ont annoncé rejoindre le groupe des écolos au conseil régional.
La fatigue des sympathisants et militants socialistes
Force est de constater que la situation locale, couplée au désarroi national d’un parti en lambeaux, n’aide pas les militants à aller mieux. « J’ai le blues mais ne baisse pas les bras », témoigne Abdel, 52 ans du Bourget, sympathisant de longue date du parti . « J’aurais préféré que le parti s’attaque à celles et ceux qui font de la pub pour Macron tout en ayant leur carte du PS au lieu de s’attaquer à « des vrais gens de gauche ». Le risque ? Fatiguer des militants déjà échaudés et accentuer la fracture déjà bien présente avec la base. « Certaines personnalités trahissent les idéaux de gauche et du Parti socialiste. Cette guéguerre d’égos va laisser des traces« , juge Fatima, 38 ans. La militante affirme d’ailleurs « regarder vraiment avec beaucoup d’intérêt ce qu’il se passe avec les Mélenchonistes de Seine-Saint-Denis ».
« La fédération essaye de se débarrasser de nous mais nous avons mené campagne pour Benoit Hamon sans l’aide de la fédération, affirme un de ses soutiens. Malgré le score de notre candidat, nous avons réussi a fédérer pas mal de monde autour de nous en France, y compris en Seine-Saint-Denis ». Et surtout les Hamonistes se prévalent d’un score qui les confortent dans leur démarche : Benoît Hamon est arrivé en tête dans 33 des 40 communes du département au 2ème tour de la primaire socialiste.
Congrès du M1717 le 2 décembre 2017, congrès du PS début 2018
« On paye à juste titre les promesses non tenues du quinquennat précédent. Il y a un besoin d’une réforme du parti, d’un renouvellement profond des pratiques, de répondre aux attentes des habitants des quartiers populaires. Je ne suis pas certain qu’on y arrivera, je ne suis pas certain qu’on soit crédible dans cette capacité à incarner un nouveau visage de la politique », juge sévèrement Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois et soutien de Benoît Hamon durant la primaire, qui précise ne pas avoir l’intention de quitter le Parti socialiste.
Le président socialiste du Conseil départemental, Stéphane Troussel, soutien de Hamon durant la primaire, est sur la même ligne, affirmant rester fidèle au PS mais prônant un dialogue voire « un travail avec toutes les composantes de la gauche y compris le M1717 ». « Je ne suis pas pour un Parti socialiste riquiqui, qui se recroqueville sur lui-même. Je suis pour un parti ouvert et qui discute. Il doit y avoir au sein du parti les uns et les autres. »
Les signaux envoyés pour l’instant ne laissent ni présager un travail, pas même un dialogue. A moins que le prochain congrès du PS, qui doit se tenir en février ou mars 2018, n’oblige à adopter une autre ligne politique. En attendant, c’est le congrès fondateur du M1717 de Benoît Hamon, prévu le 2 décembre 2017, qui permettra d’y voir plus clair quant aux forces sur lesquelles l’ancien candidat à la présidentielle pourra compter. Certains élus de Seine-Saint-Denis pourraient d’ailleurs, selon nos informations, y tenir des responsabilités de premier plan.
Mohammed BENSABER avec Nassira EL MOADDEM