Quelques mois seulement après son élection à la présidence de la République, Emmanuel Macron avait annoncé qu’il ferait de l’égalité entre les femmes et les hommes la « grande cause du quinquennat ». Cinq ans après cette déclaration, alors que son mandat touche à sa fin, qu’en est-il ?
Parmi les réalités qui ont marqué la vie politique ces dernières années, le renouveau du mouvement féministe ne fait aucun doute. En 2017 la révolution #MeToo confronte la société à la nature systémique des violences sexuelles à travers la prise de paroles de milliers de femmes à l’échelle internationale.
Ce sont beaucoup d’effets de communication, et des effets contradictoires, entre ce qui est annoncé comme ‘grande cause du quinquennat’ et ce qui est fait réellement.
Portée par une nouvelle génération de militantes, soutenue par des féministes de longue date, la lutte contre le sexisme s’est déployée dans chaque sphère de la vie, pour mettre en lumière la violence machiste dans toute son amplitude. Jusqu’au sommet de l’État les autorités politiques se sont trouvées sommées d’agir.
Des avancées arrachées au prix de luttes politiques et parlementaires
« Au début du quinquennat, les discours d’Emmanuel Macron nous ont beaucoup surprises, il se voulait féministe et c’est l’idée qu’il a poursuivie avec le ‘forum égalité’ [le Forum Génération Égalité qui s’est tenu à échelle mondiale en 2021 et qui a été co-présidé par la France] pour lequel il a reçu les féministes », rappelle Lena Ben Ahmed, membre de la coordination nationale du collectif féministe Nous Toutes. Mais, « ce sont beaucoup d’effets de communication, et des effets contradictoires, entre ce qui est annoncé comme ‘grande cause du quinquennat’ et ce qui est fait réellement », explique la militante féministe.
Parmi les progrès sociaux obtenus notamment grâce à la pression des militantes féministes, on peut compter l’élargissement de l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires finalement votée en août 2021 et qui figurait dans les promesses de campagne d’Emmanuel Macron dès 2017, ou l’allongement du délai d’interruption volontaire de grossesse (IVG) de 12 à 14 semaines finalement adopté en février 2022 après des années de mobilisations militantes et des semaines de débats parlementaires.
Les violences sexistes et sexuelles, sont une question qui souvent n’a pas été traitée en elle-même et pour elle-même, c’est-à-dire dans le but une abolition claire de ces violences.
Les difficultés auxquelles ont fait face ces projets de lois, révèlent aussi la volonté du gouvernement de ménager les branches réactionnaires, antiféministes et anti-LGBTI du champ politique, incarnées par le mouvement de La Manif Pour Tous bien ancré notamment au sein de la droite.
Plus de 600 féminicides ont eu lieu pendant ce quinquennat… On a beaucoup de politiques de répression avec des gadgets qui arrivent après les violences.
Alors que, comme le souligne la militante de Nous Toutes, « plus de 600 féminicides ont eu lieu pendant ce quinquennat »,le Grenelle contre les violences conjugales organisé entre septembre et novembre 2019 ne s’est soldé par aucune augmentation dans le budget alloué aux associations de lutte contre ces violences. « On a beaucoup de politiques de répression avec des gadgets qui arrivent après les violences », déplore Lena Ben Ahmed. « On nous parle de 379 bracelets électroniques [bracelets anti-rapprochements utilisés dans le cadre d’une ordonnance de protection, NDLR] quand on a plus de 220 000 femmes victimes de violences conjugales en France. Et on a des effets de communication du gouvernement, pour se dire ‘Cool, on nous entend, on nous protège’. Alors que ce n’est clairement pas à la hauteur des violences. »
Un bilan en demie-teinte pour la jeunesse féminine précaire
Alors que l’égalité homme-femme est l’une des grande causes du quinquennat, il a fallu attendre la fin du mandat Macron et une crise sanitaire critique pour les jeunes femmes précaires pour que son gouvernement annonce la gratuité des protections menstruelles pour les étudiantes et les jeunes femmes de moins de 25 ans. Avec des résultats qui sont pour le moment difficiles à décrypter dans les faits.
De même, l’annonce du président de la République, en janvier dernier, à quelques mois à peine de la fin de son mandat, d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométriose laisse dubitative les féministes depuis longtemps mobilisées sur le sujet.
Et les revendications portées par nombre d’associations et de militantes, « d’éducation, de prévention, de formation » restent lettre morte. « Il y a beaucoup de lois qui existent et qui ne sont pas appliquées », relève Lena Ben Ahmed, en référence à l’enquête lancée par Nous Toutes sur l’éducation à la sexualité. « Trois séances d’éducation à la sexualité du CP à la Terminale, ça fait partie de la loi. Dans les faits, il y a très peu de personnes qui ont accès à ces cours-là dont on sait qu’ils sont primordiaux : le nombre de personnes qui connaissent la définition du consentement et veilleront à le respecter dans leurs relations passe de 15% à 82% selon si les personnes ont eu accès à une éducation sexuelle au collège et au lycée ou pas. »
Une politique économique qui fait des femmes les premières victimes du système
Les impacts du mandat d’Emmanuel Macron sur les femmes ne sauraient être appréhendés hors du contexte économique néolibéral. Ainsi, les mobilisations sociales contre la réforme des retraites déployées à la fin de l’année 2019 ont été l’occasion pour des militantes féministes et syndicalistes de souligner la manière dont ces politiques économiques pénalisent spécifiquement les femmes : avec des pensions plus faibles de 42% en moyenne que celles des hommes du fait de carrières hachées par des congés maternité et des emplois à temps partiels, la réforme portée, puis finalement suspendue, par le gouvernement Macron ne saurait combler cette inégalité inhérente à l’organisation du travail.
De plus, les défaillances qui touchent l’hôpital public (5700 lits d’hospitalisation fermées rien qu’en 2020), et révélées par la pandémie de Covid-19, ainsi que les suppressions de postes dans l’Éducation nationale revêtent une dimension de genre non négligeable, quand 91% des aides-soignant·e·s sont des femmes, comme 83% des enseignant·e·s du premier degré.
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S’il est notable que le Segur de la Santé de 2020 a permis une augmentation des salaires d’environ 180 euros, certaines catégories féminisées ont du se battre encore plus pour obtenir gain de cause. Grandes oubliées du Segur de la santé de juillet 2020, les sage-femmes sont descendues à plusieurs reprises pour une reconnaissance et une augmentation des salaires, finalement obtenue après des mois de lutte.
Enfin, les militant·e·s anti-validistes et féministes dénonçaient l’opposition de la majorité LREM à la déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé·e (AAH), entérinant ici la dépendance financière des personnes vivant avec l’AAH (dans une situation où les femmes en situation de handicap sont particulièrement exposées aux violences conjugales).
Politiques racistes et sécuritaires et rhétorique féministe : la stratégie fémonationaliste du gouvernement
S’il est clair que mettre un terme aux violences sexistes n’a pas été la priorité du gouvernement d’Emmanuel Macron, la rhétorique des droits des femmes et de la lutte contre le sexisme a par contre été omniprésente dans les différentes politiques défendues par le gouvernement lorsqu’elles visaient les musulmans et les musulmanes ou les personnes migrantes. Cette stratégie, de mobilisation et d’instrumentalisation d’arguments féministes à des fins racistes et nationalistes, a un nom : on parle de fémonationalisme.
Le genre est quelque chose qu’on peut manipuler, c’est une cause qui peut être soumise à des causes plus grandes, plus importantes.
« Le genre est quelque chose qu’on peut manipuler, c’est une cause qui peut être soumise à des causes plus grandes, plus importantes. Et les violences sexistes et sexuelles, sont une question qui souvent n’a pas été traitée en elle-même et pour elle-même, c’est-à-dire dans le but une abolition claire de ces violences. Cela a souvent été traité comme un véhicule pour poser d’autres questions qui étaient jugées de première importance », explique Kaoutar Harchi, chercheuse en sociologie, et rédactrice, en 2020 de l’essai « Marlène Schiappa, le fémonationalisme et nous ».
Le fait que les questions de genre soient posées à travers le prisme de l’immigration, de la sécurité, de la question de l’espace public, nous permet de voir qu’il y a une forme de dilution constante de la cause féministe.
Et dans le cas des politiques d’Emmanuel Macron, « le fait que les questions de genre soient [principalement] posées à travers le prisme de l’immigration, de la ‘crise migratoire’, de la sécurité, de la question de l’espace public, nous permet de voir qu’il y a une forme de dilution constante de la cause féministe vers d’autres causes qui convergent vers des intérêts dominants, c’est-à-dire des intérêts nationaux voire nationalistes, liés à la question de l’ordre, du maintien de l’ordre, du maintien des frontières », ajoute la chercheuse.
Ainsi, si Marlène Schiappa, l’ancienne secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, maintenant ministre déléguée à la citoyenneté a été rattachée au ministère de l’Intérieur, « ce n’est pas un hasard. Ça veut dire qu’à un moment donné, gérer les femmes, c’est aussi gérer ce qui potentiellement les menace. Et ce qui les menace, selon ce gouvernement, ce n’est pas le patriarcat, ce n’est pas une structure politique, c’est ce dont le ministère de l’Intérieur a la charge : c’est-à-dire les délinquants, ceux qui troublent l’ordre public, etc. Le fait que Marlène Schiappa soit logée là dit beaucoup de la manière dont elle appréhende le travail qui est le sien, c’est-à-dire servir les causes qui sont les causes dominantes : le contrôle des frontières, la drogue, le soutien à la police, aux policiers … »
C’est d’ailleurs cette vision de la lutte contre les violences faites aux femmes qui a été traduite à travers la politique menée par Marlène Schiappa dès son arrivée au secrétariat d’État à l’égalité, dans la pénalisation du harcèlement de rue. Sa loi de « pénalisation de l’outrage sexiste » avait été dénoncée dès sa proposition en 2017 par des militantes féministes, pour lesquelles faire de la rue « la cible privilégiée des politiques publiques » était une manière de cibler spécifiquement des « populations socialement et racialement stigmatisées ».
Féminisme d’État et lutte contre le séparatisme : les musulmanes visibles en ligne de mire
L’usage de la rhétorique du droit des femmes a été, tout au long du quinquennat d’Emmanuel Macron, mobilisé pour appuyer différentes politiques portées par son gouvernement, islamophobes et anti-migrant·e·s notamment. Ainsi le projet de loi dit « séparatisme », dont de nombreux·ses militant·e·s et associations ont dénoncé qu’il légalisait notamment une islamophobie d’État.
En plus de cette volonté de légitimer des politiques racistes et islamophobes par un argumentaire féministe, les années du quinquennat d’Emmanuel Macron ont été marquées par une série de débats et de polémiques visant à exclure les femmes portant un voile de divers espaces de la vie publique.
On voit que ça commence à craquer avec les mobilisations, la prise de conscience, avec nos actions.
Le projet de loi contre le « séparatisme » a d’ailleurs permis à la droite sénatoriale de proposer un amendement similaire, à celui de 2019 sur le projet de loi de l’école de la confiance, pour interdire l’accompagnement des sorties scolaires par les femmes portant le voile. Un amendement sur lequel les parlementaires ne trouveront finalement pas d’accord, et qui disparaîtra du texte final.
Également, le début de l’année 2022 a vu naître un autre amendement de la droite autour de la loi sport, publiquement défendu par Marlène Schiappa, pour interdire le port de signes religieux dans les compétitions sportives. Sous la pression des mobilisations menées par le collectif les Hijabeuses, qui dénonçaient « une mesure discriminatoire« , visant à exclure les femmes portant le voile des compétitions sportives, l’amendement n’a finalement pas été adopté.
Darmanin, Dupond-Moretti : symboles de l’ancien monde face à la révolution féministe
Ce double aspect de la politique du gouvernement Macron, de contradiction entre des discours féministes et des pratiques insuffisantes ou à coutre-courant pour y répondre s’est cristallisée dans la nomination simultanée de Gérald Darmanin, accusé de viols et de harcèlement sexuel (finalement blanchi en septembre 2021 par la justice), au ministère de l’Intérieur et d’Éric Dupond-Moretti, connu pour ses prises de position antiféministes, en 2020, à la sortie d’un confinement marqué par une explosion des violences conjugales.
Alors que ces nominations ont suscité la colère des militantes féministes Lena Ben Ahmed note : « ça reflète la défaillance de tout un système, de nos institutions, que ce soit la justice ou la police. Concernant la police, le ministère de l’Intérieur a annoncé au début de l’année 2021 que 90% des femmes ayant porté plaintes en 2020 pour des faits de violences étaient satisfaites de leur accueil en commissariat/gendarmerie. 66% des répondantes de l’enquête ‘Prends ma plainte’ (contre-enquête lancée par Nous toutes, NDLR) font état d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre. On a fait cette enquête, mais c’était juste l’illustration des chiffres que l’on connaissait déjà, du ministère d’ailleurs, qui sont que 65% des femmes victimes de féminicides avaient porté plainte, avaient eu recours à la justice, avaient signalé les violences. »
« Une vague pour emporter le reste »
Du rôle des institutions policières et judiciaires dans le non-traitement des cas des violences conjugales et sexuelles aux politiques directement menées par le gouvernement en passant par les discours médiatiques portés par ses représentant·e·s, le bilan du quinquennat Macron en termes de lutte contre les violences faites aux femmes est très loin des attentes portées par ses promesses.
« On sent une grosse résistance du gouvernement et des pouvoirs publics. Mais plus on avance, plus ce sera compliqué de garder cette résistance », conclut Lena Ben Ahmed. « On voit que ça commence à craquer avec les mobilisations, la prise de conscience, avec nos actions, avec la place médiatique qu’on accorde aux questions des violences … Plus on avance, plus cette vague commence à emporter le reste. »
Eva Fontenelle