n Roussel est devenu le communiste préféré de la droite. À coups de saillies iconoclastes à gauche, il s’est cousu un costume médiatique singulier lors de la présidentielle. Une stratégie médiatique contestée dans ses rangs, et particulièrement chez les élu·es des quartiers populaires.
« On est en permanence en train de se défendre de ses déclarations, s’agace Josselin Aubry, adjoint à la mairie de Fresnes (Val-de-Marne), chargé de la lutte contre les discriminations. Nous, on est sur le terrain, ce sont des propos difficiles à justifier devant les associations. » Et d’évoquer une « ligne de fracture entre les quartiers populaires ».
Pour se démarquer de l’offre à gauche, et plus précisément de Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel a opéré un virage qui ne cesse de dériver. Les déboutés du droit d’asile ont, pour lui, « vocation à repartir et être raccompagnés chez eux ». Comme Manuel Valls en son temps, il revendique une gauche qui ne « serait pas laxiste » et qui saurait se saisir de la question de la « sécurité ».
Le plus catastrophique, c’est que cette stratégie tue toutes capacités de remettre des idées de gauche dans le débat politique.
Une stratégie payante médiatiquement – selon le décompte annuel de Regards, le secrétaire national du Parti communiste français (PCF) a été le quatrième homme politique le plus invité des émissions politiques et le premier à gauche en 2021 – mais perdante pour Josselin Aubry : « Le plus catastrophique, c’est que cette stratégie tue toutes capacités de remettre des idées de gauche dans le débat politique. »
Pour les élus des quartiers populaires, le coup de grâce a été donné à la dernière Fête de l’Huma lorsque Fabien Roussel a affirmé que la gauche ne devait pas être celle « des allocations et minima sociaux ». Une stigmatisation des bénéficiaires de ces aides alors que les parlementaires de gauche s’apprêtent à batailler sur le projet de loi durcissant encore les règles d’indemnisation de l’assurance-chômage.
La stratégie de la citadelle assiégée
« Il faut redonner du sens au travail et ne pas toucher aux allocs », lâche la présidente du groupe communiste au Sénat, Éliane Assassi. Comme d’autres, l’élue de Seine-Saint-Denis se refuse à attaquer frontalement le chef de son parti. « On sort de la Fête de l’Huma où on a réuni des milliers de personnes, c’est un moment politique unique et pour pas que ça crève, il ne faut pas casser Roussel », résume, sous couvert d’anonymat, une élue de banlieue parisienne pour expliquer ce silence.
Malgré les sorties intempestives de Fabien Roussel, rares sont celles et ceux à le critiquer publiquement. « Il adopte la stratégie de la citadelle assiégée. Une fois qu’il se fait taper dessus par tout le monde, il y a un réflexe de protection du chef dans le parti », analyse l’élu PCF Hadrien Bortot, secrétaire de section dans le XIXe arrondissement de Paris. Sa collègue de banlieue parisienne, citée plus haut, y voit une forme de « corporatisme » inhérent à la structure du parti.
« Beaucoup d’élus de banlieue n’ont pas voté pour Roussel au précédent congrès », souligne-t-elle. En 2018, pour la première fois de leur histoire, les communistes avaient voté majoritairement contre la ligne de la direction nationale. Porté par la fédération du Nord, dont il est originaire, Fabien Roussel l’avait emporté face au secrétaire national d’alors, Pierre Laurent.
Son arrivée à la tête du PCF fut la traduction de plusieurs malaises. À commencer par l’effacement du parti aux élections présidentielles de 2012 et de 2017, derrière la candidature de Jean-Luc Mélenchon. La relation entre La France insoumise (LFI) et les communistes a été cahoteuse, le chef de file de LFI allant même jusqu’à qualifier le PCF de « parti du vide et du néant ».
Mais cette poussée de la fédération du Nord a aussi traduit des dissensions en interne. Lors de la présidentielle de 2022, des élu·es de banlieue ont ouvertement affiché leur dissonance quant à la ligne autonomiste de Fabien Roussel. La députée communiste des Hauts-de-Seine, Elsa Faucillon, ou son collègue de Seine-Saint-Denis, Stéphane Peu, ont clairement affirmé vouloir soutenir Jean-Luc Mélenchon dès le premier tour du scrutin.
« Je n’ai pas fait campagne pour Fabien Roussel, mais pas contre non plus. Je suis resté en retrait », évacue Stéphane Peu. L’élu de Saint-Denis, voisin de Fabien Roussel sur les bancs de l’Assemblée nationale, ne fait pas mystère de ses désaccords. « Je vois bien la jouissance qu’il a à faire le buzz, mais on est dans une période où toutes les divisions de la société ne profitent qu’à ceux qui sont au pouvoir ou à l’extrême droite », dit-il.
Outre l’expression publique du secrétaire national du PCF, ce sont ses positions de fond qui sont mises en cause. Fabien Roussel revendique de vouloir séduire l’électorat du Rassemblement national (RN). Dans son livre Ma France heureuse, digne, solidaire (Le Cherche midi, 2021), il accuse les directions précédentes d’avoir « laissé au seul Front national la mainmise sur des sujets comme la nation, la souveraineté, la sécurité, le vivre-ensemble ».
« Le sujet, c’est la mobilisation des abstentionnistes, pas des électeurs du RN. La ligne de Roussel se distancie et se marginalise du rassemblement de la gauche et du peuple », tance Stéphane Peu. L’ancien candidat à la présidentielle de 2022 incarne un enjeu désormais ancien de la gauche : la reconquête d’un électorat populaire en dehors des grandes villes. Le député picard François Ruffin a imposé le débat dans son camp en appelant à ce que la « France périphérique » devienne une priorité de LFI au lendemain du premier tour de la présidentielle.
Les pauvres contre les pauvres
Cette reconquête électorale en a déjà poussé plus d’un à opposer les banlieues aux zones rurales. Les pauvres contre les pauvres. Une opposition fainéante qui épouse par ailleurs une rhétorique droitière et visiblement bien plus payante sur les plateaux télé que dans les urnes. En témoigne le faible score enregistré par Fabien Roussel au premier tour de la dernière présidentielle – il a recueilli 2,28 % des suffrages exprimés.
Le concept de « France périphérique », imposé par le consultant Christophe Guilluy, est largement battu en brèche dans le monde académique. « Fabien Roussel s’adresse à des gens qui n’existent pas », juge l’élu du XIXe arrondissement de Paris, Hadrien Bortot, pointant ce qu’il qualifie de « posture politique et idéologique “anti-woke”, assumée mais pas débattue en interne ».
« Ici, on n’a pas les populations qui sont ciblées par Fabien Roussel », constate encore le communiste, en évoquant le quartier populaire en voie de gentrification dans lequel il est élu. En l’absence de concertation interne sur la ligne politique du secrétaire national du PCF, l’incompréhension est totale. « Honnêtement, j’ai du mal à savoir à quel point c’est réfléchi et assumé ou calculé pour prendre une part de marché électoral », indique Hadrien Bortot.
Le maire de La Courneuve (Seine-Saint-Denis), Gilles Poux, esquisse une autre explication : « La connaissance de ce que sont les grands centres urbains le marque peut-être moins que la désindustrialisation des villes du Nord. » L’édile rappelle également que le PCF a déjà eu dans son histoire « des raidissements » mais aussi des stratégies de personnification et d’agitations médiatiques, notamment à l’époque de Georges Marchais.
Chaque fois que les dirigeants du PCF ont eu des raidissements, ils se sont coupés de la population et puis des forces progressistes.
« Chaque fois que les dirigeants du PCF ont eu des raidissements, ils se sont coupés de la population et puis des forces progressistes, prévient Gilles Poux. Quand on est révolutionnaire, et le PCF fait partie de ce courant, on ne gagne pas avec des raccourcis. » Le prochain congrès du parti, en avril, sera le moment pour clarifier « une ligne qui sur des aspects identitaires frôle le repli sur soi », assure-t-il.
« On arrive au bout de débats larvés au sein du PCF, et c’est dommage que cela finisse par une telle caricature de ce débat », appuie l’élu communiste de Fresnes, Josselin Aubry. Lui espère encore que le congrès permettra de redéfinir une ligne politique : « Aujourd’hui, on a quatre-vingts députés RN à l’Assemblée nationale. Il faut sortir de cette logique qui voudrait que le RN nous ait piqué un certain nombre de thèmes dont il faudrait se ressaisir et créer un renouveau dans la lutte contre l’extrême droite. »
Héléna Berkaoui et Olorin Maquindus