Hier soir comme beaucoup, j’ai dû me motiver avec la plus grande des peines à m’installer devant le débat de l’entre-deux-tours programmé depuis des mois par les médias et l’Elysée.Un débat attendu, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
L’un des rares que cette campagne fantôme aient pu nous offrir. L’extrême droite y jouant toujours les premiers rôles. Tantôt Zemmour, tantôt Le Pen, grâce à des chaînes de télévision, premières sur le direct, et premières aussi sur la surprise de voir les candidats racistes qualifiés.
Un dispositif journalistique devenue mutisme gêné et gênant
TF1 et France 2 ont choisi un dispositif minimaliste. Jusque dans le journalisme. Exit, Anne-Sophie Lapix jugée trop piquante, notamment par le camp de Marine Le Pen. Léa Salamé et Gilles Bouleau ont donc passé les plats tout au long de la soirée. Félicitant même les candidats pour leur bonne tenue du chronomètre. Les maîtres des horloges, pas ceux des faits.
Arbitres sans sifflets, ni cartons, les deux journalistes ne sont revenus sur aucun chiffre, aucune annonce, aucun bilan, du président en exercice et de la prétendante à l’Elysée.
Une situation souvent cocasse où les deux représentants de TF1 se font remarquer par leur silence, et leur moue gênée. Gênant pour nous aussi, perdus devant un spectacle où la bataille de mesures et de bilans fait rage, et où pas grand monde ne semble prendre pied, hormis le professeur Macron.
Toujours plus de chiffres, pour moins encore moins
de vision.
Toujours plus de chiffres, pour encore moins de vision. À l’heure où pour beaucoup d’entre nous, l’effroi de l’extrême droite ne s’estompe pas avec les sondages favorables à Emmanuel Macron. « Finito », « Ne dites pas de bêtises, je vous en prie », « Oh aïe aïe », enchaîne ainsi le candidat devant une Marine Le Pen, KO debout, après avoir été renvoyée au financement russe de son parti en 2014, dans un contexte de guerre en Ukraine.
Le Président sortant la joue cool bras croisés face à une extrême-droite qu’il a contribué à normaliser, et frise l’arrogance du donneur de leçon. Pour la confrontation sur le racisme, on attendra, malgré la priorité nationale que compte imposer Marine Le Pen en matière d’accès au logement, à l’emploi, aux prestations sociales. La stratégie est claire : on ne diabolise pas le fascisme, on démontre par le menu « l’incohérence » de son projet. La République et ses défenseurs machinistes acharnés apprécieront.
Sur toutes les thématiques abordées, c’est le même sentiment qui domine : le débat d’idées et prises de positions courageuses qu’exigent les enjeux de l’époque et de l’instant, ont été remplacées par les batailles de détails, dans lesquelles Marine Le Pen perd pied, malgré sa préparation.
Les femmes qui portent le voile, face auxquelles son gouvernement a imposé polémiques interminables pendant tout le quinquennat, servent finalement à Emmanuel Macron de marche-pied antifasciste.
Arrive enfin, le tant redouté triptyque Insécurité-Islam-Immigration, dans lequel Emmanuel Macron se présente comme le progressiste revendiqué, qui permettra aux femmes qui portent le voile de continuer à vivre, dans l’espace public, face à la proposition d’interdiction de son adversaire.
Celles face auxquelles son gouvernement a imposé polémiques interminables pendant tout le quinquennat, lui servent finalement de marche-pied antifasciste. Un peu facile, voire provocateur. À l’image d’une Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad, premier militaire victime de Mohamed Merah à Toulouse en 2012.
Pour les 15,6 millions de téléspectateurs rassemblés devant l’affiche, record de la plus faible audience, ce débat servira tout au plus de confirmation de l’incapacité gouvernementale de Macron.
En aucun cas, il ne marquera l’histoire, à l’inverse de celles de ceux brisés par ce quinquennat, et qui devront se résoudre à retourner aux urnes dimanche.
Jalal Kahlioui