BB : Comment est née la tribune « On s’en mêle » publiée le 17 mars dernier ?
Zouina Meddour : Avec tous les proches du réseau militant des quartiers populaires sur tout le territoire national, on a décidé il y a plusieurs semaines, au regard du contexte politique actuel et de la campagne électorale, de s’en mêler, de s’engager. On n’en peut plus de supporter ce racisme qui s’installe tranquillement, ouvertement. Une parole facho qui est devenue libre et qui s’est installée de toute part dans le paysage médiatique, et politique, de gauche, comme de droite.
On ne peut pas cracher comme ça sur les gens, les musulmans, les étrangers, les migrants, les quartiers, c’est insupportable. Et on a dit, on ne peut pas laisser faire parce que la situation est dramatique.
On ne peut pas cracher comme ça sur les gens, les musulmans, les étrangers, les migrants, les quartiers, c’est insupportable. Et on a dit, on ne peut pas laisser faire parce que la situation est dramatique. Donc on a décidé collectivement de réagir, d’agir. Et qu’à un moment donné on essaye de s’embarquer dans cette histoire, de faire en sorte que la question des quartiers soit véritablement prise en compte.
On tente le tout pour le tout. C’est la première fois que collectivement on décide de soutenir un candidat à une campagne électorale.
On a une responsabilité, donc chacun d’entre nous on prend la responsabilité de dire collectivement on s’engage, au-delà des deux échéances électorales qui arrivent.
« Parce que nous refusons que la jeunesse des quartiers soit sacrifiée. Nous acteurs politiques des #quartierspopulaires, sommes décidés à faire entendre nos voix et prendre nos responsabilités »#presidentielleonsenmele#Melenchon2dTour #montpellier https://t.co/nPqX0YO9Ci
— Présidentielle, On s'en mêle (@Onsenmele2022) March 17, 2022
De Montpellier, à Toulouse, en passant par l’Île-de-France, plus de 120 personnalités, issus des collectifs de l’immigration et des quartiers populaires, contre les violences policières, l’islamophobie, ont signé l’appel à soutenir Jean-Luc Mélenchon.
Et si le seul argument dans ces élections qu’ont trouvé nos « amis » politiques et médiatiques, c’est faire la chasse aux immigrés, la chasse aux pauvres. Nous on dit, le problème ce n’est pas celui-là. On va plutôt remettre les vrais problèmes au centre de la table. C’est le partage du pouvoir, le partage de l’économie, le partage des richesses, la redistribution. Nous c’est de ça dont on veut parler.
Le discours de La France Insoumise il a bougé sur un certain nombre de sujets : sur la question des violences policières, sur la question de l’islamophobie, même sur la question des quartiers.
A qui vous adressez-vous ?
Les habitants des quartiers populaires. C’est à eux qu’on parle et c’est eux qu’on veut toucher. Pour leur dire c’est important. Premier acte : Aller voter. Deuxième acte : On propose un espace où on construit ensemble. Ce qu’on souhaite c’est aller chercher tout ceux qui ne croient plus à la politique, ceux qui s’abstiennent, qui se sont éloignés de la politique, parce qu’il y a un véritable enjeu.
Il faut au moins pour qu’on réussisse à faire que la France Insoumise soit au deuxième tour, après on verra. On continuera à discuter. Mais au moins que cette parole raciste qui s’étale à longueur de journée puisse commencer à fléchir, et que des gens entendent que ce n’est plus possible. On ne peut pas laisser faire, il faut qu’on s’organise, il faut qu’on y aille.
Pour le moment, la traditionnelle séquence politique des quartiers n’a pas été abordée dans cette campagne, si ce n’est sous l’angle sécuritaire ou celui de l’islam. Cet élan peut changer la donne ?
Nous ce qui nous importe c’est de dire que ce n’est plus possible. Il faut que ça s’arrête. Vous ne pouvez pas faire sans les gens des quartiers. On revendique aussi nos engagements depuis plus de cinquante ans. Parmi nous, il y a des anciens du Mouvement des Travailleurs Arabes (MTA), en terme de générations, c’est plusieurs générations qui se sont réunies, qui ont décidé de se mettre ensemble pour dire ça suffit.
La réalité c’est que ça fait plus de trente ans qu’on nous promet des choses qui ne sont jamais faites.
On a un bilan cinglant avec tous les partis politiques. Parce que la réalité c’est que ça fait plus de trente ans qu’on nous promet des choses qui ne sont jamais faites. Mais on se dit : Il y a des choses qui bougent, il y a une situation critique, il y a un environnement qui est malsain, on n’a pas le choix. Nous c’est comme ça qu’on résonne.
Pourquoi avoir choisi La France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon ?
Le discours de La France Insoumise a bougé sur un certain nombre de sujets : sur la question des violences policières, sur la question de l’islamophobie, même sur la question des quartiers. Même si on considère que c’est très léger, que les propositions ne vont pas suffisamment loin, le pari que l’on fait, et la France Insoumise est d’accord, c’est que l’on essaye de construire quelque chose ensemble. On verra ce que nous dira l’avenir. On avait raison, tort, je ne sais pas, mais en tout cas notre démarche c’est celle-là.
Il y a d’autres partis d’extrême gauche, notamment le Nouveau Parti Anticapitaliste avec Philippe Poutou, ou le Courant Communiste Révolutionnaire avec Anasse Kazib. Qu’est ce qui vous a convaincus dans le programme de Jean-Luc Mélenchon pour appeler à soutenir sa candidature ?
Il y a deux choses. Il y a le programme, et il y a la capacité de la personne, de son équipe, de son projet politique, à être présent au deuxième tour.
Notre souhait, ce qui fait qu’on s’engage, c’est qu’on veut que ça change.
Je n’ai rien contre Anasse Kazib que je connais par ailleurs. C’est juste une réalité. Philippe Poutou, pas de souci avec. On connaît aussi les résultats, on connaît le score, et on sait aussi pertinemment qu’il n’accédera jamais au deuxième tour. Notre souhait, ce qui fait qu’on s’engage, c’est qu’on veut que ça change.
Ça a été l’objet de nombreuses discussions entre nous, parce que ce n’est pas simple de mobiliser tout un réseau pour dire ‘Allez on y va ! On soutient un candidat.’
Donc on regarde les uns et les autres, et dans le discours de La France Insoumise avec l’instance qu’ils ont créée (l’Union populaire), ils font appel y compris à des gens de la société civile. Il y a quelque chose, il y a un début d’organisation qui à priori pourrait permettre qu’on ai des discussions ensemble. C’est ce qu’il se passe d’ailleurs aujourd’hui.
Jusqu’à présent on a toujours dénoncé toutes les organisations politiques quelles qu’elles soient, parce qu’elles n’ont jamais véritablement respecté ce qu’elles nous promettaient, de faire avec les gens des quartiers, aucune. On tente le tout pour le tout. C’est la première fois que collectivement on décide de soutenir un candidat à une campagne électorale. On ne l’a jamais fait. D’ailleurs ça a été l’objet de nombreuses discussions entre nous, parce que ce n’est pas simple de mobiliser tout un réseau pour dire « Allez on y va ! On soutient un candidat ».
Justement, il y a beaucoup d’associations et de collectifs derrière cette tribune, comment avez-vous fait pour réussir à vous mettre d’accord ? Est-ce qu’il y avait des points de désaccord avec le programme de La France Insoumise, et avez-vous discuté de certains points avec eux ?
On a des expériences différentes et on peut avoir aussi des nuances sur notre manière de nous engager dans cette démarche. Mais par contre on est tous d’accord sur le fait qu’il faut qu’il se passe quelque chose pour que ça change, sinon l’avenir dans ce pays va être de plus en plus difficile. Il l’est déjà. Ça fait plus de trente ans que l’on subit des crises. Mais là on se dit que ce n’est pas possible parce que la situation s’aggrave de jour en jour.
Alors qu’il refusait d’employer le terme d’islamophobie, Jean-Luc Mélenchon est l’un des candidats qui se fait le plus remarquer dans la défense des citoyens musulmans face à la stigmatisation, ici sur le plateau de BFM TV en novembre 2021.
On accepte de discuter avec eux, parce que malgré tout le constat que l’on fait c’est qu’ils ont bougé sur certaines positions. L’islamophobie par exemple, il y a plusieurs années de ça, ils n’étaient pas au clair. Aujourd’hui ils ont un discours clair, qui est pour nous plus intéressant, parce que enfin on reconnaît quand monsieur Mélenchon s’exprime dans les médias, partout sur la question de l’islamophobie en disant ça suffit. C’est bien, parce que ce n’est pas tout le monde qui produit ce discours là.
On considère qu’à un moment donné faire avec les gens des quartiers, c’est leur donner une place, c’est-à-dire avoir des candidatures qui représentent plus la population dans son ensemble. Ce n’est pas le cas aujourd’hui…
Par contre, on leur a parlé par exemple du choix des candidats aux législatives. On considère qu’à un moment donné faire avec les gens des quartiers, c’est leur donner une place, c’est-à-dire avoir des candidatures qui représentent plus la population dans son ensemble. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, on est critiques par rapport à ça. On continue. Quand on a discuté avec eux sur le programme pour les quartiers populaires, on leur a dit il n’y a pas de problème avec ce qui est écrit, mais du coup ce n’est pas la hauteur, ce n’est pas au niveau, c’est léger.
Nous on va rester ce que l’on est. C’est notre ADN. On va continuer à dire les choses, à tenter d’avancer. Et les critiques qu’il faut formuler, on les formulera, ça ne changera pas.
Donc ça c’est des discussions que l’on a. Et dans la discussion aussi, ce qu’on leur a dit c’est qu’on fait un bout de chemin avec vous, mais nous on reste maître de ce qu’on décide, de nos organisations, de la manière dont on pense les choses, y compris l’appel. L’appel il peut déranger sur la manière dont on l’a formulé, mais c’est notre marque de fabrique. Nous on va rester ce que l’on est. C’est notre ADN. On va continuer à dire les choses, à tenter d’avancer. Et les critiques qu’il faut formuler, on les formulera, ça ne changera pas.
C’est un pari que l’on fait. On verra, peut-être que l’on va se planter, mais en tout cas on le fait. On ne le fait pas pour nous, on le fait pour les jeunes générations.
Sur le programme de manière générale, c’est plutôt un programme qui est structuré, qui est cohérent, qui donne envie. Après il y a encore des choses à affiner. Nous on dit, il y a peut-être moyen de faire quelque chose avec eux. C’est un pari que l’on fait. On verra, peut-être que l’on va se planter, mais en tout cas on le fait. On ne le fait pas pour nous, on le fait pour les jeunes générations. Parce qu’aujourd’hui l’espoir se referme et on ne veut pas que les jeunes n’aient pas d’avenir, pas de plaisir, pas de projet et qu’ils continuent à être maltraités de cette manière là, dans tous les domaines.
Comment votre alliance avec la France Insoumise va se matérialiser concrètement ?
On a négocié de rester complètement autonome dans notre démarche, dans la manière de faire campagne, dans la manière de nous organiser et dans la manière de parler aux gens. On organise une rencontre nationale des quartiers les 26 et 27 mars, à Montpellier. Donc là l’idée c’est de parler de notre engagement, de ce que l’on fait, mais c’est aussi commencer à dresser des perspectives pour après. Une fois que les élections seront passées, nous ce que l’on veut c’est pouvoir reconstruire quelque chose avec ceux qui le voudront, et ceux qui ont envie.
C’est une démarche collective, on définit tout ensemble.
Ils ont créé l’instance du parlement de l’Union Populaire, où ils ont fait appel à différentes personnalités issues de la société civile, et pas que. On est deux à intégrer le Parlement de l’Union Populaire. C’est Salah Amokrane (militant associatif à la tête du mouvement politique Motivé-e-s à Toulouse), et moi-même, qui avons été désigné pour représenter le réseau. Et c’est cette instance qui devrait perdurer pour continuer à réfléchir à travailler sur la manière d’être ensemble, d’agir, de faire des propositions. Pour que les conditions s’améliorent pour les gens, pour tout le monde.
Propos recueillis par Anissa Rami