« Ce programme peut réunir une union populaire large et puissante sur des solutions plutôt que sur des détestations et des exclusions. » L’introduction du livre, écrite par Jean-Luc Mélenchon, donne le ton d’un programme qui a été revisité, mais dont les idées fondamentales (VIe république, planification écologique, partage des richesses, etc.) ont permis au parti de la France Insoumise d’atteindre un score de 19,58% aux dernières élections présidentielles, en 2017.
« Il y a eu plusieurs changements significatifs et un gros travail d’actualisation. Nous sommes passés de 7 à 14 chapitres et de 300 propositions à plus de 600 aujourd’hui », explique Clémence Guetté avant de préciser que le programme de 2021 intègre des revendications de mouvements sociaux qui ont marqué le pays ces dernières années, tels que #MeToo, les gilets jaunes ou encore les mobilisations contre les violences policières.
À l’aube des élections de 2022, le BB propose une lecture, non-exhaustive, de propositions tirées de l’Avenir en commun et qui ambitionnent de changer le devenir des quartiers populaires. « On veut faire un grand plan de lutte contre les discriminations, notamment sur les questions de l’emploi, du logement, et de l’école. Là où en fait, il est faux de dire que l’on a tous les mêmes chances d’accès », clame à ce propos la jeune coordinatrice du programme.
Une bifurcation écologique pour tous ?
Les chapitres trois et quatre de l’Avenir en commun sont dédiés à l’écologie, à l’organisation du territoire et aux mesures rendant cette bifurcation écologique possible pour tous et pour toutes. Mais comment accompagner les quartiers populaires dans cette transition lorsque d’autres problématiques peuvent paraître plus urgentes, notamment pendant une crise sanitaire qui s’éternise ?
Il faut d’abord arrêter avec la politique de culpabilisation des gens. Nous souhaitons mettre les responsabilités au niveau de l’État
Dans un reportage de Libération datant du 25 septembre 2020, Mohamed Mechmache, fondateur du collectif Aclefeu à Clichy-sous-bois, explique pourtant que ce serait une erreur de penser ainsi. Il dénonce notamment les « inégalités écologiques » qui touchent les quartiers en insistant sur le fait que « l’urgence sociale va de pair avec l’urgence environnementale ». Parmi elles, les questions du transport, du logement, de l’énergie, et de la nourriture biologique sont évoquées.
Interrogée sur la question, Clémence Guetté souligne : « Il faut d’abord arrêter avec la politique de culpabilisation des gens. Nous souhaitons mettre les responsabilités au niveau de l’État et ensuite, accompagner le mode de vie de chaque personne et notamment dans les quartiers, face aux difficultés qui peuvent être rencontrées. »
Dans le programme de la France insoumise, l’alimentation est une préoccupation étroitement liée à l’écologie. Il est notamment question d’un blocage des prix d’une nourriture de qualité issue d’une agriculture française ainsi que d’une revalorisation des commerces de proximité.
Il faut que ce soit attractif en termes de dessertes, de temps – il faut des transports plus réguliers – et de prix. La gratuité est envisageable.
Concernant les transports, l’une des idées les plus importantes du programme s’illustre par l’organisation du territoire : « Le maillage des transports en commun des services publics, notamment dans les quartiers populaires, mais c’est aussi vrai dans les départements ruraux, doit permettre que chacun, chacune, puisse se trouver à 15-30 minutes maximum pour arriver à l’école, dans une gare, dans un hôpital ou un centre de santé de proximité, à la poste, et dans tous ces lieux que l’état doit assurer comme services publics minimum aux gens », continue la secrétaire générale du groupe France Insoumise à l’Assemblée nationale en appuyant son propos d’un exemple personnel : « Aujourd’hui, vous habitez dans les quartiers nord de Marseille, qui est un endroit que je connais bien, vous devez d’abord marcher 35 min, puis prendre un bus, puis un second et vous mettez 1h30 à vous déplacer si vous avez un rendez-vous ou autre au centre de Marseille, ce n’est pas acceptable. »
« Il faut que ce soit attractif en termes de dessertes, de temps – il faut des transports plus réguliers – et de prix. La gratuité est envisageable. C’est déjà mis en place dans certaines villes donc c’est également un objectif à atteindre », complète-t-elle sur cette thématique.
En matière de logement, nous savons qu’en France, près de 5 millions de logements sont considérés comme des « passoires énergétiques » et que 12 millions de personnes ont froid chez elles. Pour pallier cette crise sociale et écologique, LFI souhaite mettre en place « une politique volontariste de rénovation de ces logements passoires et insalubres ».
Il est également question de plus de logements sociaux, d’un encadrement des loyers dans le parc privé, et d’un permis de louer délivré par les pouvoirs publics aux propriétaires afin de lutter contre les logements qui ne sont pas aux normes et contre les situations précaires.
Travail : « Des actions de lutte contre la discrimination »
Selon les données 2018 de l’Observatoire national de la politique de la ville, le taux de chômage dans les quartiers dits « prioritaires » était d’un peu plus de 23% contre 8,9% dans les villes environnantes. De plus, on a pu lire dans Libération qu’à l’âge de la retraite, 25% des Français les plus pauvres étaient déjà morts.
Pour lutter contre ce drame social silencieux, l’Avenir en commun propose, entre autres, des propositions comme une garantie de l’emploi par l’État employeur sur des actions de service public, pour les chômeurs de longue durée, 32 heures pour les métiers pénibles ou de nuit, un SMIC revalorisé à 1400 euros et la retraite à 60 ans.
La question des CV anonymes peut être étudiée, et plus largement, il faut des sanctions quand on constate qu’il y a un problème de racisme ou de discrimination.
Qui dit travail, dit aussi discrimination et notamment, à l’embauche, pour nombre de candidats issus des quartiers populaires. Récemment, une étude menée par la DARES indique qu’« en moyenne, à qualité comparable, les candidatures dont l’identité suggère une origine maghrébine ont 31,5 % de chances de moins d’être contactées par les recruteurs que celles portant un prénom et nom d’origine française. »
Clémence Guetté a déclaré à ce sujet : « Sur la question de l’emploi, je pense déjà qu’il faut mettre en place des actions de lutte contre la discrimination dans chaque entreprise. La question des CV anonymes peut être étudiée, et plus largement, il faut des sanctions quand on constate qu’il y a un problème de racisme ou de discrimination, ce qui implique recruter des inspecteurs du travail, par exemple, parce qu’il n’y en a plus assez dans notre pays et qu’ils sont surchargés. »
La gratuité de l’école et plus d’enseignants
Concernant l’école, LFI souhaite « la gratuité réelle de l’école pour tous les enfants » qui comprendrait la cantine, les transports et les activités périscolaires. Il est également question des manuels scolaires et de fournitures sans marque pour éviter toute forme de discrimination. « Il y a des enfants, on l’a vu durant le quinquennat Macron, qui se sont fait sortir de l’école parce qu’ils n’avaient pas pu payer la cantine et ça, c’est scandaleux », explique Clémence Guetté.
Pour éviter que des élèves décrochent au fur et à mesure de leur scolarité, cela passe aussi par le recrutement d’enseignants et par la revalorisation des salaires.
Continuant sur la question de l’éducation, la conseillère met en avant qu’« il y a des moyens à mettre en priorité en place dans certains quartiers et donc là, il faut arrêter avec juste l’incantation de la politique d’éducation prioritaire, on sait qu’il faut construire de nouveaux établissements, qu’il faut réduire les effectifs dans les classes car les enfants sont trop nombreux et il faut commencer avec les quartiers prioritaires, il faut mettre davantage de moyens sur le rattrapage scolaire pour éviter que des élèves décrochent au fur et à mesure de leur scolarité, et tout cela passe aussi par le recrutement d’enseignants et par la revalorisation des salaires. »
Un défi de taille, pour rappel, d’après la cour des comptes en 2017, en moyenne un élève de Seine-Saint-Denis perd l’équivalent d’une année sur la totalité de sa scolarité de la maternelle jusqu’au bac à cause de l’absentéisme des professeurs.
La laïcité : “On a décidé de prendre fermement position”
Dans une étude menée en 2019 par Viavoice pour l’Observatoire de la laïcité, 67% des répondants estiment que « la laïcité est trop souvent instrumentalisée par les personnalités politiques ». Une forte proportion (60%) trouve que trop souvent, dans les médias ou le débat public, « on ne parle de la laïcité qu’à travers la polémique », qu’« on n’explique pas assez ce qu’elle est » (52%), ou encore qu’« on ne parle de la laïcité qu’à travers l’islam » (49%).
Si Jean-Luc Mélenchon a connu une évolution sur la question de l’islamophobie, allant de contester le terme à comparer le voile à un « chiffon sur la tête », la prise de position du programme et du parti est, quant à elle, très claire sur la question de la laïcité : « on a décidé de prendre fermement position pour dire qu’on n’acceptera pas que des gens soient stigmatisés dans le pays. On veut vivre en paix en France, avec tous nos concitoyens et concitoyennes quelle que soit leur religion. »
Rétablir la confiance entre la police et la population
Selon Franceinfo, en 2019, l’IGPN (Inspection générale de la police nationale, NDLR) « s’est vu confier 1 460 enquêtes, dont 868 pour violences volontaires » et « une trentaine d’enquêtes étaient en cours en 2019 pour faits de racisme. Autre indication, fournie cette fois par le Défenseur des droits : 80 % de jeunes Noirs ou Arabes ont été contrôlés par la police entre 2012 et 2017. C’est beaucoup plus que pour le reste de la population (16 %). »
« Comme point de lutte prioritaire, il y a, par exemple, la relation police/population qui est aujourd’hui fortement problématique », indique Clémence Guetté. Pour lutter contre ce problème et pour « rétablir une certaine confiance », le programme de la France Insoumise propose, par exemple, la mise en place d’un récépissé de contrôle d’identité par les forces de l’ordre pour lutter contre le contrôle au faciès, l’établissement d’une police de proximité, le démantelage des BAC (Brigade anti-criminalité, NDRL) et BRAV-M (Brigade de répression de l’action violente motorisée, NDRL) ou encore l’arrêt « d’une politique du chiffre ».
Au regard des violences policières, LFI propose l’interdiction des techniques de mobilisations létales et la création d’une commission « Vérité et Justice », « cela permettra d’enquêter sur les morts, sur les personnes mutilées, pour rétablir les responsabilités et pour pouvoir sanctionner ».
Politique : changer les règles du jeu
Interrogée par le BB sur la question de l’abstention dans les quartiers, Clémence Guetté déclare : « Il y a la question de changer les règles du jeu. Quand on a toujours l’impression de se faire avoir, il y a un moment où on arrête de se déplacer aux urnes. Pour ça, on a pensé à des outils : pouvoir révoquer un élu dont on est pas content, passer à une 6e République en rassemblant une assemblée constituante, comptabiliser le vote blanc, ouvrir le droit de vote dès 16 ans pour donner des habitudes démocratiques… » On retient aussi une autre promesse : le droit de vote aux étrangers, grand oublié de la gauche gouvernementale des années Hollande.
Elle poursuit : « On constate un éloignement. Il faut aussi changer l’image de l’implication politique, c’est quelque chose auquel on pense beaucoup, via notre implication sur les réseaux sociaux, par exemple. De même pour les caravanes de l’union populaire que l’on fait dans les quartiers, c’est aussi l’occasion d’avoir des discussions politiques avec les gens que l’on rencontre. Se rendre sur le lieu, c’est aussi redonner confiance et encourager la discussion politique quotidienne et donc on s’y investit fortement », conclut la coordinatrice du programme sur cette dernière thématique qui va faire de plus en plus débat à mesure que l’on s’approche du scrutin.
Camélia El Cadi