Fenda Gassama s’est longtemps sentie illégitime ou alors avec une histoire complexe qui ne cadrait pas avec les raccourcis. Ces schémas qui s’articulent dans la tête de certains quand ils rencontrent une personne noire qui a passé une partie de sa jeunesse en Seine-Saint-Denis.
Nous sommes en 2005 et cela fait 4 ans que Fenda Gassama, Congolaise, a rejoint sa mère en France, d’abord dans le 18ème arrondissement de la capitale, puis à Bobigny. La lycéenne étudie à Bondy quand éclatent les révoltes consécutives aux décès de Zyed Benna et Bouna Traoré le 27 octobre. Nous sommes aussi au début des conventions CEP qui visent à favoriser l’entrée des lycéens issus de milieux populaires à SciencesPo.
J’ai été touchée humainement par 2005, il y avait des camarades qui habitaient à Clichy et qui arrivaient au lycée en larmes à cause de tout ce qui se passait.
Dans les médias, on débat du concept de ‘discrimination positive’ et Fenda Gassama a du mal à trouver totalement sa place. « J’ai été touchée humainement par 2005, il y avait des camarades qui habitaient à Clichy et qui arrivaient au lycée en larmes à cause de tout ce qui se passait. Mais il n’y avait pas encore de questionnements politiques. »
Quand les professeurs m’ont encouragé à passer les oraux pour SciencesPo, j’ai refusé et je revois leurs visages, ils ne comprenaient pas.
Bien sûr, Fenda s’intéresse à la situation géopolitique de l’Afrique ce qui lui permet de réaliser ce qui la rapproche mais aussi ce qui l’éloigne de la majorité de ses voisins. Et sa ‘différence’ aura des conséquences sur sa trajectoire. « Quand les professeurs m’ont encouragé à passer les oraux pour SciencesPo, j’ai refusé et je revois leurs visages, ils ne comprenaient pas. Pareil quand je suis allée à quelques réunions du Bondy Blog à ses débuts, je n’ai pas poursuivi parce que je ne me sentais pas légitime, tout était complexe pour moi à ce moment-là et je ressentais que mon histoire ne s’inscrivait pas dans tout ça ».
Son histoire, elle commence à Kinshasa où elle naît. Fenda grandira ensuite entre la RDC et la France, dans un environnement paisible, une « belle petite enfance » entourée d’une grande famille et de parents commerçants. En 1997, le changement de régime dans le pays avec l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila provoque le déclassement social de sa famille. C’est ce qui justifiera en partie l’installation de sa mère en France et sa venue définitive dans l’Hexagone.
Reims, le retour du sens
C’est en 2010, à son arrivée à Reims, que son parcours professionnel prendra plus de sens et que disparaîtra ce sentiment d’illégitimité aussi. Par les études d’abord, celle qui est diplômée et qui a commencé sa carrière dans les ressources humaines décroche un master 2 en management des entreprises sociales et solidaires tout en élevant, avec son compagnon, deux enfants en bas âge.
Ce diplôme, c’est pour travailler dans les quartiers populaires qu’elle a voulu l’obtenir. Ensuite et surtout par les relations qu’elle noue à Croix-Rouge qu’elles soient amicales ou professionnelles notamment dans le cadre de son emploi de chargée de développement local à l’AFEV (Association de la Fondation Étudiante pour la Ville), basée dans le quartier. Elle est en prise avec les questions de décrochage scolaire, œuvre pour l’ouverture culturelle et rencontre inévitablement de nombreuses familles du quartier. « Les adolescents de Croix-Rouge d’aujourd’hui ce sont ceux que j’ai accompagnés en primaire ».
La boussole et le territoire
Depuis l’adolescence, elle raconte avoir déconstruit, pensé plus de choses et avoir plus de recul sur elle, son parcours, son histoire. Aujourd’hui, Fenda gère « la Boussole » un lieu en plein cœur du quartier, ayant une mission d’éducation populaire et visant à rendre la culture accessible à tous. Créé à l’initiative de trois associations (La Comédie, Césaré et NovaVilla), le lieu est mis à disposition par un bailleur social privé et se veut tourné vers les habitants.
C’est l’humain qui m’attache au quartier, je vois des milliers de Fenda Gassama à travers les petites filles de Croix-Rouge et j’en vois des plus fortes que moi.
Dans un quartier où les demandes de locaux par les habitants sont nombreuses, Fenda ne cache pas qu’il y a pu y avoir de la méfiance qui a été désamorcée « ça crée des tensions quand on voit des lieux ouvrir par des associations du centre-ville alors qu’il y a une demande dans le quartier mais j’ai joué un rôle de médiation, j’ai discuté avec les personnes demandeuses de salles et les revendications sont légitimes que ce soit sur ça comme sur l’emploi. Ce ne sont pas les pouvoirs publics qui ont ouvert ce lieu ».
Fenda connaît tous les acteurs de Croix-Rouge et raconte n’avoir jamais eu de difficultés à s’intégrer et à échanger avec les principaux acteurs du quartier, quels qu’ils soient. « C’est l’humain qui m’attache au quartier, je vois des milliers de Fenda Gassama à travers les petites filles de Croix-Rouge et j’en vois des plus fortes que moi ». Cette fois, Fenda se reconnaît dans l’environnement qui l’entoure.
Latifa Oulkhouir