Si vous pensez ne pas le connaître, sachez que vous avez déjà posé les yeux sur son travail, même sans le savoir. Depuis plusieurs années, Fifou s’est imposé dans le paysage du Rap français. Pourtant, rien ne prédestinait le jeune Fabrice de son vrai nom à cette position. Pour le Bondy Blog, le photographe et directeur créatif revient sur son parcours et ses aspirations.
« Je suis un véritable produit de banlieue, et j’aurai toujours un lien très fort avec la banlieue parisienne », raconte Fifou. Fabrice pousse ses premiers cris à Chelles dans le 77. Issu d’une famille de classe moyenne, Fifou connaît une enfance rythmée par le basket, la lecture et le hip-hop.
Le basket, le dessin et le rap
Féru de bande dessinée, il ne se privait pas de piocher parmi les livres que son père empruntait à la bibliothèque municipale. « Mon père était un fou de bande-dessiné. Il allait à la bibli toutes les semaines pour prendre entre dix et vingt BD que je dévorais derrière ! Mes fondations sont les BD belges avec Tintin ou Uderzo avec Astérix », se souvient le photographe.
C’est donc logiquement que le jeune Fabrice devient un amateur de dessin. Il passe ses samedis après-midi à errer à la bibliothèque de Chelles à son tour. Enfant, il s’essaie au dessin en reproduisant les planches des BD et finit par en faire lui-même. « J’étais un fou de ça ! J’étais un élève assez moyen à l’école, ni trop bon ni trop mauvais. Mais j’avais un goal, c’était de devenir dessinateur de BD », raconte-t-il.
Mais avant de faire ses armes dans la prestigieuse école de dessin parisienne Olivier Serre, Fifou est piqué par le virus du hip-hop. Passionné de basket, il suit avec attention la NBA et arpente les playgrounds de l’est parisien en compagnie de quelques amis de la cité des Bosquets à Montfermeil, non loin de son 77.
Quand je voyais leur dégaine, j’avais l’impression qu’ils sortaient d’un clip. Ils m’ont éduqué musicalement
Nous sommes au milieu des années 90 et l’oreille du jeune Fabrice est marquée par l’emblématique « Enter to the 36th Chamber » du Wu-Tang-Clan. « À cette époque, j’étais à fond dans le basket. J’avais une équipe incroyable et composé de kaïras (rires). Et quand je voyais leur dégaine, j’avais l’impression qu’ils sortaient d’un clip. Ils m’ont éduqué musicalement. Quand je suis en quatrième, je découvre le Wu-Tang et surtout le clip de C.R.E.A.M », explique-t-il avec une pointe de nostalgie.
« Je me reconnais immédiatement dedans ! Je découvre un univers flamboyant, un aspect collectif avec leurs clips où ils sont 40 000. Je retrouvais ça avec mes gars du basket. À ce moment-là, je veux être comme les mecs du Wu-Tang ! » Fabrice le sait, c’est dans le monde du hip-hop qu’il veut évoluer. Sa bascule est en somme une résultante logique au regard de sa jeunesse. « Je pense que la mentalité de banlieusard, et j’englobe les quartiers pavillonnaires, il y a un côté collectif. Avec Wu-Tang, il y avait ce truc-là. Quand tu les voyais, tu avais l’impression d’être dans une MJC (rires). ».
« Quand tu as 20 ans, le mot peur est à expulser de ton esprit »
Auréolé d’un baccalauréat littéraire, tout s’enchaine pour Fabrice. Il intègre la prestigieuse école Olivier de Serres dans le 15ᵉ arrondissement de Paris. Le début de la débrouillardise et des petites combines. Fabrice loue une chambre de bonne dans la capitale, et commence à tutoyer la scène rap parisienne. « C’est le début de tout ! Je passais mes nuits chez Générations, je proposais mes services à des rappeurs ou je leur vendais certains de mes dessins qu’ils trouvaient stylés », se rappelle-t-il.
Quand il n’est pas en cours, Fifou est à un concert, chez un média, dans le but d’approcher un artiste pour collaborer avec lui. C’est à cette même période qu’il développe une certaine appétence pour la photographie. « À la fin de mon BTS, je me retrouve à faire un stage dans le magazine Radikal, qui était connu pour être ultra-graphique. À cette époque, quiconque travaillait dans la presse hip-hop avait un côté tout-terrain. »
Tout était fait à l’arrache, la seule formation est celle de la street
« Tu n’as pas de gros budgets, mais on peut te demander du jour au lendemain d’interviewer un artiste et de le photographier. Tout était fait à l’arrache, la seule formation est celle de la street », revendique-t-il.
À l’issue de son stage, Fifou décide de se consacrer pleinement à la photographie. À cette époque, l’industrie du disque est crise et le rap ne vend pas. Ce qui n’a pas pour effet de le décourager, bien au contraire. « Quand tu as 20 ans, le mot peur est à expulser de ton esprit. Ça n’empêche pas d’être anxieux ou de se remettre en question. Ce que j’aime dans cette mentalité « entrepreneur » est qu’il faut toujours être optimiste. Quand j’avais vingt ans, j’étais persuadé que le monde était à moi, tous les rappeurs que j’écoutais véhiculait ce message. J’étais dans mon 9 m², j’avais les chiottes sur le palier, et je gagnais 200 balles par mois, mais j’étais persuadé que ça allait marcher. »
Un artiste désormais incontournable
L’optimisme comme moteur, c’est ce qui finira par payer pour le photographe. Fifou devient la personne à contacter pour tout artiste souhaitant une pochette d’album qualitative. Commençant par concevoir des pochettes pour des artistes undergrounds avant de travailler avec des artistes mainstream.
La politique n’est pas un domaine dans lequel je suis calé, mais je considère qu’il faut prendre position
À ce jour, le photographe a shooté toutes les têtes d’affiches du rap game. N’hésitant pas à prendre position avec certaines pochettes en y dissimulant des messages politiques. « J’aime faire passer des messages dans mes covers. La politique n’est pas un domaine dans lequel je suis calé, mais je considère qu’il faut prendre position. Surtout qu’on voit l’Extrême-droite arriver, il faut être présent », explique-t-il.
Le photographe est devenu incontournable au point même de collaborer avec des marques. Fifou est également désireux de se lancer dans la réalisation et peaufine l’écriture de quelques courts-métrages. Et il tarde à tous les amateurs de hip-hop de voir ce que Fifou va leur concocter.
Félix Mubenga