« Militant antiraciste. Vulgarisateur de l’actualité politique. Papa à plein temps. Professeur des écoles en herbe. » Voilà la biographie de Teddy sur son compte Instagram. Enseignant et militant antiraciste, il revendique son identité comme plurielle. Et son contenu est à son image. On pourrait même parler du monde de Teddy.
Voir des profs sur Insta est devenu monnaie courante. Mais un prof qui parle d’actualité politique et du quotidien de ses élèves, ça ne court pas les rues. Teddy assume. Il ne veut pas faire le donneur de leçons sur les pédagogies à mettre en place. Et surtout, il ne veut pas se faire l’image du prof cool sur les réseaux. Lui, il dénonce.
« Nous devons éduquer (…) les aider à penser par eux-mêmes »
Quand on lui demande s’il est un “prof militant”, il hésite. « On a un métier qui nous oblige, a minima, à partager nos valeurs de près ou de loin avec des élèves », explique-t-il. Être enseignant, ce n’est pas que d’apprendre à lire et à compter. « On ne peut pas dire qu’un prof va venir juste pour faire un cours de français, de mathématiques. Nous devons éduquer. Ça passe aussi par l’éveil et l’émancipation, les aider à penser par eux-mêmes », défend Teddy.
Même auprès de sa classe actuelle de CP, il prend le temps d’expliquer les conduites à tenir. Si un enfant touche les fesses d’un autre, le cours sera interrompu pour faire un point sur la notion de consentement. De même pour les remarques à caractère raciste, qui peuvent être banalisées pour les tout-petits. Il expliquera, « avec les mots adaptés », pourquoi ces remarques sont problématiques.
Enseigner, « c’était le moment ou jamais »
L’éducation a toujours été son truc. Pendant ses études, il s’impliquait déjà dans un dispositif pour élèves décrocheurs et aidait les élèves de lycée professionnel à trouver des stages. Pourtant, sa carrière n’a pas débuté dans l’enseignement. Engagé dans le militantisme politique depuis 2011, il devient collaborateur dans un cabinet en 2016.
Une expérience qu’il décrit en demi-teinte, entre nostalgie et déception. Suite à une alternance politique, fin 2020, il se voit contraint de quitter sa fonction. Il avait été le « bon petit soldat », mais les désillusions étaient nombreuses. Ce chômage qui lui tombe dessus l’invite à réfléchir. Et pourquoi pas l’enseignement ? Le voilà lancé. Il sera professeur contractuel dès la rentrée de septembre 2021.
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Teddy enseigne à Saint-Denis. Il était coordinateur d’un dispositif pour élèves allophones (UPE2A) au collège pendant deux ans, et désormais, il enseigne en école élémentaire. Ces expériences l’ont confronté à la réalité de la vie des élèves de REP et REP+. Il parle d’une situation classique qui le révolte. Quand un prof n’est pas remplacé, les élèves deviennent des choses à caser à droite à gauche. Parfois, il y en avait 5 ou 6 qui devaient suivre le cours assis par terre. « Il faut leur faire comprendre que ce n’est pas normal. »
Instagram, journal intime engagé
La création de son compte se fait dans la foulée de son entrée dans l’enseignement. Il était déjà habitué aux pages Facebook militantes. Mais, il voulait montrer sa propre patte. À l’origine, il souhaitait s’exprimer sur les questions liées au racisme, avec un accent sur les vécus des personnes ultramarines. D’où le nom de son compte, @ti-boug-bumidom.
Le Bumidom était un programme qui incitait les Antillais et les Réunionnais à venir travailler, puis vivre, dans l’Hexagone. Il fait partie des « enfants de Bumidomiens », et cela constitue une expérience à part entière. Partager sur ce sujet représente une revendication de son identité.
De fil en aiguille, il sent l’envie d’élargir sa panoplie. Il affirme que « d’autres sujets [lui] tenaient à cœur ». Et il y a d’autres choses qui composent sa vie et qu’il désirait partager. Fleurissent alors des posts sur l’éducation, la parentalité et l’actualité politique, souvent sous un angle antiraciste. Ce qui, pour lui, le « différencie des autres comptes antiracistes ». C’est vrai, nul autre compte ne lui ressemble. L’immersion dans ce monde de Teddy nous rappelle l’époque des blogs. Il favorise l’écrit, plutôt que la vidéo.
Et il sélectionne avec soin ce dont il va parler. Il se tient à « un fil rouge ». Tout est relié pour lui. En une semaine, il a débunké les combines électorales, il a expliqué son abandon des partis politiques et analysé le monde des masculinistes. Ces sujets renvoient à d’autres qu’il a déjà traités. On a de quoi approfondir chaque thématique, avant qu’elles ne s’imbriquent elles-mêmes.
Une parole qui dérange
Être engagé sur Instagram, ce n’est pas de tout repos. Il a récemment posté un extrait de l’ancienne émission Strip Tease qui mettait en avant l’islamophobie au sein d’une association d’aide alimentaire. Suite à sa diffusion, il dénombre pas moins de 3 ou 4 messages haineux par heure. « On sait très bien que quand on s’expose sur les réseaux, surtout sur ces sujets-là, on aura des masculinistes, des racistes qui vont venir », relativise-t-il. Pour lui, le pire, ce sont les attaques dans son « propre camp ». Il a déjà été taxé d’antisémite suite à une réaction à un tweet d’Anne Hidalgo qui critiquait Jean-Luc Mélenchon. Alors même que Teddy sensibilise lui-même sur l’antisémitisme…
Ça commence un peu à bouger, ça reste très insuffisant
À l’école aussi, il est dur d’être engagé et de constater l’inefficacité du système pour traiter des questions liées au racisme, au sexisme ou au harcèlement. Sa mission salvatrice fait écho à son vécu. Teddy ne s’en cache pas, l’école a été le théâtre de harcèlement et du racisme pour lui. Il parle des violences qu’il a subies de la part de ses professeurs sur Instagram. En 2024, les choses tardent toujours à évoluer et son vécu demeure similaire à celui d’autres jeunes élèves. « J’ai voulu témoigner de ce que j’ai vécu et de ce que d’autres peuvent vivre aussi. Je parle du fait qu’il n’y a pas forcément de réaction du côté de la communauté éducative. Ça commence un peu à bouger, mais ça reste très insuffisant. »
Une parole qui fait écho
Il se sait dépositaire d’une parole qui s’entend de plus en plus, avec ses 13 500 abonnés. Lui qui pensait « être lu par 200, 300 personnes » s’implique pour une audience investie. Dès qu’il y a une actualité bouillante, on lui demande s’il écrira dessus. Une petite pression qui ne le décourage pas. Bien au contraire.
Teddy trouve un exutoire en @ti-boug-bumidom. Son vécu n’est pas un long fleuve tranquille. Mais éduquer sur ce qu’il est, ce qu’il vit et ce que d’autres peuvent subir lui permettent de se décharger. Parler de racisme et d’autres sujets aussi lourds parfois, ne le plombe pas, au contraire. « En parler, c’est quelque chose qui me libère », dit-il. L’éducation n’est donc pas qu’un cadeau qu’il offre, mais représente une source pour son épanouissement.
Florine Dievart-Spakowski