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L’histoire d’Amar Slimani ressemble à celle de nombreux jeunes algériens. Son histoire est celle d’un homme originaire de Béjaïa en petite Kabylie dans l’est du pays, une ville tournée vers la Méditerranée. En 2020, il décide de quitter son pays, sa famille comme de nombreux harragas, un terme issu du dialecte maghrébin qui signifie « brûleur » et désigne les algériens qui décident de quitter leur pays. Sans passeport ni visa, au péril de leur vie, ils « brûlent » les frontières à la recherche d’une vie meilleure. Fuir la pauvreté, le manque de perspectives, améliorer son quotidien et celui de sa famille, tels sont les objectifs d’Amar lorsqu’il décide de venir en France.

« L’Europe était son gagne-pain », confirme sa mère dans une vidéo poignante de la chaîne Berbère Télévision. « Il était seul quand il est allé chez cette dame. Il a travaillé chez elle trois jours, comme elle avait une petite cabane dans le jardin, il a séjourné là-bas. Ce n’était pas une personne violente, instable, alcoolique », témoigne la mère endeuillée.

Deux semaines plus tôt, son fils a été abattu de six balles par un policier hors service. D’après sa famille et ses amis, Amar logeait dans un cabanon jouxtant la demeure de cette femme à qui il rendait des services. Comme faire des courses, des travaux, etc. Aux alentours de 6 h 30 du matin, ce samedi 29 juin, pendant qu’Amar dort dans la cabane, la grand-mère entend du bruit et prévient son petit-fils, policier.

Le fonctionnaire de 27 ans arrive avec son brassard, son arme et un pistolet et tire à sept reprises sur Amar. Deux balles l’atteignent dans le dos, une dans la tête, deux dans la poitrine. L’officier prendra des photos de son cadavre avant d’appeler ses collègues.

Le policier affirme avoir agi en état de « légitime défense », tandis que l’avocat de la famille, maître Yassine Bouzrou déclare qu’il s’agit d’un « crime injustifié et raciste ». Durant les auditions, le policier aurait tenu des propos racistes et Le Canard Enchaîné a dévoilé des messages téléphoniques qui mettent à mal sa version.

Un sportif amoureux du ballon rond

Lors du rassemblement pour rendre hommage à Amar le 13 juillet sur l’esplanade du palais de justice de Bobigny, nous rencontrons Rachid Slimani, son grand frère. C’est un homme groggy, qui peine à réaliser ce qu’il s’est passé, que nous rencontrons. « Je pense être dans un rêve, je pense qu’il est encore vivant, qu’il ne me quitte pas, on a toujours été très proches, plus que des frères », explique, les yeux humides, l’homme de 40 ans. Le seul moment où l’on aperçoit un léger sourire, c’est lorsqu’il évoque la passion d’Amar pour le football. « J’ai plusieurs vidéos sur mon portable où il joue. »

D’ailleurs, sur son compte Twitter, l’une des rares publications concernait le football. Amar regrettait de ne pas avoir réussi dans le sport le plus populaire au monde. Hasard ou non, de nombreux footballeurs français à la carrière exceptionnelle comme Zinédine Zidane, Karim Benzema et Kylian Mbappé sont en partie originaires de Béjaïa. Ce fan de la JS Kabylie (Jeunesse Sportive Kabylie, célèbre club de football) et de Cristiano Ronaldo n’a pas pu mettre à profit sa passion pour le football. En Algérie, il avait obtenu une formation de peintre en bâtiment et il a longtemps travaillé dans une cafétéria.

 Il a laissé un vide, un grand vide

Farid, un ami d’enfance, porte un T-shirt sur lequel on peut voir une photo d’Amar avec l’inscription en rouge Justice pour Amar. Il montre sur son portable une photo d’enfance avec plusieurs amis dont Amar, visage juvénile, qui semble tenir une peluche dans ses bras. « Nous sommes du même village dans la haute montagne de Tazmalt. Amar, c’est un mec très gentil, sociable », décrit le trentenaire qui peine à trouver ses mots, ne paraissant pas réaliser. « Il a laissé un vide, un grand vide. De temps en temps, on se voyait pour boire un café. Je l’ai vu pour la dernière fois à Saint-Denis, il y a cinq mois. On a parlé de travail et d’avenir. »

Une situation sociale précaire en France

Amar est arrivé en France en 2020, à Bobigny, dans le quartier de l’Abreuvoir. Ce dernier a enchaîné les boulots pour pouvoir s’en sortir. Peintre, électricien, le BTP et dernièrement vendeur de cigarettes à la sauvette. « Amar était un jeune homme dynamique. Comme tous les Africains, ils faisaient plusieurs métiers pour s’en sortir, il touchait à tout. Là où il y avait du boulot, Amar était là », résume Ghozali qui a grandi dans le même village. Une suractivité que confirme Brahim, originaire également de Béjaïa : « C’était quelqu’un qui bougeait beaucoup, il aimait travailler et il voulait aussi subvenir à ses besoins ».

Sa situation sociale dans l’hexagone a toujours été difficile, il a été locataire, puis hébergé par des amis quelque temps, ou en colocation, mais il n’a jamais connu de situation stable. Le jeune homme de 32 ans n’hésitait pas à donner des coups de main à ses amis et à sa famille. « C’est grâce à lui que j’ai trouvé du travail, il nous a donné des contacts à Paris, avec mon ami, on s’est installé à Rouen », assure Rachid.

On a grandi dans l’entraide dans notre village, surtout envers les personnes âgées

« On a grandi dans l’entraide dans notre village, surtout envers les personnes âgées. Amar a fait connaissance avec cette dame, il lui rendait des services, on le fait spontanément avec les personnes âgées », raconte Brahim.

Un an après le meurtre de Nahel Merzouk c’est une autre personne racisée qui trouve la mort sous les balles d’un policier. Là aussi, le combat s’annonce long, difficile. Sa famille en Algérie ainsi que les habitants à Bobigny et les collectifs contre les violences policières sont déterminés à lui rendre justice. La levée du corps est prévue pour ce lundi 22 juillet et son rapatriement en Algérie le 23 juillet.

Aïssata Soumaré

Photo Ramdan Bezine

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